Merci Carine, Gino, Louisa, Jean-Denis, Marie-Noëlle, Paul, Betty, Nabila, Jean, Els et les autres
Ces parents, totalement anéantis, sont toujours, toujours, restés d’une dignité sans faille, d’un admirable courage.
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Publié le 23-10-2021 à 10h16 - Mis à jour le 23-10-2021 à 17h41
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Une chronique de Francis Van de Woestyne.
Flash black. Les anniversaires d’événements dramatiques sont parfois durs à vivre parce qu’ils vous replongent dans des périodes sombres et vous font revivre ce qui vous a douloureusement marqué. Mais ils sont précieux, aussi, parce qu’ils font ressurgir, aux côtés des miasmes de l’Histoire, des sentiments magnifiques, des comportements héroïques, des mouvements historiques.
Vingt-cinq ans
Le 20 octobre 1996, plus de 300 000 personnes, tout de blanc vêtues, foulaient le tarmac bruxellois, pour clamer leur anxiété, pour hurler leur volonté de changement et de réforme du système policier et judiciaire belge, frappé par d’insupportables "dysfonctionnements". Mais si autant de Belges de tout âge, de toute origine, s’étaient déplacés en masse, ce fut aussi, surtout peut-être, pour dire leur empathie, leur admiration aux parents dévastés par la perte cruelle de leur enfant adoré, qui fut la proie d’un prédateur sexuel multirécidiviste.
Ces parents, Carine, Gino, Louisa, Jean-Denis, Marie-Noëlle, Paul, Betty, Jean, Els, mais aussi Nabela et les autres, totalement anéantis, sont toujours, toujours, restés d’une dignité sans faille, d’un admirable courage, d’une résilience absolue.
Tandis qu'à de nombreuses reprises, la foule criait "à mort les bourreaux d'enfants", jamais ils ne se sont laissés aller au moindre débordement, jamais ils n'ont laissé naître en eux le moindre populisme, jamais ils n'ont appelé à la vindicte populaire. Jamais ils n'ont laissé entrevoir le moindre découragement. Où ont-ils trouvé cette force ?
Malmenés par une justice inhumaine, snobés par certains magistrats hautains, abandonnés par des enquêteurs surchargés, ils ont tout connu, tout supporté. Que se serait-il passé si un instant, une seconde, ils avaient laissé poindre un esprit de revanche, de vengeance. On imagine les dégâts qu’un dérapage aurait pu engendrer dans un climat délétère qui favorisait le déploiement des rumeurs les plus folles.
Mus par un espoir capable de déplacer des montagnes, ces parents ont fait face, au début de leur combat, à des murs d'indifférence, d'incompréhension, de cynisme, d'incompétence et de froideur. Ainsi ce magistrat qui, plusieurs mois après la disparition des enfants, crut bon de leur présenter ses "plus sincères condoléances" alors que les parents étaient, eux, toujours persuadés que leur fille était toujours en vie. Ils avaient raison : elles mouraient en silence dans une cave.
Comment vivre, survivre ?
Carine, Gino, Louisa, Jean-Denis, Marie-Noëlle, Paul, Betty, Jean, Els, Nabela et les autres n'aimeraient pas que l'on dresse le "bilan" de leur action. Il est pourtant gigantesque. On ne parle pas ici, seulement, de la réforme des polices, de la place de la victime dans les dossiers, de la prise en compte de la parole des parents. Mais bien de l'impact considérable qu'ils ont eu et ont encore sur l'esprit, sur l'âme, sur le fondement de l'être humain. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : comment, après une telle épreuve, tenir debout, comment trouver en soi la force de rester ce que l'on est, comment ne pas céder à la facilité, comment résister à la tentation de s'endormir pour toujours pour que cesse enfin la douleur qui jamais ne vous quitte? Comment répondre à la question "Comment ça va ?" et oser dire "Bien"? Comment avoir la force de s'intéresser aux autres ? Comment vivre, survivre tout simplement ? Pour soi et pour les autres.
Carine, Gino, Louisa, Jean-Denis, Marie-Noëlle, Paul, Betty, Jean, Els, Nabela et les autres, les Belges ne vous diront jamais assez merci. Pour ce que vous avez fait. Et surtout pour ce que vous êtes. Dignes. Absolument dignes. Fabuleusement dignes.
Merci.