François Hollande: "Paul Magnette sera bien content que ses amis français continuent de défendre le nucléaire !"
Son enfance, sa présidence, ses regrets, ses ambitions, les Français "grognons", Zemmour et les prochaines élections... François Hollande se confie à La Libre.
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Publié le 21-11-2021 à 07h59 - Mis à jour le 22-11-2021 à 16h21
Il est 11 heures, Paris s’égaye. Dans le jardin des Tuileries, le soleil d’automne allonge l’ombre des arbres dégarnis qui se fracasse sur les murs. Le lieu a perdu de sa quiétude : les carrousels, marchands de sucreries, grandes roues s’installent pour les fêtes de fin d’année. Dans son bureau, au quatrième étage rue de Rivoli, François Hollande sera aux premières loges pour voir les manèges tourner cet hiver.
Sa vie, à lui, ce sont plutôt les montagnes russes. Petit collaborateur du porte-parole du président de la République début 80, le voilà élu de Corrèze, maire de Tulle, puis premier secrétaire du PS français jusqu’en 2008. Un peu oublié, il refait surface le 31 mars 2011 pour annoncer sa candidature à la présidence. Imprudents, les railleurs… treize mois après, il succède à Sarkozy. Cinq ans plus tard, il renonce à se représenter.
La France soigne ses "ex" : les anciens Présidents disposent à vie d'un appartement, de locaux, de collaborateurs, d'une voiture (fini la moto ?). Il arrive en montant 4 à 4 les escaliers qui conduisent à son bureau. Dans la salle d'attente, une affiche domine : "Jaurès, mort pour le peuple et la paix". Plus loin un cadre discret : le général de Gaulle.
Contrairement à certains de ses anciens ministres, François Hollande est abordable, chaleureux, jovial, attentif à ses invités. Normal, quoi… Il répond aux questions sans détour, cherche le trait d’humour, ne sombre pas dans la facilité, accepte la profondeur.
On le dit meilleur écrivain que Président. Il a écrit plusieurs bons livres. Son dernier, Affronter (Éd. Stock, 486 pages), confirme une plume alerte, sarcastique. "Être utile pour un ancien Président, c'est être libre." Voyons cela.
"Si j’ai fait de la politique, c’est sûrement pour être aimé"
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Une famille de la petite bourgeoisie de province. Mon père et ma mère sont d’origine modeste. Lui est devenu médecin ; elle, infirmière et assistante sociale. Ils se sont installés à Rouen, j’ai été élevé de manière assez classique.
Quel enfant étiez-vous ?
Pas très sage mais je réussissais bien à l’école. Facile à vivre. Mon frère était plus turbulent. Par ses excès, il m’a protégé de toute forme de répression parentale.
Votre père a été candidat aux municipales sur une liste d’extrême droite. Votre mère était catholique, de gauche. Comment votre engagement politique socialiste s’est-il forgé ?
Grâce à mon père, je savais ce que je rejetais ; grâce à ma mère, je savais où je pouvais aller chercher ma ligne de conduite et mes références, sans qu’elle m’y encourage d’ailleurs. Ma grand-mère maternelle était une admiratrice de Jaurès, de même que son père. J’avais un portrait de cet homme, qui portait un anneau dans l’oreille. Je n’ai pas repris cette tradition…
Votre mère a confié que, petit, vous rêviez déjà être président de la République…
À 10 ans, j’ai assisté à la campagne présidentielle de 1965. L’élection se faisait, pour la première fois, au suffrage universel. J’ai été très impressionné par ces candidats, de Gaulle et Mitterrand, que l’on voyait pour la première fois à la télévision. La figure du Général m’impressionnait mais me paraissait très lointaine. Celle de François Mitterrand, que je découvrais, me semblait plus intéressante. Mais j’étais aussi surpris par la qualité de son langage mais sa difficulté à maîtriser la télévision.
Lors de vos études, vous avez présidé un comité de soutien à François Mitterrand.
Oui, à 16-17 ans, lorsqu’il a repris le Parti socialiste, j’ai pensé que c’était la bonne stratégie. Je me suis engagé pour lui, lors des campagnes de 1974 puis de 81. Après mes études, lorsque j’étais à la Cour des comptes, j’ai eu la chance de travailler pour Jacques Attali et j’ai été associé à cette aventure qu’a été la candidature victorieuse de François Mitterrand. Au début, à l’Élysée, j’étais un simple chargé de missions, je rédigeais des notes sur tous les sujets. J’ai été le directeur de cabinet de Max Gallo, porte-parole du gouvernement. Je lui dois beaucoup. Il m’a initié au monde médiatique et intellectuel.
Un poste d’observation exceptionnel…
Oui, la gauche au pouvoir rencontrait alors, comme toujours, beaucoup de difficultés. C’était l’époque du tournant de la rigueur en 1983, des grandes manifestations pour l’école privée. Cette expérience m’a été utile plus tard pour relativiser nos propres déboires.
Faisons un bond dans le temps. Après avoir été élu député en Corrèze, maire de Tulle, premier secrétaire du PS français, vous décidez de vous porter candidat à la présidence de la République en 2011. Au début, personne n’y croit. On vous appelle "Monsieur 3 %", "Flamby"… Qu’est-ce qui vous pousse à vous présenter ?
J’aurais déjà pu être candidat, en 2007, j’étais premier secrétaire du PS. Mais Ségolène Royal avait toutes les conditions et toutes les qualités pour être, à ce moment-là, la candidate du Parti socialiste. Quand j’ai quitté la direction de ce grand parti, je me suis posé cette question : y en a-t-il un ou une mieux placé que moi pour être Président ? J’y ai répondu en me lançant.
Pourquoi avez-vous été élu ?
Parce que les électeurs de la primaire de l’époque ont cru que je pouvais battre Nicolas Sarkozy. Les sondages étaient encourageants, je n’étais plus à 3 % mais à 30 %. Il y avait un besoin de changement, d’apaisement. D’où le choix de me présenter comme un candidat normal.
Vous l’assumez toujours aujourd’hui… ?
Oui. L’exigence d’être simple, clair, proche est conforme aux attentes des citoyens.
Vous écrivez dans votre livre "Affronter" : "Le temps embellit toujours le passé." De Mitterrand, on retient, malgré certaines ombres, une présidence glorieuse. La vôtre a été plutôt laborieuse…
Oui, je le reconnais. Mais il faut rappeler que François Mitterrand arrivait après 23 ans d’opposition ; des changements importants devaient être opérés, je pense à l’abolition de la peine de mort. Mais il a connu, lui aussi, des épreuves, des tournants de la rigueur, la lutte contre l’inflation, qui l’ont conduit à faire des choix douloureux pour ses électeurs. Il a aussi vécu des impopularités très fortes. Ce qui compte, c’est la trace qu’on laisse dans l’Histoire.
Que retiendra-t-on de votre présidence ?
Le mariage pour tous, l’accord sur le climat en 2015, les choix économiques qui ont permis aux entreprises de survivre à la crise, mes réactions après les attentats.
Votre plus grand regret ?
Cela reste de ne pas m’être représenté. J’ai regretté d’avoir fait ce choix si tôt, le 1er décembre 2016. Ce fut un moment douloureux que de renoncer à défendre mon bilan devant les électeurs.
À refaire ?
J’attendrais le mois de février. Les circonstances étaient déjà plus favorables.
Pourquoi ne pas vous représenter maintenant ? Ne le regretterez-vous pas, à nouveau, dans dix ans… ?
Nous en reparlerons alors…
Avez-vous aimé le pouvoir ?
J’ai aimé exercer la fonction présidentielle dans une période où j’ai pensé qu’il valait mieux que ce fût moi plutôt qu’un autre. J’ai tout fait pour maintenir l’unité du pays. J’ai dû faire des choix qui ont pu froisser mes partisans. C’est la responsabilité du pouvoir qui l’exige.
Le pouvoir isole…
Trop. C’est un problème français. Ce n’est pas tant lié à l’élection du président de la République au suffrage universel qu’au fait que le Président n’est pas le chef de la majorité parlementaire, c’est le Premier ministre. Cela le conduit à ne pas être aussi proche du terrain dont il est issu. Pour des raisons compréhensibles de sécurité, le Président vit à l’Élysée. Il en souffre. Tous les Présidents en ont subi les conséquences. À un moment, il apparaît lointain, inaccessible, cela lui coûte. Raison pour laquelle je plaide pour un régime présidentiel qui suppose la suppression du poste de Premier ministre.
François Mitterrand s’accordait une grande liberté, se promenait en rue, allait voir les bouquinistes sur les quais de la Seine…
S’il était Président aujourd’hui, il ne pourrait plus faire du golf le lundi matin ou partir le midi en hélicoptère pour aller déjeuner avec quelques amis, avoir la vie privée telle qu’il l’avait organisée. Les chaînes d’informations en continu, les réseaux sociaux ne permettent plus cette liberté. Il serait filmé en permanence. Par des citoyens.
Chez François Mitterrand et chez vous, il y a toujours eu cette irrésistible envie de séduire…
C’est lié à la politique. Si vous ne voulez pas séduire, convaincre, vous manquez à votre ambition et même à votre fonction. Candidat, on est aimé ; Président, on l’est moins. Si j’ai fait de la politique, c’est sûrement pour être aimé.
Vous avez été aimé par vos parents, vos proches…
Oui, mais cela ne me suffisait sans doute pas. Je voulais être aimé par mes camarades, par les gens que je rencontrais. Être aimé, non pas pour moi-même, mais pour les idées que je portais.
Il y a la séduction de l’électeur. Et la séduction des femmes. Le pouvoir est-il aphrodisiaque ?
Ce charme, si c’en est un, préexiste à la fonction présidentielle.
Qui est responsable de l’affaiblissement du pouvoir politique et de la démocratie ?
La première responsabilité est du côté des forces politiques. En France, les corps intermédiaires, les grandes associations, le syndicalisme, les partis connaissent une désaffection. Si la Belgique est moins touchée par la crise démocratique, c’est parce que votre pays a conservé des structures de concertation et de dialogue qui fonctionnent plutôt bien. C’est ce que la France a laissé décliner. Les partis politiques ne croient plus en eux-mêmes, à tel point qu’ils organisent des primaires pour choisir leur candidat…
Les citoyens sont-ils aussi responsables ?
Il n’y a jamais eu autant de partis, autant de candidats à l’élection présidentielle et, pourtant, l’abstention est forte. Et les gens disent qu’ils ne sont pas satisfaits par l’offre présentée. Au moment où les talibans se réinstallaient en Afghanistan, des manifestants ont pu dire que la France était une dictature sanitaire. Les citoyens doivent se réconcilier avec leurs institutions. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit des livres pour les jeunes, pour expliquer ce qu’est la République, l’État, la laïcité.

"Les Français ne s’aiment pas suffisamment…"
Dans votre livre "Affronter", vous écrivez : "je suis heureux d’être français" , "j’ai encore la chair d e poule quand j’entends ‘La Marseillaise’". Les observateurs étrangers ont pourtant le sentiment que les Français sont toujours mécontents.
Les Français ne s'aiment pas suffisamment et ne sont pas assez conscients de l'image de leur pays. À ces Français, un peu exaspérés d'eux-mêmes, je demande souvent : "Dans quel autre pays voudriez-vous vivre ?" Mes concitoyens sont paradoxaux. D'une part, ils sont inquiets de leur supposé déclin ou déclassement, de leur place dans l'Histoire ou dans le monde. Et, de l'autre, ils sont fiers et ne supportent pas que la France soit attaquée.
Que dites-vous aux grognons ?
Aimez votre nation pour ce qu’elle est aujourd’hui, pour ce qu’elle peut apporter à l’Europe et au monde, aimez votre culture, votre langue, votre économie, vos entreprises. Aimez-vous, tout simplement… Je pense que la gauche n’a pas suffisamment cultivé l’esprit patriotique.
Vous écrivez aussi : "La démocratie est malade non pas de langueur mais de rancœur…"
Oui, il y a une fatigue de débats qui n’en finissent jamais, des confrontations inutiles ou blessantes. Mais il y a aussi de la rancœur. Chacun pense qu’il ne reçoit pas suffisamment de la nation et que d’autres en profitent plus largement. Une sorte de jalousie s’est installée dans le corps social. Malgré toute la redistribution qu’implique la solidarité nationale, chacun va chercher ce qu’il n’a pas encore obtenu. Avec une multiplication des revendications catégorielles.
Les candidats promettent beaucoup…
Je les mets en garde : ne promettez pas à chacun ce qu’il n’espère même pas. Portez un projet global, donnez le sens, la direction, apportez une vision de ce que peut être la France demain. Ne distribuez pas des cadeaux qui ne seront jamais suffisants.
Vous affirmez que la social-démocratie est la mieux placée pour opérer la grande mutation qu’imposera la crise climatique. Mais la social-démocratie a longtemps ignoré l’urgence climatique…
Elle ne l’a sans doute pas suffisamment prise en compte. Sans doute la social-démocratie a-t-elle pensé que la lutte contre le capitalisme et ses excès suffisait pour éviter la prédation sur la planète, sans bien mesurer que tout ce qui s’était fait avait conduit à un réchauffement et à une altération de nos équilibres naturels. La social-démocratie ne doit pas repeindre ses politiques en vert mais assurer le changement réel. Et le faire maintenant.
Mais vous rejetez l’idée de décroissance…
La décroissance nous empêcherait d’avoir suffisamment de richesses pour employer, distribuer et répartir. Comment assurer les services publics, la santé, l’éducation si nous n’avons plus les moyens de les financer ? Mais, bien sûr, il faut que cette croissance, décarbonée, ne soit pas destructrice.
Un élément important vous distingue des socialistes belges : le nucléaire. Vous parlez du "mensonge " de la sortie du nucléaire. Paul Magnette, président du PS en Belgique, veut fermer rapidement toutes les centrales.
Paul sera bien content que ses amis français continuent de défendre le nucléaire ! Pour approvisionner la Belgique en électricité, il faudra bien que le nucléaire français en produise. Et pas le charbon allemand. Ni le gaz russe. Ce n’est pas être écologiste que de vouloir consommer plus de gaz ou de charbon au prétexte que le nucléaire ne serait pas une énergie sûre. Il faut évidemment garantir la sécurité des installations, c’est la première exigence. Il faut aussi monter les énergies renouvelables au maximum de ce que nous pouvons faire, avec des coûts qui ne soient pas excessifs. Mais, pour la phase de transition, nous avons absolument besoin du nucléaire. Je ne dis pas qu’il faille construire de nouvelles unités mais bien changer les réacteurs et les prolonger.
La gauche française est divisée sur de nombreux sujets. Certains, à gauche, pratiquent le "y’a qu’à"… Annuler la dette, par exemple…
Ah, les magiciens de l’annulation de la dette ! Ils entretiennent une utopie qui n’est pas accessible. Penser qu’on peut dépenser tout l’argent et que personne ne viendra exiger le remboursement… ! Quand j’étais enfant, je pensais que la vie était simple, qu’il suffisait de signer des chèques, jusqu’au jour où mes parents m’ont dit que cela correspondait à ce que l’on avait sur un compte en banque.
Dans un éditorial récent, Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste au "Point ", écrit : " La droite doit se méfier de sa droite et la gauche de sa gauche… "
Exact. La gauche radicale n’a jamais rien produit, rien conquis, rien permis. La gauche de la gauche est un fardeau pour la gauche de gouvernement. Qu’est-ce qui empêche la gauche de gouverner ? C’est bien sûr la droite et tous ceux qui ne veulent pas qu’elle accède aux responsabilités. Mais c’est aussi une partie de la gauche qui préfère être dans une opposition radicale plutôt que dans un gouvernement où il faut faire des compromis. Gouverner, c’est affronter la réalité. C’est la raison pour laquelle c’est la force qui fait l’union. Je le dis aussi : ce n’est pas gouverner qui est trahir, c’est renoncer.
Le PS français est moribond. Vous n’êtes pas étranger à son effondrement…
J’ai quitté la direction du PS en 2008 ; en 2012, j’ai gagné les élections présidentielles…
Qui a tué le PS, alors ?
Ceux qui n’ont pas respecté la discipline. Je pense aux frondeurs. Être dans un parti, c’est nourrir des débats mais aussi accepter le principe majoritaire. Ceux qui ont affaibli le PS, ce sont ceux qui ont perdu confiance dans le PS, qui ont oublié ses acquis. Ceux qui ont pensé que les autres, les écologistes ou les insoumis, pouvaient avoir des droits sur nous. Quand j’ai été candidat, nous ne nous sommes pas séparés de ceux qui avaient été mes rivaux dans la primaire. Mais la génération suivante n’a pas été à la hauteur. Ainsi, Benoît Hamon a quitté le PS au lendemain de ses 6 %… ! Et d’autres, parfois les plus à gauche, ont rejoint Emmanuel Macron.
La gauche ne représente plus guère les catégories populaires…
C’est le grand problème de la social-démocratie, partout en Europe. Elle a laissé les populistes utiliser la peur provoquée par la mondialisation et par l’ouverture des frontières. Sans doute n’avons-nous pas défendu suffisamment l’Europe auprès de ces catégories et expliqué que le monde était ouvert mais qu’il fallait les accompagner par un vaste effort de formation professionnelle.
Des sujets comme la sécurité et l’immigration ont été négligés, peut-être, par la gauche…
Ces sujets occupent l’essentiel du temps médiatique mais ils sont bien réels. Les ignorer est une faute. Les exploiter en est une autre. La gauche doit montrer qu’elle est ferme, claire et humaine.
Il n’y aura pas de vote utile à gauche…
C’est ce qu’Anne Hidalgo doit créer pour éviter que le vote pour le PS ne soit pas seulement un vote d’estime, de récompense, de soutien, mais un vote de victoire.
C’est trop tard pour 2022…
Non, je ne crois pas… même si certains sont déjà en train de préparer 2027.

"Rien n’est joué à cinq mois du scrutin"
Parmi les portraits que vous dressez dans votre livre, le plus dur est celui que vous consacrez à Emmanuel Macron….
Je n’ai pas de rancune, ni de comptes à régler, avec mon successeur, qui a été mon collaborateur et mon ministre. Mais j’estime que, même s’il a fait face à une crise qui a privé son mandat d’un temps précieux pour des réformes, il a manqué d’une ligne directrice. Travailler avec la gauche et la droite pouvait être en 2017 une habileté, mais sa présidence a été marquée par des changements de pied sur beaucoup de sujets. Il n’a pas contribué à recomposer la vie politique alors qu’il avait été un agent de sa décomposition. Mais je ne veux pas l’accabler. Je m’adresse aux autres forces politiques : vous ne pouvez reprocher à Emmanuel Macron ce que vous n’avez pas fait vous-mêmes… S’il y avait des alternatives politiques sérieuses, il serait plus en difficulté qu’il n’est et les populistes n’en seraient pas là. Au moins dans les sondages.
Vous écrivez qu’il est en train de réaliser le deuxième mandat de Nicolas Sarkozy…
Oui, pour partie : la suppression de l’impôt sur la fortune, la baisse de l’impôt sur les revenus du capital, les ordonnances travail, les lois nouvelles sur l’immigration, alors que les textes existants étaient suffisants… Il lui sera difficile de se distinguer de la droite et réciproquement. Comme le centre droit va vers la droite, la droite va vers l’extrême droite, ce serait bien que la gauche reste ce qu’elle doit être.
La France se droitise… ?
Sur l'immigration, il est légitime que des réponses soient cherchées. Je ne mets pas cette nécessité en cause. Quand il y a des problèmes, il faut les régler. Mais, dès qu'il y a une crise, c'est vers la social-démocratie que les gouvernements, même les plus libéraux, vont chercher des solutions. Lors de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a mis en œuvre le "quoi qu'il en coûte" et il a découvert le rôle de l'État et même la planification.
Si, au second tour, Emmanuel Macron est opposé à un candidat de droite, pour qui appellerez-vous à voter ?
J’attends d’être dans cette hypothèse. Je prendrai mes responsabilités. S’il est opposé à un candidat d’extrême droite, j’appellerai tous les Français, non pas à faire simplement barrage, mais à exprimer un choix de société.
Soyez clair : si Emmanuel Macron est opposé, au second tour, à Xavier Bertrand ou à Michel Barnier, quelle consigne de vote donnerez-vous ?
Nous n’en sommes pas là et sera-t-il lui-même au second tour ? Rien n’est joué à cinq mois du scrutin.
Vous écrivez qu’Éric Zemmour n’a pas d’avenir politique. Mais n’a-t-il pas déjà gagné son pari ?
Le danger de Zemmour n’est pas qu’il devienne Président, je veux rassurer mes amis belges. Mais ses paroles, ses thèmes ont envahi le débat public. La droite ne s’en distingue pas nettement. À l’extrême droite, c’est la surenchère.
Même Arnaud Montebourg y est allé…
Il n’est jamais en mal d’une bévue !

"Je n’ai pas pu achever l’ultime réconciliation avec mon père"
Comment vous ressourcez-vous ?
En Corrèze, au contact avec les gens. J’ai été, en quelque sorte, enfermé pendant cinq ans. Ce qui me ressource, c’est de voir du monde.
Vous avez plaidé pour la retraite à 62 ans. À 67 ans, toujours actif, vous êtes en infraction !
En politique, il n’y a pas de retraite possible, c’est jusqu’au dernier souffle.
Vous avez eu une éducation catholique, dont vous dites que c’était une bonne expérience…
J’ai fait ma propre philosophie de la vie, tout en ayant beaucoup de respect pour ceux qui ont la foi.
En qui, en quoi croyez-vous ?
Je crois dans le combat pour une humanité digne. Et je pense que cette quête n’est pas finie… Elle peut connaître des revers ou même des régressions. Le XXe siècle en est l’illustration terrible.
Optimiste malgré tout ?
De nature, oui. Mais de volonté aussi. Je constate une vitalité, un engagement, une volonté dans les nouvelles générations, je les mesure dans la Fondation que je préside. La jeunesse est très impliquée dans l’économie sociale et solidaire, dans l’innovation. Il y a de l’espoir.
Vous dédiez votre livre à votre père, décédé pendant le Covid...
Oui, je n’ai pas pu achever cette ultime réconciliation. Mon père avait 96 ans, un âge respectable pour partir. Mais entre un parent et un enfant on a toujours des choses à se dire jusqu’au dernier souffle. Il se préparait à son départ mais il n’a pas pu prononcer ces mots-là. Et moi non plus. Ces mots d’amour que l’on dit à ses proches quand ils s’en vont… Pour beaucoup de familles, ces départs sans échanger ont été une douleur supplémentaire. Mon père pensait avoir tout vu, il était catastrophiste. Il n’avait pourtant pas imaginé une pandémie mondiale !
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Souvent. Je la repousse mais j’ai pris conscience de son existence lorsque j’ai perdu mes parents et mon frère.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Il y a la vie des suivants, c’est déjà beaucoup.
Qu’est-ce qui vous a construit ?
La chance que j’ai eu de représenter mes concitoyens, d’être le porte-parole d’un certain nombre de causes. Ce sont les autres qui m’ont construit. Je leur dois beaucoup, d’être ce que j’ai été et de ce que je suis encore aujourd’hui.
Êtes-vous un homme heureux ?
Sur le plan personnel, oui. Mais malheureux de voir le pays auquel je suis si attaché, la France, être dans un état d’épuisement démocratique, avec des populistes qui influencent un tiers du corps électoral.
Si je vous tends un miroir, que voyez-vous ?
Je me revois enfant, j’ai toujours le même sourire… Le reste importe peu.