"Je suis en colère, épuisée, fatiguée": la vie impossible d’une directrice, chargée du tracing Covid de ses élèves

Je suis en colère, épuisée, fatiguée. J’ai dû prendre des responsabilités qui ne sont pas les miennes tout en délaissant mes tâches principales et fondamentales.

Contribution externe
"Je suis en colère, épuisée, fatiguée": la vie impossible d’une directrice, chargée du tracing Covid de ses élèves
©Belga (photo d'illustration)

Un témoignage de Daphnée Piette, Directrice de la section primaire de l'école du Paradis des Enfants à Etterbeek.

Il est 17 h 49 ce mardi 14 septembre 2021, je termine ma journée. J’ai envie de vous la raconter…

Pour bien situer le contexte, je dois vous faire un bref résumé de celle d’hier.

Après une formation d’une heure dans le bureau du Service de promotion de la santé, je suis ressortie avec mon diplôme de "médecin tracing" sous le bras. En effet, j’ai appris que dans nos nouvelles compétences de directeurs d’école, nous avions maintenant celle du tracing Covid.

[Nous voici contraints de] poser les bonnes questions aux parents ou à nos collègues, afin de déterminer si les symptômes évoqués sont suggestifs du Covid. Formuler et reformuler des questions du type : "Votre enfant a eu mal à la tête ? A-t-il eu de la température ? Combien ? Sous le bras ou dans la bouche ? A-t-il une toux sèche ou une toux grasse ? Se sent-il fatigué ? Vous êtes certain(e) qu’il n’a pas demandé à aller se coucher plus tôt qu’à l’accoutumée ?"

Très dubitative sur mes capacités à poser le bon diagnostic, je retourne à l’école. Quoi de mieux que de mettre en application les notions abordées en début de matinée… Un cas Covid positif m’attendait en 5eA. Youpi ! me dis-je.

Cela m’a pris plusieurs heures. Trouver les bons courriers à envoyer dans la circulaire, les lire… comprendre qu’ils ne sont pas corrects… chercher l’erratum de cette circulaire… les compléter. Contacter le médecin scolaire. Annoncer la fermeture préventive de la classe car suspicion de cluster. Décrocher le téléphone, rassurer les parents, expliquer… Fin des activités : 18 h 30.

Ce matin, poursuivre les démarches ; apprendre que les P5A ont eu gym avec les P5B. Qu’une partie des P5C est à l’étude avec les P5A. Faire les courriers bas-risque pour les classes, pour les profs et les éducateurs qui ont été en contact avec cette classe.

Puis un second cas, dans une autre classe et on recommence… encore… J’y ai passé ma journée et pourtant je suis considérée comme rapide dans l’exécution des tâches en général. J’ai dû annuler un rendez-vous en extérieur pour être certaine de pouvoir terminer tout cela.

Je vous rassure, j’ai reçu une gommette verte de la part du médecin scolaire pour les efforts fournis.

Ah, j’oubliais… je suis tenue de veiller à ce que le distanciel soit mis en place pour la classe fermée… cela fait partie de mon job ! J’ai contacté l’institutrice… tout est géré… pas de tracas.

Je suis en colère, épuisée, fatiguée

En attendant, j’ai annulé ma réunion "relance du contrat d’objectifs" qui était prévue hier.

Je n’ai pas eu l’occasion de contacter le Service d’aide à la jeunesse pour un élève en grande détresse.

Je n’ai pas pu accompagner une de mes jeunes institutrices dans la préparation de sa première réunion de parents qui a lieu ce soir.

Je n’ai pas eu le temps de rédiger une lettre à la cellule consultative de l’enseignement spécialisé pour un enfant diagnostiqué multidys.

Je n’ai pas pu contacter la logopède d’un autre élève pour avoir les bilans en vue de faire les aménagements raisonnables.

Je n’ai pas eu le temps de vérifier la date de formation de mes instits P1/P2 pour le tronc commun.

Je n’ai pas eu de temps à accorder aux instits du petit X. qui est vraiment très compliqué à gérer au niveau du comportement.

Je n’ai pas eu l’occasion de rédiger les prévisions en matériel informatique que la commune nous demande ni même d’analyser le contrat pour les classes de neige de mes élèves.

Je n’ai malheureusement pas pu réfléchir au projet d’embellissement de ma cour de récré décorée par des barrières Heras, car nous sommes en chantier.

J’ai pris des responsabilités qui, à mes yeux, ne sont pas les miennes tout en délaissant mes tâches principales et fondamentales.

Il est 18 h 16, je laisse là ma prose… Je vais maintenant accueillir les parents qui viennent pour la réunion ce soir… Je vous rassure, nous respectons les mesures. Je dois me rendre en P5D, ma classe d’immersion qui n’a, à ce jour, pas de professeur. Nous cherchons depuis le mois de mai… personne… je vais devoir justifier cela… car la pénurie nous joue de drôles de blagues… Aujourd’hui je n’ai pas eu le temps de relancer les annonces…

Ma journée n’est pas terminée… Je suis en colère, épuisée, fatiguée… Même si, dans toutes ces situations, mon PO nous soutient et qu’il fait tout pour renforcer le staff du centre de santé, les écoles (et les directions) sont soumises à énormément de changements liés à la réforme et à la situation sanitaire, alors pourquoi nous ajouter encore des responsabilités pour lesquelles nous n’avons ni le titre, ni le salaire ?

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