Indemniser tous les non-assurés des inondations est discriminatoire et peu souhaitable
La générosité doit être non seulement forte, mais aussi bien conçue. Indemniser tous les non-assurés des inondations comme le prévoit le gouvernement wallon est critiquable à plus d'un titre.
Publié le 16-09-2021 à 09h50 - Mis à jour le 22-09-2021 à 09h44
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"Attention. Depuis le 1er mars 2007, les compagnies d'assurance indemnisent la plupart des sinistres "ordinaires" (via l'assurance-incendie) : maisons d'habitation et leur contenu endommagés par des inondations, tremblements de terre, débordements ou refoulements d'égouts, glissements/affaissements de terrain (risques simples). "Vous ne serez donc PAS indemnisés par le Service régional des calamités pour des dégâts qui étaient assurables (sauf les personnes bénéficiant d'un revenu d'intégration sociale ET n'étant pas assurées)." Voilà ce qui est écrit texto sur le site internet de la Wallonie (2). Pourtant, le gouvernement wallon a annoncé que les personnes non assurées seraient indemnisées pour les dégâts subis lors des inondations de juillet dernier.
Face à la désolation, la plus grande générosité est à souhaiter, mais l’analyse amène à aller plus loin que là où s’arrête la réaction intuitive, que d’aucuns affectionnent.
Premièrement, il faut s’interroger sur comment le mieux aider celles et ceux qui en ont le plus besoin. Il y a de bonnes raisons de penser qu’en moyenne les personnes non assurées ou mal assurées sont des personnes faisant face à des contraintes financières mais penser "non-assuré = pauvre" est une double erreur. Il est des personnes qui, tout en en ayant les moyens, choisissent de ne pas s’assurer, pratiquant ce qui est appelé l’auto-assurance, ou se montrent négligentes. Et il est des personnes à faibles revenus qui s’assurent correctement. Dès lors, au lieu de poser que les non-assurés seront indemnisés, il eût été plus social de consacrer la même enveloppe budgétaire aux non-assurés et mal-assurés se trouvant en état de besoin, et cela en passant par le canal des CPAS.
Le caractère discriminatoire de l’annonce est un deuxième problème. Pourquoi seuls les non-assurés de cette calamité-ci seraient indemnisés et pas les victimes non assurées d’autres calamités, passées ou à venir ? Au-delà, à agir de la sorte, ne risque-t-on pas de susciter non seulement une impression de prime à la déresponsabilisation, une critique pas rarement entendue à l’encontre des politiques wallonnes, mais aussi un ressentiment dans le chef des personnes qui, loin d’être toujours dans l’aisance financière, se sont convenablement assurées ? Va-t-on rembourser à tous les assurés wallons l’excédent de prime qu’ils ont payé par rapport à ce que leur assurance aurait dû coûter, si l’on avait transféré l’indemnisation de certains risques sur les finances publiques régionales ?
Un troisième problème relève du champ de ce que l'économiste appelle "l'incohérence temporelle". L'exemple classique pour illustrer celle-ci est le suivant : les parents cherchent à inciter leur progéniture entrant à l'université à bien étudier en annonçant qu'ils couperont leur financement en cas d'échec à la fin de la première année. Le jeune anticipe que la menace n'est pas crédible, étudie peu, connaît l'échec… et les parents, effectivement, acceptent de payer une nouvelle année académique. À quoi bon s'assurer ?, se demanderont un certain nombre de Wallons. Souvenons-nous ici de l'exhortation de Montesquieu à ne changer la loi que "la main tremblante". Autre chose aurait été de reconsidérer la privatisation de l'indemnisation des calamités. On peut en effet estimer que tout le monde devrait, en tant que citoyen, être protégé contre les effets financiers des catastrophes dites naturelles, même si cela aurait des effets anti-redistributifs. Mais une telle piste n'a pas été avancée par le gouvernement wallon, qui, avec cette annonce, a préféré, consciemment ou non, la voie d'une générosité mal ciblée, aux mauvais effets incitatifs.
(1) etienne.decallatay@orcadia.eu
(2) https://interieur.wallonie.be/a-la-une/calamite-inondations-fortes-pluies (consulté le 13 septembre 2021).
>>> Titre de la rédaction. Titre original: "Assurance dévoyée, solidarité dévoyée"