Et si le Pacte d'excellence pour l'école n'allait pas assez loin?

Supprimons la distinction entre l’enseignement de transition et l’enseignement qualifiant, faisons du primaire une école d’excellence où les savoirs structurants priment sur l’idéologie et nous pourrons nous vanter que nos écoles retrouvent leur fonction première : former des citoyens responsables

Contribution externe
Et si le Pacte d'excellence pour l'école n'allait pas assez loin?
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Une carte blanche de Jésus Ngenzebuhoro, enseignant d'Histoire et de Philosophie et Citoyenneté dans le secondaire supérieur.

Voici quelques jours que les vacances ont pris fin, pour nous autres enseignants; un temps de repos mais aussi un temps de recul qui, loin des bancs gravés et de nos classes carrelées, nous a permis de réfléchir au sens de notre métier, et par ricochet à la question plus importante encore du rôle de l’école.

Quand l’instruction obligatoire s’est généralisée au XIXe siècle deux conceptions de l’école se sont développées en parallèle : l’école productrice de travailleurs et celle pétrisseuse de citoyens. Deux buts distincts aboutissant pourtant l’un comme l’autre à une certaine émancipation de l’individu (économique ou intellectuelle). Et si le Pacte pour un enseignement d'Excellence, cette grande réforme de l'école qui est en chantier, revenait à ces fondamentaux de l’émancipation? Et si l’école, plutôt que d’être une usine à consommateurs, formait ses élèves à l’exercice de la démocratie et au marché de l’emploi, avec ou sans passage par la case “études supérieures”? Et si l’école était tout simplement celle des futurs citoyens et des futurs travailleurs?

Le sens des humanités

Le premier changement à opérer n’est pas révolutionnaire, ou plutôt si. Il tient en un mot : humanités.

Humanities est le nom que les anglophones donnent à ce que certains francophones traduisent par "humanités" et que tous reconnaissent comme étant les lettres et les sciences sociales ou, de son nom barbare, de sciences-humaines-et-sociales.

Ces matières (littérature, philosophie, histoire, sciences sociales, etc.) sont essentielles à la formation de citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires, à la fois capables de raisonner dans l’intérêt de la Cité, d’intégrer une université et d’être producteur de richesses. En remettant les humanités au centre de l'école, un centre autour duquel graviteraient toutes les filières et options de l'enseignement secondaire, l’enseignement retrouverait le sens de son autre nom les "humanités''. Ce tronc commun se poursuivrait jusqu’à la fin du secondaire et sa maîtrise par les élèves serait consacrée par l’obtention du CESS après passation d’examens intermédiaires (CE1D et CE2D), et finaux (CESS) communs à toutes les classes, pareils en tous points et qui laisseraient aux savoirs la place qu’ils méritent. Alors même que les exigences dans les matières essentielles sont différentes, un diplôme est déjà délivré aux élèves finalisant leur secondaire, toutes filières confondues. Un diplôme identique avec des exigences différentes qui donne pourtant accès aux mêmes universités pour des citoyens qui ont le même droit de vote.

Ne serait-il pas judicieux que les élèves de mécanique autant que ceux de Latin-Grec soient au fait de la pensée de Camus et de la vie de Saint-Just en atteignant l’âge adulte? Qu’ils connaissent l’être humain et ses limites? Qu’ils aient le sens de la justice et du travail bien fait? Tous ainsi seraient aptes à penser le bien commun et à entamer des études supérieures si tel est leur souhait.

D’aucuns pourraient interpréter ces lignes comme de l’idéalisme. Soumise à l’expérience cette pensée a passé l’épreuve du feu : les élèves du qualifiant sont bien plus capables dans les matières d’humanités que le système ne le laisse penser. Le Pacte d’Excellence se rapprocherait davantage de l’excellence en supprimant totalement la dichotomie enseignement qualifiant / enseignement de transition et en considérant tout ce qui n’est pas matières d’humanités comme matières d’option. Mettant fin ainsi à cette pirouette qu’est le passage dans l’année supérieure avec changement de filière pour un élève qui double plusieurs fois la même année. Pirouette qui s’apparente à une gifle pour l’enseignement qualifiant en particulier, et un non-sens pour l’enseignement secondaire dans son ensemble. Les enseignants du qualifiant ne sont pas des surveillants, ils souhaitent également transmettre des savoirs à une classe d’élèves prêts à les accueillir. De nombreuses voix s’élèvent dans ce pays pour se plaindre du désamour, voire du mépris, que subissent les filières qualifiantes. En évaluant toutes les classes du pays par des CE1D, CE2D et CESS identiques, non seulement les filières n’auraient plus de raison d’exister, les options du qualifiant y gagneraient mécaniquement en crédit, mais surtout toute la Cité en bénéficierait.

Quid des doubleurs en série?

Le redoublement n’est pas un échec mais un réajustement (cessons d’ailleurs avec cette bienveillance perverse qui, certes, permet d’économiser quelques euros sur le court terme en réduisant le nombre de redoublements mais qui, sur le long terme, coûte énormément aux individus et à la collectivité). La seule question qu’un conseil de classe doit se poser pour un élève délibéré est s’il est capable ou non de rattraper son retard en humanités tout en assimilant la matière de l’année suivante. Si oui, qu'il passe. Sinon, qu’il double. Ce n’est pas le travail qu’on récompense, ce n’est pas un drame familial qu’on guérit, c’est la maîtrise d’une matière qu’on évalue.

Repenser le primaire

Pour arriver à des taux de réussite satisfaisants en secondaire, il faudrait toutefois commencer par repenser le primaire. Ces classes doivent enseigner la maîtrise de la langue et la logique à nos élèves pour qu’elles soient évaluées par les examens du CEB. Autrement dit, leur apprendre à lire, à écrire et à compter. Si celles-ci ne sont pas acquises, les autres savoirs ne peuvent être enseignés correctement.

Le français des instituteurs doit donc être impeccable afin de donner aux élèves l’exemple d’une langue à la syntaxe irréprochable et au vocabulaire généreux, permettant d’égaliser ainsi les conditions et de réifier l’idéal du mérite.

Enfin, le rôle de l’école dans une démocratie libérale n’étant pas d’enseigner une idéologie, le focus devrait être placé sur les conduites plutôt que sur les valeurs. L’emphase serait ainsi mise sur la politesse plutôt que sur le politiquement correct. Le civisme et l’excellence naissent plus souvent de la rigueur demandée par le français et la logique que par les bons sentiments suscités suite à la visite d’un mémorial.

Supprimons la distinction entre l’enseignement de transition et l’enseignement qualifiant en soumettant tous les élèves de 6e secondaire aux mêmes CESS d’humanités, faisons du primaire une école d’excellence où les savoirs structurants priment sur l’idéologie et nous pourrons nous vanter que nos écoles ont retrouvé leur fonction première : former des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires, capables de voter de manière éclairée et de participer qualitativement à l’activité économique de ce pays.

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