L’unité dans la diversité

"L’unité dans la diversité", tel est le slogan et l’idéal fixé par l’Union européenne en réponse à un passé marqué de guerres et de haine. Mais face à la pression migratoire, cet objectif se tapit craintivement au profit d’un repli identitaire annonciateur du naufrage de nos sociétés. Seul un sentiment d’appartenance commune par-delà les différences – autrement dit un retour aux valeurs universelles – nous sauvera.

Contribution externe
L’unité dans la diversité
©Pixabay

Par Maxime de Cordes, diplômé en droit et sciences politiques.

Pérennisation de l’immigration en Europe

La migration ne date pas de la mondialisation de la fin du 20e siècle ni de l’essor de l’industrialisation des 18e et 19e siècle. Elle caractérise l’humanité depuis ses origines dans le berceau africain et a toujours existé dans l’histoire du continent européen. L’Europe fut longtemps une terre de départ vers les grandes découvertes et les colonies, pour conquérir de nouveaux territoires, développer le commerce et peupler des pays vides. Entre 1820 et 1914, 56 millions d’Européens migrèrent vers les Amériques pour fuir la misère, la famine, les révolutions, les catastrophes naturelles et les persécutions religieuses et pogroms. Tandis que plus de 12 puis 60 millions d’Européens durent trouver refuge à l’étranger au cours respectivement des Première et Seconde Guerres mondiales.

Vu son passé, l’Europe ne s’est jamais représentée comme une terre d’accueil ni n’a envisagé l’immigration comme constitutive de son identité en construction. Dans cet état d’esprit, elle considère donc l’inversion des flux migratoires qui s’opère entre le Nord et le Sud depuis une quarantaine d’années comme un phénomène provisoire. Mais dans un contexte où la guerre, la corruption, l’instabilité et la violence politiques continuent d’assombrir toute perspective d’avenir dans de nombreuses régions du monde, le Vieux-Continent servira encore pour quelque temps, bien malgré lui, de refuge à un nombre croissant de migrants.

Par ailleurs, les effets du réchauffement climatique – désertification dans les régions sèches et élévation du niveau de la mer – participent également à ces mouvements de population et vont renforcer cette tendance à l'avenir. La Banque mondiale prévoit en effet que 143 millions de personnes pourraient être contraintes de quitter leur foyer en Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Amérique latine d'ici 2050. Parmi ces déplacés environnementaux, nombreux seront tentés de franchir les frontières.

Une réaction sécuritaire inefficace et néfaste

Les valeurs fondatrices du projet politique européen sont inscrites dans le traité de Lisbonne et visent le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Mais la question des migrations ébranle ces valeurs et révèle les faiblesses du projet européen. Les États membres sont en effet confrontés, au niveau politique et dans l’opinion publique, à la montée de l’extrême droite qui a élevé, dans une logique xénophobe contraire aux valeurs européennes, la lutte contre l’immigration en tête de son programme. Par ailleurs, on assiste à la progression d’un néo-souverainisme national en matière de gestion des migrants – un domaine pourtant largement communautarisé – avec les appels à la fermeture des frontières et l’hostilité au "partage du fardeau" affichée par les pays d’Europe de l’Est.

C’est pourquoi les pays européens, depuis les années 1990, ont eu la faiblesse d’appréhender l’immigration, qu’ils pensaient temporaire, sous le prisme sécuritaire. Ils ont ainsi préféré concentrer leurs efforts sur le contrôle aux frontières, les politiques de retour, les initiatives de développement dans les régions de départ afin de dissuader les nouveaux arrivants plutôt que s’accorder sur des politiques de flux vertueuses et les modalités du vivre-ensemble. D’une part, force est de constater que toutes ces mesures répressives n’ont pas produit les effets escomptés. D’autre part, le discours stigmatisant des mouvements nationalistes, en trouvant pour chaque problème un coupable plutôt qu’une solution, entrave toute cohésion sociale d’une société devenue plurielle.

Une société unie dans sa diversité

Bien souvent, la quête de reconnaissance identitaire, qu’elle soit d’ordre civilisationnelle, ethnique, culturelle ou religieuse, se fait au détriment de l’étranger, celui qui est perçu comme non "autochtone", vu comme une menace, de par les éléments de sa différence, à l’affirmation de soi. Comme si l’inclusion impliquait nécessairement la disparition des particularismes et par là même la négation de soi. C’est absurde. A l’inverse, l’hostilité et le mépris affichés envers les minorités, leur religion, leurs comportements et leurs modes de vie ont déjà encouragé le repli communautaire et fait naître en eux le besoin de revendiquer leur existence et leurs appartenances par la manifestation ostensible de leurs signes distinctifs.

Nos sociétés étant depuis longtemps cosmopolites et multiculturelles, il est vital pour elles de proposer un projet de collectivité qui dépasse ces clivages identitaires stériles et s’ouvre à la diversité et au dialogue des cultures. S’ouvrir à l’autre ne signifie pas renier les spécificités de nos identités ni trahir les fondements de nos démocraties, comme la liberté d’expression et l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de considérer et valoriser les richesses de chacun et d’élever notre regard au rang des valeurs partagées par tous, comme la justice, la vérité, l’humanité, l’équité ou l’éthique de la réciprocité. Elles sont les seules susceptibles de répondre au besoin d’unité, d’appartenance commune et de faire émerger un réel vivre-ensemble.

Cette vision doit guider l’action de nos représentants et se traduire par une volonté accrue de mener des politiques d’intégration proactives ainsi que par un travail sur les perceptions et les préjugés des citoyens vis-à-vis des migrants. A cet égard, en Belgique, l’accord de gouvernement du 30 septembre 2020 pose le cadre de cette mission et les conditions du projet d’une société plus ouverte en ordonnant le maintien "

d’un juste équilibre entre les droits et les obligations, dans le respect tant de ceux qui viennent que ceux qui les accueillent

". Dans le prolongement de cette règle, il convient de suivre le principe "

ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse

" qu’énoncent sous des formulations comparables presque toutes les grandes religions et cultures du monde.

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