Nouveau gouvernement au Liban : l’impasse

Les Libanais vivent un drame au quotidien mais rien ne changera à cause du maintien de dirigeants corrompus. Même l’Europe n’ose pas s’en prendre à eux.

Contribution externe
Nouveau gouvernement au Liban : l’impasse
©AP

Une carte blanche de Sébastien Boussois. Docteur en sciences politiques, collaborateur scientifique du Cecid (ULB), de l'Oman (Uqam Montréal) et de Save Belgium (Society Against Violent Extremism).

Après 13 mois de blocage, le Liban déjà exsangue s’est enfin doté d’un nouveau gouvernement. Après avoir perdu 9 mois de plus dans la crise, à la suite de la désignation de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, c’est finalement un autre ancien Premier ministre (et colistier du classement Forbes des milliardaires libanais) Najib Mikati qui a été désigné. Le pays semble avoir du mal à faire émerger des personnages messianiques ou au moins de nouvelles têtes qui pourraient susciter un brin d’espoir.

Pourquoi tant de temps pour reformer un nouveau gouvernement ? Les points d’achoppements concernaient principalement l’audit juriscomptable de la Banque du Liban, réclamé avec entêtement par le président Michel Aoun, mais auquel (comme par hasard) s’opposaient les ténors de la caste politico-financière libanaise. Or, Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban fait aujourd’hui l’objet de plusieurs enquêtes devant différents tribunaux européens pour blanchiment d’argent et corruption.

Dans tout État de droit qui se respecte, un gouverneur de banque centrale dans cette situation ou qui se ferait arrêter à l’étranger après avoir menti aux douanes sur le contenu de sa valise devrait normalement immédiatement être démis de ses fonctions, à défaut d’avoir la décence de démissionner de lui-même. Mais, au pays des Cèdres, où la corruption est généralisée, tout est pardonné aussitôt.

Les questions sont nombreuses. Comment se fait-il que Riad Salamé soit encore en place et pourquoi l’audit juriscomptable de la Banque centrale, condition sine qua non du FMI et de la communauté internationale pour continuer à contribuer au sauvetage du pays, fait l’objet d’une telle résistance de la part de certains dirigeants du pays ? Il y a manifestement anguille sous roche. Il en sait sûrement beaucoup sur ses amis et confrères. Riad Salamé est la clé de voûte de tout le système financier libanais corrompu mis en place au début des années 1990 par la classe dirigeante libanaise post-accord de Taëf.

Banques gagnantes

Le système financier libanais a été mis en place il y a 30 ans par ce que certains au Liban appellent la troïka post-Taëf, à savoir le trio Rafic Hariri, Nabih Berry (l’inamovible président du Parlement depuis près de 30 ans) et Walid Joumblatt (le champion du pragmatisme et de la palinodie politique) avec l’appui du secteur bancaire libanais détenu à près de 50 % par des personnes politiquement exposées. Pour contrôler ce système financier, Rafic Hariri ramena avec lui son banquier privé de Merill Lynch, le fameux Riad Salamé. Ce système économique est, par essence, non-productif car fondé sur une balance des paiements en déficit systémique et un déficit budgétaire chronique. Pendant 30 ans, les banques ont ainsi financé les déficits budgétaires du gouvernement et de la balance des paiements en prêtant à l’État libanais à des taux faramineux l’argent des épargnants. Alors que l’État libanais est aujourd’hui en faillite, les banques, elles, ont fait pendant 30 ans des profits pharaoniques et leurs actionnaires, des dividendes gargantuesques. Entre-temps, l’argent des actionnaires, dont font partie le Premier ministre actuel, le milliardaire Najib Mikati ou encore, l’autre ancien Premier ministre Saad Hariri ont été investis en sûreté à l’étranger. La fortune du gouverneur libanais Riad Salamé et sa famille est estimée par certains, dont l’association Sherpa, à près de 2 milliards d’euros (dont 450 millions semblent déjà établis).

Trente ans de gabegie

Ce système est aujourd’hui mort et a emporté avec lui la majeure partie de l’argent des épargnants libanais. Malheureusement, il n’est cependant pas encore enterré et la liquidation de la succession est loin d’être terminée. Elle fait l’objet d’une guerre politique interne entre les partisans de la transparence, et de l’audit juriscomptable et ceux qui veulent cacher les chiffres honteux de 30 ans de gabegie, ou encore nettoyer leur bilan sur le dos des déposants. La ligne de fracture se situe entre le camp de la caste politico-financière post-Taëf (dont fait partie le Premier ministre Mikati), le camp Hariri et le président du Parlement Nabih Berry d’une part, et ceux qui réclament l’audit juriscomptable des comptes de la Banque centrale et de l’ensemble des institutions financières d’autre part. Le gouverneur de la Banque centrale est la clé de voûte de ce système. Celui-ci est soutenu par les banques et une partie de la classe politique soucieuse de cacher les chiffres, alors que pourtant le FMI donnait raison au gouvernement précédent dans son calcul des pertes.

Dans les mois qui viennent, la question de l’audit sera cruciale dans le cadre des négociations avec le FMI et la communauté internationale. La survie du Liban et sa sortie de crise dépendent de ces futures négociations avec le FMI. Les Libanais vivent un drame au quotidien : l’assèchement des devises a eu pour conséquence l’impossibilité du pays à importer les produits de base tels que le fuel nécessaire à la production d’électricité, l’essence et les médicaments. Beaucoup craignent que le "parti des banques" (comme est qualifiée cette caste financière) sabote à nouveau les négociations avec le FMI comme ce fut le cas il y a un an et demi durant les dernières négociations. Ceux-ci refusent de reconnaître des pertes et cherchent à tout prix à les faire supporter par le déposant et l’État libanais. Ce n’est pas par hasard que le ministère des Finances, chasse gardée depuis 30 ans du tandem Hariri-Berry, a été dévolu à un fonctionnaire de la Banque du Liban depuis 1982 et proche de Riad Salamé également.

L’Europe tire à côté

Le 16 septembre 2021, le Parlement européen s’est fendu d’une résolution. À défaut de lister et de sanctionner les corrompus responsables de cette catastrophe économique sans précédent ou encore ceux qui bloquent l’investigation de l’explosion du port en refusant la levée des immunités de certains responsables politiques, cette résolution a par contre longuement condamné le Hezbollah. Or, celui-ci est déjà sous sanction américaine et européenne, et ne participe pas au système financier. Il n’aura sans doute cure de sa énième condamnation. En revanche, les tenants du système s’en sortent bien, dont Riad Salamé finalement peu écorché. Alors que l’Europe ne cesse de brandir la menace de sanction à l’égard des "dirigeants corrompus" libanais, une fois de plus, celle-ci, et en particulier la France, aura manqué une occasion de paraître crédible en aidant le peuple libanais à lutter contre cette engeance financière au pouvoir depuis 30 ans. Plus que des résolutions, le peuple libanais dans sa grande majorité attend de l’Europe la transparence et surtout la restitution des fonds bien mal acquis présents sur le territoire européen.

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