Il faut actualiser la Déclaration des droits de l’homme

En 1948, elle représentait un idéal mobilisateur d’émancipation. Ne devrait-on pas y ajouter la nécessité d’un environnement sain ? Une mise à jour avec notre monde numérique ? Évitons de la commémorer (elle aura 75 ans en 2023) telle une vieille dame qui aurait fait son temps.

Contribution externe
Il faut actualiser la Déclaration des droits de l’homme
©Serge Dehaes

Par Jean-Pol Baras, auteur, ancien délégué des gouvernements de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Wallonie à Paris, ancien secrétaire général du PS.

La Déclaration universelle des droits de l’homme (*) a été adoptée le 10 décembre 1948 au Palais de Chaillot à Paris (le 10 décembre est le jour du décès d’Alfred Nobel - en 1896, dans sa villa de San Remo - si bien que la Déclaration est célébrée chaque année lors de la Journée internationale de la Paix).

Elle est le fruit d’une Commission internationale présidée par Eleanor Roosevelt (1884-1962), veuve du président des États-Unis, mort quelques jours après les accords de Yalta, le 12 avril 1945. Cette commission travailla de 1946 à 1948. Elle était composée d’une douzaine de membres venus des cinq continents. Deux Européens en faisaient partie : un Français et un Britannique. La France était représentée par René Cassin, futur directeur général de l’Unesco, diplomate qui fut un des premiers à rejoindre de Gaulle à Londres, et qui était assisté de Stéphane Hessel.

La Déclaration fut adoptée par 48 États sur 58. Il n’y eut aucun vote contre mais on enregistra huit abstentions : l’Afrique du Sud (égalité des races), l’Arabie saoudite (égalité hommes-femmes), et six assimilés à l’URSS ou inféodés : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Par ailleurs, deux États ne prirent pas part au vote : le Honduras et le Yémen.

Les modifications par rapport à 1789

Cette Déclaration se veut l’héritière de celle du 26 août 1789. Si elle comporte logiquement plus d’articles que la première (30 contre 17), elle apparaît en deçà. Deux exemples primordiaux le démontrent.

Le titre d’abord. Celle de 1789 s’intitule "Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen". Celle de 1948 se lit "Déclaration universelle des droits de l’homme". L’adjectif "universelle" est apparu mais le "[…] et du Citoyen" ne figure pas dans le titre de celle de 1948, laissant le doute sur la notion de démocratie. C’est fondamental. Stéphane Hessel précisait que René Cassin avait été quasiment seul à défendre cette fraction de titre.

L’article premier ensuite. Celui de 1789 énonce : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune", tandis que celui de 1948 dit : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité."

Le "[…] et demeurent" de 1789 comme "[…] Les distinctions sociales…" ont sauté. C’est, là aussi, fondamental.

De 58 à 200 États à l’Onu

Entre-temps, le nombre d’États reconnus par les Nations unies (Onu) frise désormais les 200 alors qu’ils étaient 58 à voter en 1948. Les puissances coloniales réduisaient déjà considérablement le nombre. Ce qui était irréalisable à 58 peut-il s’imaginer à 193 ? Assurément, non.

Modifier ces changements paraît donc impossible. En revanche, le temps passant, d’autres articles devraient être mentionnés qui concernent les grands sujets apparus depuis 1948 (la diffusion et la création culturelles, le droit de disposer de son corps, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’écologie, le numérique…). Dès la célébration du 20e anniversaire, André Malraux plaidait déjà pour une actualisation. Mais c’était en 1968, il ne fut pas très entendu.

Intégrer l’environnement par exemple

Nous nous dirigeons vers le 75e anniversaire (10 décembre 2023).

Pouvons-nous imaginer que cette Déclaration soit sur la voie de l’actualisation afin que de bonnes volontés reprennent le flambeau et qu’en son centenaire, 25 ans plus tard, elle ne soit pas commémorée ainsi qu’une vieille dame qui aurait fait son temps ?

Des références ne manquent déjà pas.

Il existe à Paris une association appelée "Nouveaux droits de l’Homme", fondée et présidée par l’avocat Pierre Bercis, que des personnalités de tous bords encouragent régulièrement. "Nouveaux droits de l’Homme" (9, rue de Verneuil, 75007 Paris) est une organisation non gouvernementale fondée en 1977. À la fin du siècle passé, Pierre Bercis eut l’idée de proposer un Titre II à la Déclaration de 1789 avec l’espoir que cette nouvelle version puisse être considérée par l’Onu. Cette proposition de Titre II reçut l’approbation d’une majorité de députés et de sénateurs français. Elle contient des articles comme : "Vivre dans un environnement sain conditionne la mise en œuvre de tous les autres droits de la personne. La protection de la diversité biologique et de l’écosystème en est la garantie" ou encore "tout homme, tout peuple a droit au respect et à l’expression de sa culture, pour autant qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de l’homme reconnus universellement." Un peu plus de vingt ans plus tard, il y aurait déjà lieu d’actualiser (le numérique, par exemple, en est naturellement absent). C’est dire !

Dévoiement de l’humanisme universaliste

Dans son édition du 15 juin 2017, l'hebdomadaire Le Point publiait une tribune de l'écrivain et essayiste franco-américain Guy Sorman intitulée "Les droits de l'homme sont-ils démodés ?" avec, en sous-titre : "Les pays occidentaux ont renoncé à faire pression sur les dictateurs, préférant signer des contrats avec eux. Le devoir d'ingérence n'est plus d'actualité. Gare au retour du boomerang : le terrorisme." Dans Le Journal du Dimanche (JDD) du 20 octobre 2019, une autre tribune : "Pour une déclaration des droits et libertés fondamentaux numériques", par Jean-Marie Cavada, député européen.

Et le 6 avril 2021, Jacques Julliard faisait paraître une implacable tribune dans Le Figaro, "Les droits de l'homme contre la démocratie" par laquelle, on l'aura compris, il ne s'agit plus seulement d'actualiser mais bien de restituer la valeur de la Déclaration dans un monde qui se perd. "Les droits de l'homme ne sont plus du tout un idéal mobilisateur d'émancipation mais une police d'assurance dont les clauses de sauvegarde tendent à se multiplier." En fin de parcours dans sa réflexion, Julliard constate : "La conséquence de ce dévoiement de l'humanisme universaliste (au service de revendications individualistes ou communautaires), c'est une violente réaction de la majorité silencieuse. Des années de déconstruction droit-de-l'hommiste dans les universités américaines ont eu pour conséquence indirecte l'avènement de Trump et du trumpisme dans la société civile."

Puissions-nous éviter cette dérive. Bref, l’actualisation rejoint l’actualité…

=> (*)… et non pas "humains" qui, adjectif, qualifie mais n’attribue point.

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