"L’Église doit sortir d’une logique de pouvoirs"
Faut-il accorder plus de pouvoirs aux laïcs au sein de l’Église, après l’avoir donné aux prêtres ? Penser les choses de cette façon ne résoudra en rien les défis qui se posent aux catholiques, souligne Laurent Landete. Entretien.
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Publié le 07-03-2022 à 12h24
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Directeur du prestigieux collège des Bernardins à Paris, espace culturel, artistique et intellectuel, Laurent Landete est également investi à Rome pour réfléchir sur la place des laïcs dans l’Église. Alors que celle-ci traverse une profonde crise liée aux abus en son sein, il sera ce jeudi 10 mars à Bruxelles pour présenter son regard sur la question (1).
À quoi est due la crise des abus que traverse l’Église ? À des problèmes de structure, à un assèchement spirituel ? Remet-elle en cause ses fondements ?
Les causes sont évidemment multiples. Le contexte sociétal avec la banalisation des gestes de l’amour n’est pas un contexte porteur pour montrer la beauté et la sacralité de l’Homme, ainsi que sa magnifique vocation à aimer. Mais ce serait profondément injuste et choquant de s’arrêter là. Il y a en effet au sein de l’exercice même de l’autorité un terrain favorable à l’émergence d’actes graves, notamment lorsque l’on confond le pouvoir et le service. Dès que l’on vient se servir au lieu de servir, que l’on utilise une institution pour enrichir ses propres intérêts, et que cette institution ne se donne ni les moyens de repérer en amont ceux qui seraient capables de porter de telles fautes, ni en aval de les mettre hors état de nuire, nous nous trouvons dans une situation extrêmement dangereuse. Il revient aussi à l’Église d’interroger la place qu’elle a effectivement accordée à chaque personne : a-t-elle toujours valorisé ses droits, son unicité, son caractère sacré ? A-t-elle toujours placé le plus petit, le plus pauvre, le plus fragile au sommet de la pyramide ?
Le pape met souvent en garde les catholiques contre le "cléricalisme". Qu’est-ce que cela veut dire ?
Le cléricalisme, c’est considérer que la vocation du prêtre se situe en surplomb, alors qu’elle est au contraire consacrée au soutien et au service de la vitalité spirituelle et fraternelle de tous les baptisés.
Comment changer cela ? L’Église doit-elle revoir sa doctrine, ou revenir à ce qu’elle dit et qui serait mal appliqué ?
Elle doit d’abord convertir son regard, car le grand danger serait de rester dans une logique de pouvoirs. Les prêtres doivent être au service des laïcs, cela veut-il dire que ces derniers doivent prendre le pouvoir ? Non, sinon on se situerait dans une forme de cléricalisme inversé. L’Église n’est pas une structure de pouvoirs, mais un corps au sein duquel chacun œuvre pour le bien, aide, soutient et accompagne les autres en fonction de ses talents et de ce qui lui a été confié.
Néanmoins, comment l’Église peut-elle repenser la place des laïcs ?
Il ne suffit pas de repenser la place des laïcs. Si on pose la question de la sorte, on restera dans un mouvement de balancier : après le pouvoir des prêtres, celui des laïcs… Ce serait néfaste. Ce n’est pas le moment de rendre du pouvoir à l’un ou l’autre, c’est le moment de penser une Église de communion pour que tout ce que nous faisons, en fonction de ce que nous sommes, soit au service de la sainteté et de l’espérance de tous. Cette communion doit se tisser entre nous, mais aussi avec Dieu. On pourrait indéfiniment restructurer nos organigrammes ; si on ne se convertit pas pour puiser avant tout notre espérance et nos forces dans la prière, on passera à côté de l’essentiel et on se contentera de réformes institutionnelles et humaines.
C’est de la sorte que vous pensez également à la place des femmes ? N’est-ce pas risquer le statu quo ?
Se tourner vers Dieu n’est pas se détourner du monde, puisque justement, pour les catholiques, Dieu les renvoie vers leurs contemporains. Le temps de la communion, c’est le temps de la complémentarité entre les hommes et les femmes, entre les cultures, entre les vocations de chacun, entre les jeunes et les vieux. Il est courant aujourd’hui de penser que tout se vaut, que l’homme et la femme, finalement, c’est la même chose. On ne cherche plus tant la communion que la confusion. On tombe dès lors dans une inévitable lutte de pouvoirs, puisque nous n’osons plus nous émerveiller devant ce que l’autre, dans ses différences, peut nous apporter. L’anthropologie chrétienne pense au contraire la profonde complémentarité entre les hommes et les femmes. Et la complémentarité, c’est d’abord poser sur l’autre un regard émerveillé, car son soutien et ce qu’il a à me donner sont absolument uniques.
Cette complémentarité est-elle suffisamment vécue au sein de l’Église ?
Non. Dès que nous ne favorisons pas la complémentarité des regards, il y a des risques d’abus.

>>> "Quels engagements concrets des laïcs dans la vie de l’église d’aujourd’hui ?" Conférence des Amis belges des Bernardins à l’abbaye de la Cambre, Jeudi 10 mars à 19 h 30. Renseignements et inscriptions amisbelgesbernardins@gmail.com et 0496 508 070. PAF 25 €. Gratuit pour jeunes de moins de 25 ans.