Catherine Nay: "Aujourd’hui, on va au commissariat dès qu’un homme vous fait un compliment…"
Elle a connu tous les derniers présidents français, jusqu'à assister à une scène de ménage glaçante dans la voiture des Mitterrand. Voici un entretien exceptionnel avec la grande journaliste française Catherine Nay.
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Publié le 23-01-2022 à 08h34 - Mis à jour le 24-01-2022 à 16h46
Il n'est pas facile de se hisser à la hauteur de Catherine Nay, D'abord, pour des raisons de taille. Petite, elle était déjà grande, elle a toujours dominé ses camarades. Ensuite, surtout, parce qu'elle est devenue, au fil des ans, cette grande journaliste française, autrice de nombreux livres consacrés aux hommes politiques. Sa plume pointue, alerte, cruelle est autant admirée que redoutée. Elle a, comme nul autre pareil - Alain Duhamel peut-être -, cette admirable capacité à décrire en quelques mots non seulement les idées politiques, le raisonnement, les références, les engagements, les promesses des responsables politiques, mais aussi ces quelques détails qui d'emblée fixent une image. "Quand on écrit, dit-elle, il faut percer les personnages, les faire vivre, avoir un regard aigu sur les gens." Ce goût lui vient de la lecture, jeune, de Madame Bovary, de Flaubert, dont elle récite encore des passages : "La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire."
Catherine Nay vient de publier le deuxième tome de ses Mémoires ("Souvenirs, souvenirs. Tu le sais bien, le temps passe" Éd. Bouquins. 24 euros). Un livre, un délice : instructif, drôle, original. Émouvant aussi. Car il y a deux histoires dans cet ouvrage. L'histoire française, bien sûr, mais aussi l'histoire de sa vie avec Albin Chalandon, qui fut notamment ministre de la Justice. Elle a détesté Mai 68, parce qu'elle était gaulliste. Mais aussi parce que les barricades lui imposaient d'éprouvants détours pour rejoindre son grand amour. Décidément, tout est grand chez Catherine Nay.
Entretien
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Une famille aimante, unie, des parents qui s’entendaient bien. C’était une trinité, ma grand-mère maternelle était là aussi. Je l’aimais beaucoup. Nous avions des consignes strictes mais aussi pas mal de liberté. Mon enfance a été agréable. Nous vivions à Périgueux dans une société où tout le monde avait le même mode de vie. Il n’y avait pas de violence. On ne fermait pas les portes à clé la journée. C’était l’insouciance.
Pourquoi avez-vous quitté Périgueux ?
Parce que j'étais trop grande ! Lors de la communion solennelle, je mesurais déjà un mètre soixante-dix. À la sortie de la cathédrale, les garçons criaient "Vive la mariée !" Cela m'a beaucoup perturbée, traumatisée même. Je me suis dit que mon format ne convenait pas à la Dordogne. Le fait d'avoir été aussi grande était, pour mes parents, un préjugé de maturité. J'ai toujours été adulte.
Votre vocation de journaliste est née très tôt…
Je la situe dans un train. Je devais avoir 13 ans. Je voyageais avec ma mère et mes frères. J’ai vu une jeune femme sortir du compartiment voisin, s’accouder à la barre en cuivre, baisser la vitre, fumer. Elle était perdue dans ses pensées. Pour moi, elle incarnait la femme libre, contente, épanouie. L’odeur du tabac blond emplissait le train. Je la regardais voyageant seule sans ses frères, sans sa mère. Je me suis dit : elle doit être journaliste. Je n’ai donc pas voulu être journaliste pour écrire et partir en reportage. Non, ce qui m’attirait, c’était cette notion de liberté que j’avais en moi.
Plus tard, vous êtes "montée" à Paris…
J'ai préparé à HEC JF (haut enseignement commercial pour jeunes filles). Je n'ai pas obtenu mon diplôme, mais j'y ai appris une chose essentielle : le résumé de textes… J'étais très forte, j'adorais cela, je pouvais en faire toute la journée. Cela donne l'esprit de synthèse. Mon rêve était d'entrer à L'Express ; j'ai postulé et j'ai été engagée. Et j'ai eu la chance de travailler avec Françoise Giroud.
Vous en faites un portrait attachant mais cinglant…
C'était une femme extraordinaire. Elle nous a appris à bâtir un article avec une ouverture, une conclusion. Elle disait qu'il fallait attaquer vite pour que le lecteur soit tout de suite captivé : "À quoi cela sert-il d'avoir du talent à la cinquième phrase… ?" Cela est toujours valable.
Ce n’est pourtant pas elle qui vous a engagée ?
Non, c'est le patron de L'Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber. C'est d'ailleurs lui, et non Françoise Giroud, qui a voulu qu'il y ait des femmes dans la rédaction de L'Express. Elle se pliait toujours aux volontés de Jean-Jacques. Elle avait eu une véritable passion pour lui. On connaît l'histoire, elle a voulu se suicider lorsqu'il s'est marié. Jean-Jacques pensait que les femmes étaient plus subtiles que les hommes pour mettre de la patte humaine dans les papiers de son newsmagazine, qu'elles étaient mieux aptes à saisir leurs interlocuteurs, à les décrire physiquement. Le costume, les chaussures étaient déjà des indications. On en retirait une impression, une connaissance sur les origines sociales. Une leçon que je n'ai pas oubliée. Il ne faut pas rester derrière la vitre pour comprendre ceux auxquels on a affaire, pour intéresser le lecteur. J'ai appris que l'intelligence ne fait pas tout et que, pour comprendre, il y a la vie et surtout le caractère. Notre démarche était neuve et en même temps très professionnelle.
À l’époque, les hommes politiques avaient l’habitude de vous raconter leur bonne fortune amoureuse…
Après Mai 68, un vent de liberté a soufflé. Bien sûr, ils tentaient leur chance. Mais c'était sur l'air de " Tu veux ou tu veux pas ?" Et si c'était non, tant pis, on passait à autre chose. Ils n'insistaient pas, ce n'était pas lourd. Ma taille a sûrement fait que l'on ne me bousculait pas facilement. Elle m'a protégée. À l'époque, les hommes politiques se confiaient volontiers, racontaient leur malheur privé, leur bonheur, leur bonne fortune. Il y avait cette grande liberté. Et une légèreté qui a disparu.
Il vous est quand même arrivé d’en gifler un…
Oui, mais un seul. Je n’aurais pas eu l’idée d’aller porter plainte. Aujourd’hui, dès qu’un homme vous fait un compliment, on va au commissariat. Je regrette que les rapports entre hommes et femmes ne soient plus ce qu’ils étaient. Certains hommes évitent de monter dans un ascenseur avec une femme parce que leur sourire pourrait être pris pour une agression et ils ont peur. J’ai toujours vécu dans des lieux où la mixité ne posait aucun problème. Les rapports étaient faciles, amicaux. Je n’ai jamais constaté de conduite qui pouvait être désobligeante et j’ai toujours travaillé en très bonne entente avec eux. Il y avait de la confiance. Il y avait des hommes qui avaient des comportements un peu lourds. Mais, à lire la presse d’aujourd’hui, on a l’impression que cela s’est généralisé. Les mouvements actuels, MeeToo et autres, ont sans doute mis un frein à des abus qu’il fallait évidemment dénoncer, mais il y a des exagérations, des dénonciations. Aujourd’hui, c’est la chasse aux sorciers. L’homme est-il devenu un ennemi ? Moi, je n’y souscris pas.
Vous avez fini par quitter " L’Express ". Pourquoi ?
J'avais adoré travailler avec Claude Imbert, le patron de la rédaction de L'Express. Lorsqu'il a créé Le Point, il m'a demandé de le suivre. J'ai préféré faire autre chose et je suis entrée à Europe 1 car, si j'étais restée dans un hebdo, je n'aurais peut-être jamais écrit. Le talent de Françoise Giroud me bloquait et elle avait fait entrer un rewriter pour donner un style au journal. Tout le monde recourait à ses services et moi aussi. En arrivant à Europe 1 , il n'était pas question que mon papier ne soit pas prêt au moment de passer à l'antenne. Cela m'a débloquée. J'ai été engagée au service politique d' Europe 1 par Étienne Mougeotte, qui était un excellent parton.
C’est à Europe 1 que vous vous êtes fait vraiment connaître, votre édito matinal était très écouté…
J'ai beaucoup aimé travailler à Europe 1 , notamment avec Gérard Carreyrou, Robert Namias, Alain Duhamel. Quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, il a voulu qu'Europe 1 , radio de tendance centre droit libéral, devienne une radio de gauche. Beaucoup, dont Étienne Mougeotte, ont dû partir. Moi, j'ai survécu parce qu'à l'époque je n'étais qu'un petit rouage dans le service politique. Je n'étais pas encore éditorialiste. Ce furent des années difficiles parce que l'Élysée exerçait des pressions incessantes sur la direction. Un exemple. Lorsque Mitterrand et Kohl se sont donné la main, à Verdun, c'était un très beau geste politique de deux hommes qui avaient connu et souffert de la guerre. Mais, moi, j'avais souligné que le rapport entre leurs deux silhouettes était hélas aussi celui de nos deux économies et que cette photo était aussi humiliante. Inutile de vous dire que le papier n'avait pas du tout été apprécié à l'Élysée, et on me l'avait fait savoir. Dès 1994, et pendant douze ans, j'ai eu la responsabilité d'un édito quotidien le matin. Entre-temps, j'ai aussi publié plusieurs livres. Je suis toujours restée à Europe 1 , c'était ma maison, ma famille. J'ai repris un édito le vendredi et, chaque samedi, je participe à l'émission Les Grandes Voix.
Vos livres grouillent de détails politiques et croustillants.
C’est ce que j’appelle la vie. Depuis des années, j’ai des carnets emplis de choses vues et entendues. Je n’ai jamais été prise en défaut. C’est un gros travail de vérification.
Vos portraits sont souvent cruels. Faut-il être féroce pour être crédible ?
Je n’ai pas le sentiment d’être féroce ! Je veux être juste et aiguë. Certains personnages m’inspirent et, dans ce cas, je me laisse guider par ma plume. J’ai eu la chance d’avoir affaire à des gens hors norme qui motivaient mon intérêt et me donnaient l’envie de les étudier au scalpel.

Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Hollande, Sarkozy…
Vous avez du respect pour Georges Pompidou…
J’étais fascinée par le personnage, son charisme compact, ses gros sourcils qui soulignaient les orbites où pointaient les yeux verts ourlés de cils noirs. Tantôt un œil vous regardait avec un air canaille tandis que l’autre œil était presque cruel. Il émanait de lui une autorité incandescente, une force. Et il avait un projet pour la France : son industrialisation. Il jugeait que, pour rayonner dans le monde, prêcher l’universalisme, il fallait que la France soit d’abord une grande puissance économique. J’adhérais à cette idée-là. J’ai regretté qu’aucun de ses successeurs ne reprenne ce thème, pas même Jacques Chirac, son disciple. On n’imaginait pas qu’en Mai 68 il était déjà malade. À l’époque, on lui aurait acheté sa santé. On a commencé à avoir des doutes au début de son septennat, qui sera abrégé par son décès. Il était volontiers irascible, sans doute parce qu’il souffrait beaucoup.
Valéry Giscard d’Estaing avait un esprit réformiste, mais vous vous moquez un peu de son obsession nobiliaire…
En 1929, son père – qui voulait ajouter une particule à Giscard —, avait songé à “de la Tour Fondue”. Avec un nom pareil, son fils n’aurait jamais pu être élu Président ! Giscard a conduit de grandes réformes. Mais son style m’agaçait. Un exemple. Quand Pompidou est devenu très malade, son traitement à la cortisone lui déformait le visage et le corps, Giscard se montrait chaque semaine torse nu, au milieu des joueurs de football, en short au tennis ou glissant sur les pistes de ski. Son message aux Français était clair : regardez comme je suis en bonne santé. Façon subliminale de préparer la succession. Avec lui, le corps est arrivé dans la communication. C’était nouveau.
François Mitterrand vous glaçait…
J’étais très mal à l’aise avec lui. Il était intimidant et mettait de la distance. Quand je suis arrivée à L’Express, c’est Michèle Cotta qui s’occupait de la gauche. C’était sa chasse gardée. Moi, je ne m’occupais que des gaullistes. À Europe 1, j’ai découvert le PS, son fonctionnement avec les courants. J’ai compris qu’à chaque congrès la composition des courants était en réalité la mise en adéquation du pouvoir personnel de Mitterrand. Il fallait décrypter. Mais, au début, j’étais intimidée par cet homme qui flanquait la trouille à tout le monde. Il pouvait se faire enveloppant avec des amis puis ne plus donner de nouvelles, ce qui les mettait dans un état de dépendance totale. Mitterrand était très florentin. Il avait une cour. C’était un monarque dans l’âme. En 76, au retour du mariage d’une amie en province, les Mitterrand m’ont ramenée dans leur voiture. Un souvenir terrible. Le chien me mordait les chevilles. Entre Mitterrand, assis à côté de son chauffeur, et Danielle, installée derrière avec moi, il y avait une tension palpable. Personne n’a prononcé un mot pendant tout le voyage ! Mazarine était née quelques mois plus tôt. Danielle le savait. Son mari ne lui avait rien dit. Elle en souffrait, lui en voulait beaucoup. C’était une scène de ménage silencieuse, effrayante, car tout le monde étouffait dans la voiture.
Jacques Chirac était le moins vaniteux…
Après un discours, il prenait plaisir à se déprécier : “J’ai été mauvais comme un cochon.” Il cachait sa grande culture. Il se passionnait pour des choses qui n’intéressaient pas les Français, les combats de sumo, par exemple. Là, il était incollable. Il a eu une vision multipolaire du monde dès l’enfance. Il allait au musée Guimet, musée des Arts asiatiques, pour rêver. Il s’est ensuite intéressé aux arts premiers, jusqu’à pratiquement tout connaître, mieux que les experts. Pour lui, un masque du Bénin valait bien un Rembrandt. Il connaissait mieux les dynasties japonaises et chinoises que l’histoire de France. C’était, au fond, un homme triste. Une fois élu à l’Élysée, il s’y est enfermé. Il en sortait très peu. Il regardait ses diapositives de bols raku japonais. On comprenait pourquoi Bernadette allait dîner ailleurs. Chirac était volage. Bernadette s’en est toujours plainte. Mais elle a tenu son rôle et adorait être première dame de France. Et, surtout, elle a conspiré à la réélection de son mari en 2002. Avec ses pièces jaunes, elle était très populaire. Conseillère de Corrèze, elle connaissait bien le pays profond, mieux que son mari. C’était une femme politique. Elle pouvait être très snob et en même temps authentique, à l’aise partout. Avec les têtes couronnées et tous les gens qu’elle rencontrait.

Nicolas Sarkozy reste votre préféré…
Je l’ai vu éclore au congrès de Nice en 1975. Il a pris la parole après Debré, une gageure. J’ai vu monter ce petit jeune homme aux cheveux longs qui avait déjà une puissance vocale et surtout une capacité à capter l’auditoire. Mais, ce jour-là, je ne me suis pas dit qu’il serait Président. Je l’ai vu progresser. Il a été élu maire de Neuilly et député contre l’avis de Chirac. Mais il est aussi devenu l’homme dont Chirac avait besoin, pour organiser ses meetings, lui trouver des formules, des idées. Puis il s’est rapproché d’Édouard Balladur parce que, derrière cette image de “chaise à porteur”, compassé, Balladur était avant tout un homme subtil, inspirant, qui réfléchissait. Chez Balladur, Sarkozy a trouvé un mentor, un homme qui le formait. Il lui a beaucoup appris, sur tous les sujets de fond. Sarkozy est devenu un homme politique grâce à Édouard Balladur.
Sarkozy a confié que le jour de son élection avait été la journée la plus triste de sa vie.
Le jour de son élection, il a compris que son couple avec Cécilia était condamné alors que tout son projet de vie était d’arriver avec elle à l’Élysée. Il avait conquis Cécilia de haute lutte. Mais il était tellement obsédé par sa propre carrière, empli de cette rage d’arriver, que Cécilia en avait peut-être assez. Elle en a eu marre et elle a rencontré Richard Attias, un publicitaire, qui lui parlait d’autre chose, l’invitait en voyage, la faisait parler. Elle est tombée amoureuse, ce sont les accidents de la vie. Elle a pourri les premiers mois du quinquennat : le Fouquet’s, le bateau Bolloré, les vacances américaines, c’est elle. Sarkozy a fini par accepter le divorce, mais il était devenu pour les Français le Président bling bling. Il a vécu le martyre avec elle. Sa rencontre avec Carla Bruni est la chance de sa vie.
Curieusement, vous parlez peu de ses ennuis judiciaires…
On n’a rien prouvé jusqu’ici. Les enquêteurs, qui ont dépensé des sommes folles en billets d’avion pour chercher des preuves, n’ont rien trouvé. Moi, je retiens que Nicolas Sarkozy a eu une présidence européenne époustouflante en 2008, où il a géré de main de maître la crise financière. Mais il s’est souvent fait du tort à lui-même par des petites phrases inutiles car blessantes. Il n’a pas su régler le conflit entre son intelligence hors norme et son tempérament trop fougueux.
Vous n’avez jamais cru en François Hollande ?
Je suis d’accord avec Bernadette Chirac, qui avait dit à son sujet : il n’en a pas l’envergure. François Hollande est un homme agréable, drôle. Mais je l’ai toujours vu comme un commentateur, il aurait fait un bon journaliste. C’est l’anti-sarkozysme qui l’a élu. Je crois que si Nicolas Sarkozy avait eu quinze jours de campagne en plus, il aurait pu gagner.

“Rien ne se passe jamais comme prévu en politique”
Vous parlez peu d’Emmanuel Macron
Je n’ai pas de souvenir avec lui.
Cette campagne est étrange…
Depuis que je suis journaliste, rien ne se passe jamais comme prévu en politique. Le metteur en scène caché de chaque élection présidentielle nous offre à chaque fois un scénario inédit. Donc il va se passer quelque chose. Il y a trois mois, je n’aurais pas imaginé que Valérie Pécresse serait la candidate des Républicains. Beaucoup trouvaient que Michel Barnier avait une tête de Président, mais il a raté sa primaire. Xavier Bertrand est parti trop tôt, il a pensé que tout le monde viendrait lui baiser la babouche. Valérie Pécresse a certains avantages. C’est une femme. Présidente de région, elle a montré ses compétences. Elle dit d’elle : “Je suis une dame de faire.” Sa chance, c’est que tout son parti est derrière elle. Alors qu’Emmanuel Macron apparaît plus seul. Il n’a pas cette force de frappe.
La base des Républicains n’est-elle pas favorable à Emmanuel Macron ?
Non, je ne le crois pas. Cet électorat est prêt à suivre Valérie Pécresse, encore faudrait-il qu’elle devienne un peu moins “sortie de messe à Versailles”. Mais, dès que l’on devient candidat, on change. C’est comme l’élection de Miss France. Le jour de l’élection, on la trouve moyenne. Un an plus tard, c’est la plus belle de toutes…
La gauche est en miettes…
Comment la gauche a-t-elle pu tomber si bas, entre 22 et 25 % des voix, soit près de 10 % en moins qu’il y a cinq ans ? C’est l’explosion totale. Tout est à reconstruire et je ne sais pas autour de qui. Dans trois mois, Mélenchon sera Président… ou à la retraite
Il y a deux histoires dans votre livre. L’histoire politique et votre histoire personnelle, celle de votre amour avec Albin Chalandon, qui fut député, ministre. Certaines journalistes ont démissionné pour pouvoir vivre avec un homme politique…
À l’époque, je n’étais pas une journaliste de premier plan. Et il n’y avait pas de presse people, pas de tweets, pas de réseaux sociaux. Le secret était possible. Quand je suis devenue un peu connue, Albin n’était plus en politique. Aujourd’hui, la journaliste Anna Cabana, une très bonne journaliste, vit avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation. Cela ne fait pas d’histoires. Ils sont très discrets. On n’en parle pas.
Cette proximité avec Albin Chalandon ne vous paraissait-elle pas problématique ?
Sur le plan professionnel, en aucun cas. Quand j’ai connu Albin, il n’était pas ministre, il venait d’être élu député. C’est l’histoire d’une rencontre. Françoise Sagan, à qui l’on disait “vous n’avez jamais couché avec un ouvrier”, répondait : “C’est vrai, parce que je n’en connais pas !” C’est ainsi. On tombe toujours amoureuse de gens que l’on rencontre. Pour un ou une journaliste, ce sont soit des confrères, soit des hommes ou des femmes politiques. Non… ?
Albin Chalandon a vécu avec vous tout en restant marié avec une autre femme…
Cela ne m’a jamais dérangée, je ne lui ai jamais demandé de m’épouser. Il vivait avec moi et allait le dimanche chez sa femme. Cela m’allait très bien pour aller aux puces, voir mes amis. C’était notre mode de vie. Lorsque sa femme est morte, dès le lendemain, il m’a demandé si je voulais l’épouser. Cela ne changeait rien pour nous. Mais cela m’a émue qu’il me le demande tout de suite. J’ai dit oui… C’était bien, il avait respecté le pacte de son engagement en se mariant à l’église.
Comment vous ressourcez-vous ?
Je marche beaucoup dans la forêt de Rambouillet. Je fais du vélo aussi.
En qui, en quoi croyez-vous ?
À la force de l’esprit. Je ne sais pas si je crois en Dieu. Albin n’est plus là, mais je lui parle tous les jours.
Un de vos frères est décédé à 23 ans. Vous écrivez que la douleur a été telle que vous n’avez jamais voulu avoir d’enfant…
Oui. C’était un si grand malheur pour ma famille que je me suis toujours dit que je ne serai pas capable de resouffrir autant. Au fond de moi, je ne voulais pas avoir d’enfant.
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Pas trop. Un peu, parfois.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Je ne sais pas, mais je crois que je retrouverai ceux que j’aime, Albin et les autres.
Qu’est-ce qui vous a construite ?
Ma mère, mon père, cette enfance.
À refaire ?
J’ai eu beaucoup de chance, j’ai aimé et j’aime toujours ce que je fais. J’ai aimé un homme. Il est parti. Quand il était là, je me sentais protégée. Maintenant, il m’arrive de me dire : qu’est-ce que je fais de ma vie ? Ce livre a été ma béquille.

Bio express
1968 Engagée à L'Express, par Jean-Jacques Servan-Schreiber. Travaille avec François Giroud.
1975 Elle quitte L'Express pour Europe 1. Elle assurera pendant douze ans l'éditorial matinal. Elle sera aussi conseillère auprès du président d'Europe 1 Jean-Pierre Elkabbach. Elle participe toujours à l'émission Les Grandes Voix, le samedi matin sur Europe 1. Diverses autres contributions à Canal, Jours de France, etc.
Publications Parmi les ouvrages, citons : La Double Méprise, (Éd. Grasset, 1980) ; Le Noir et le Rouge, (Éd. Grasset, 1984) ; Les Sept Mitterrand, (Éd. Grasset, 1987) ; Le Dauphin et le Régent, (Éd. Grasset, 1994) ; Un pouvoir nommé désir, (Éd. Grasset, 2007) ; L'Impétueux, Grasset 2012 ; Souvenirs, souvenirs… : Tome 1, (Éd. Robert Laffont, 2019) ; Tu le sais bien, le temps passe : Souvenirs, souvenirs : Tome 2, (Éd. Bouquins, 2021).