La réforme du calendrier scolaire va isoler Bruxelles et cloisonner de plus en plus les communautés linguistiques
Nous sommes enseignantes dans le secondaire et nos enfants sont scolarisés dans l'enseignement néerlandophones. La réforme du calendrier scolaire francophone qui n'a pas été concertée avec la Flandre bouscule nos vies familiales. Mais elle met aussi à mal la solidarité entre les différentes communautés linguistiques du pays.
Publié le 17-09-2021 à 11h02 - Mis à jour le 17-09-2021 à 13h22
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/HXRKGJKTF5BSPOX76FBKQ5PYEY.jpg)
Une carte blanche de Elise Lebeau et Adeline Weckmans, enseignantes dans l’enseignement secondaire supérieur à Bruxelles et mamans de jeunes enfants scolarisés dans l’enseignement néerlandophone.
Madame la Ministre de l’Education,
Nous nous permettons de vous écrire concernant la réforme du rythme scolaire dans l'enseignement francophone, qui devrait entrer en vigueur à partir de l'année académique 2022-2023.
Nous sommes toutes deux enseignantes dans l’enseignement secondaire supérieur à Bruxelles depuis environ une dizaine d’années. Un choix de carrière que nous avons effectué « tardivement » après un passage dans le secteur privé, et qui découle de notre passion pour la transmission. Malgré les réelles difficultés inhérentes au métier, nous n’avons jamais regretté notre décision. Nous avons aujourd’hui toutes les deux la chance d’évoluer dans des écoles qui nous permettent de nous épanouir aussi bien pédagogiquement qu’humainement.
Par ailleurs, nous sommes mamans de jeunes enfants scolarisés dans l’enseignement néerlandophone. Après avoir pris connaissance du nouveau calendrier scolaire francophone et constaté l’impact que celui-ci entrainera sur nos familles, imaginez quel fut notre désarroi !
En effet, les calendriers des systèmes scolaires francophones et néerlandophones ne correspondent majoritairement plus.
Ainsi, durant l’année scolaire précitée, lors des congés d’Automne, nous gardons une semaine de congé en commun avec nos enfants. Cependant les congés de détente et les vacances de Printemps ne correspondent plus du tout entre les deux systèmes. Cela signifie donc que nous n’aurons plus la possibilité de prendre des congés en même temps que nos enfants entre les mois de janvier et de juillet, puisque que contrairement au reste de la population, en tant qu’enseignants, nous ne pouvons pas choisir nos dates de congés.
Même si nous ne mettons absolument pas en doute le bien-fondé pédagogique de la réforme, nous regrettons fortement l’absence de concertation aboutie avec les autres communautés autour de cette réforme.
Concrètement, il y aura en fin de compte six semaines (en ajoutant la première semaine de juillet et la dernière semaine d’août) durant lesquelles nous ne pourrons pas nous occuper de nos enfants, alors que, à la base, le fait d’avoir nos congés en même temps qu’eux constituait un avantage certain du métier. Et nous nous retrouverons chez nous pendant six semaines seules, dans l’impossibilité de partir en vacances avec nos familles. Vu le stress inhérent à notre métier, ces plages de respiration en famille nous paraissent indispensables.
Par ailleurs, cela va impliquer un coût financier considérable pour nous puisque nous serons dans l’obligation de placer nos enfants en stage six semaines par an.
Nous sommes conscientes que proportionnellement peu d’enseignants en Wallonie (sauf peut-être en région germanophone) se trouvent dans cette situation, par contre à Bruxelles, nous ne sommes sûrement pas des cas isolés. Ce qui nous amène à un autre argument : la position particulière de Bruxelles, ville multiculturelle par excellence. Ici des liens se tissent entre les communautés linguistiques, ce qui est source d’enrichissement pour tous. Il n’est pas rare que des enfants francophones suivent leurs activités extra-scolaires (académies, stages, clubs de sport, mouvements de jeunesse, …) en néerlandais et inversement. Puisque les calendriers scolaires ne correspondront plus, c’est tout un vivier d’échanges qui disparait. Une situation d’autant plus regrettable que les avantages de l’apprentissage des langues sur le terrain ne sont plus à démontrer et que toutes ces activités extra-scolaires représentaient des opportunités uniques dans le domaine.
Nous craignons également qu’à terme cela ne conduise à un cloisonnement de plus en plus important entre les communautés linguistiques. Dans un pays à structure fédérale mais toujours unifié, n’est-il pas dommage(able) que les calendriers scolaires ne soient plus alignés ? Et qu’en est-il des familles qui, pour diverses raisons, se retrouvent avec des enfants scolarisés dans des communautés linguistiques différentes, ou dans l’enseignement obligatoire et dans l’enseignement supérieur (puisque ce calendrier-là n’a pas été adapté).
A l’issue de deux années difficiles en tant qu’enseignantes et en tant que mamans, suite à la situation sanitaire, la perspective de cette nouvelle réforme qui va à nouveau impacter fortement nos vies nous amène à nous questionner sur notre avenir professionnel. Alors que, rappelons-le, nous adorons notre métier.
Comme vous l’aurez compris à la lecture de ce courrier, notre attente ne porte pas sur une remise en question de cette réforme, que par ailleurs nous approuvons, mais bien sur la nécessité absolue d’une concertation avec les autres communautés linguistiques ; dans un pays aussi petit et particulier que le nôtre, se retrouver avec des régimes de congés scolaires différents touche à l’absurde. Nous regrettons au plus haut point que cette concertation n’ait pas eu lieu/abouti et apprécierions fortement que vous poursuiviez les discussions avec les autres communautés afin d’aboutir à une situation plus harmonieuse et tenant compte des intérêts de chacun.
L’idée de dorénavant ne plus pouvoir passer nos moments de congés avec nos enfants nous est très pénible. Même si notre cas de figure d’enseignants en école francophone ayant des enfants dans l’enseignement néerlandophone ne représente pas la majorité, doit-on pour autant être oubliés ?!