Quand avez-vous réellement changé d’avis la dernière fois?

Changer d'avis, c’est être confronté à nos peurs, c’est rencontrer l’incertitude. Mais on a souvent à y gagner.

Contribution externe

Une chronique d'Armand Lequeux, Docteur en médecine, gynécologue et sexologue.

Quand avez-vous réellement changé d’avis la dernière fois sur un sujet qui vous tenait à cœur et à propos duquel vous aviez jusque-là une opinion bien arrêtée ?

Je suis persuadé qu'aucun d'entre nous n'est assez prétentieux pour croire qu'il a toujours et en toutes circonstances choisi la meilleure option et rallié le camp de l'incontestable justesse au point de n'avoir jamais envisagé de changer d'avis. Je vous laisse réfléchir. Les thèmes ne manquent pas de la naissance à la fin de vie, depuis l'éducation des enfants jusqu'à la question du maintien à domicile ou du séjour en résidence des personnes âgées, en passant par l'organisation du travail, des transports, de l'urbanisme, des commerces et des services. Pensez au changement climatique, aux éoliennes et aux centrales nucléaires, à la libéralisation de l'avortement et du cannabis, à l'accueil des réfugiés et à la régularisation des sans-papiers, aux quotas genrés dans la représentation politique et à l'écriture inclusive. Réfléchissez au foulard islamique et à la place des religions dans l'espace public sans oublier bien sûr la médecine et Big Pharma, la chloroquine et l'obligation vaccinale, le masque et le pass sanitaire. Il n'y a que les imbéciles… Vous connaissez l'adage et vous avez donc dû, sans devenir pour autant d'instables girouettes, changer d'avis un jour sur l'un ou l'autre de ces thèmes. J'ose parier que ce ne fut ni fréquent ni facile.

Des remparts contre le changement

Très rapidement et sur base le plus souvent d’informations parcellaires, nos opinions se figent et cristallisent jusqu’à former des structures mentales difficilement dissociables de notre identité. Ce sont des remparts contre le changement, des zones de confort pour notre cerveau qui ne quitte que douloureusement les chemins tout tracés du prêt-à-penser et des stéréotypes, fussent-ils erronés. L’étude des innombrables biais cognitifs qui nous aveuglent continûment semble bien montrer que nous ne sommes pas programmés pour distinguer le vrai du faux, mais pour créer, transmettre et défendre des croyances utiles. Elles simplifient le réel, favorisent la cohésion sociale et nous réconfortent en nous donnant l’illusion que nos existences ont un sens par elles-mêmes. Lorsqu’on s’est engagé dans une direction précise en excluant toute voie alternative, il est bien difficile de se remettre en question et d’envisager que l’on ait pu se tromper. Pensez aux protagonistes des guerres civiles qui s’identifient à ce point à leur opinion qu’ils sont prêts à massacrer leur famille. Pensez aux adeptes des sectes millénaristes qui acceptent sans broncher de modifier régulièrement la date annoncée pour la fin du monde. Plus simplement, souvenez-vous que vous fûtes sans doute un jour un conjoint incapable de reconnaître l’évidence de ses torts, un randonneur entêté dans son égarement ou un automobiliste en conflit avec son GPS.

Les atouts de la rencontre

Changer d’avis c’est être confronté à nos peurs, c’est rencontrer l’incertitude et craindre la solitude de celui qui s’est éloigné du troupeau, mais c’est aussi faire preuve de curiosité, d’ouverture et de souplesse, c’est quitter le monde binaire en noir et blanc pour entrer dans le chatoiement de l’ambivalence polychrome.

Sauf exception, nos opinions ne se modifient guère en profondeur sous la contrainte et nous changeons rarement d’avis pour des raisons intellectuelles, aussi belles et évidentes que soient les démonstrations que l’on nous propose. Il nous arrive de corriger notre jugement en réponse à nos expériences si nous avons l’humilité d’en tirer les conclusions et d’apprendre à nos dépens. Cependant, nos plus belles occasions pour changer d’avis naissent, je crois, de nos rencontres quand l’altérité prend le pas sur notre identité égocentrique. Alors changer d’opinion c’est respecter l’autre au point de croire que son avis est a priori aussi important que le mien et qu’à la réflexion il se pourrait qu’il ait raison. Contre moi ? Peut-être et quelle féconde leçon de modestie. Avec moi ? Pourquoi pas et quelle belle aventure en perspective si nous pouvons nous départir de nos préjugés et découvrir ensemble qu’au creux de nos quêtes défaillantes de la vérité nous sommes frères et sœurs en boiteuse humanité.

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