Voici le plan de réglement possible du conflit russo-ukrainien
Dans un compromis, les deux parties renonceraient à une partie de leurs rêves historiques sacrés. L'Ukraine deviendrait fédérale avec une partie ukrainophone et une partie bilingue (ukrainien et russe). La Russie restituerait la Crimée à l'Ukraine mais garderait a flotte à Sébastopol.
- Publié le 09-03-2022 à 12h13
- Mis à jour le 09-03-2022 à 13h01
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Par Tivadar Palágy, Maître de conférences, Institut d'études romanes, ELTE BTK à Budapest
Aucun des scénarios actuellement exposés dans la presse n'apporterait de solution à la détérioration extrême des relations russo-ukrainiennes. Dans l'éventualité d'une défaite et d'une retraite russes, une Russie frustrée attaquerait à nouveau tôt ou tard, et même après le retrait de Poutine du pouvoir, on pourrait craindre à tout moment la résurgence des velléités de reconquête de la part de la Russie. Dans l'éventualité d'une défaite ukrainienne, le retour d'un dirigeant de type Ianoukovitch à la présidence ukrainienne déclencherait des protestations continues et un autre Maïdan en Ukraine.
Vers une Ukraine fédéralisée avec une partie ukrainophone et une partie bilingue
La troisième option est la solution de compromis. Mais cela exige que les deux parties offrent quelque chose qui soit d'une importance vitale pour l'autre, même symboliquement. Que peut donner l'Ukraine ? La fédéralisation de son territoire que les Russes convoitent/demandent/exigent. La Bosnie a trouvé cette solution en 1995 après des années de combats sanglants, et depuis 27 ans, les armes se taisent. Depuis lors, la Serbie n'a pas annexé l'entité serbe de Bosnie, la Republika Srpska. Dans une Ukraine fédéralisée, la zone bilingue comprendrait les régions où la proportion de russophones atteint 40 % (Kharkov, Lugansk, Donetsk, Zaporozhye, Kherson, Crimée, Nikolaev, Odessa, et un référendum pourrait être organisé pour décider du statut des oblasts dans quelques régions voisines : Poltava, Kirovograd et Dnipro). Dans ces régions orientales et méridionales de l'Ukraine, il y aurait deux langues officielles (l'ukrainien et le russe), tandis que dans la zone restante, qui comprendrait Kiev, la seule langue officielle serait l'ukrainien. Territorialement, l'entité ukrainophone couvrirait donc environ 2/3 du pays, la partie bilingue 1/3. En termes de population, il est difficile de calculer les proportions avec certitude aujourd'hui, mais en raison des grandes villes de l'est, la partie ukrainophone représenterait sans doute 60% contre 40% dans la zone bilingue.
La Crimée retourne à l'Ukraine mais Sébastopol restant réservée à la flotte russe
Que peut offrir la Russie ? Le gaz et le pétrole bon marché offerts par la Russie en guise d'expiation ne seraient plus à même de se concilier les grâces des Ukrainiens : même l'importante population russophone de l'est et du sud de l'Ukraine, devenue désormais décidément anti-russe pendant la guerre, n’est plus favorable à la Russie. Pour renverser la vapeur, la Russie devrait rendre à l’Ukraine son intégrité territoriale revendiquée haut et fort : non seulement les régions séparatistes de Donetsk et de Lougansk, mais, suivant l'exemple de Khrouchtchev, elle rendrait la Crimée à l'entité orientale et bilingue d'une Ukraine fédéralisée, la péninsule entrant dans une union douanière avec la Russie et Sébastopol restant réservée à la flotte russe de la mer Noire, désormais sans loyer à payer par la Russie. La Crimée, qui bénéficierait d'un statut spécial au sein de la fédération, pourrait faire l'objet de patrouilles conjointes des polices russe et ukrainienne, tout comme Bender, dans la Transnistrie séparée de la Moldavie, est patrouillée conjointement depuis des décennies par des policiers moldaves de Chișinău et russes de Tiraspol. La Russie compléterait les retraites et les salaires des fonctionnaires de façon à compenser une éventuelle baisse des revenus des Criméens après leur rattachement à l’Ukraine. L'Ukraine entrerait dans l'UE avec un statut spécial pour la Crimée qui servirait de lien entre la Russie et l'UE. De nombreuses difficultés économiques, techniques et douanières peuvent toutes être résolues avec créativité : éviter de nouvelles effusions de sang et la menace d'une guerre mondiale l'emporte sur les règles rigides en vigueur jusqu'à présent pour l’adhésion à l’UE.
Les deux parties renonceraient à une partie de leurs rêves historiques sacrés
Dans ce scénario, les deux parties renonceraient à une partie de leurs ambitions et rêves historiques sacrés : les Ukrainiens renonceraient à la (ré)ukrainisation complète et définitive des provinces de l'Est et du Sud, autrement dit à la construction d'une seconde Pologne, d'une Anti-Russie. La langue ukrainienne s'épanouirait plus que jamais dans la plus grande partie du pays, dans les zones centrales et occidentales très étendues, tout comme la Flandre a pu atteindre ses objectifs linguistiques en reflamandisant ses villes au sein de l'État fédéral belge, mais Bruxelles, historiquement flamande, est restée une zone bilingue de compromis. Les Russes renonceraient à la possession exclusive de la Crimée, tout en gardant Sébastopol à des conditions plus favorables qu'avant 2014. En outre, une partie de la population ukrainienne des provinces de l'est et du sud aurait la possibilité d’utiliser le russe à l’école et avec les administrations de l’Etat, en plus de l'enseignement de la langue d'État ukrainienne dans les écoles. Ici, la population locale ne serait plus coupée de la culture russe et pourrait choisir entre l'ukrainien et le russe pour l'éducation et l'administration. Dans un esprit de réciprocité, la Russie introduirait le bilinguisme russe-ukrainien dans certaines régions frontalières proches de la frontière ukrainienne, comme c'est le cas aujourd'hui en Crimée, où l'ukrainien a un statut officiel.
Sans doute d'autres que moi ont déjà pensé à une telle solution. Cependant, comme je n'ai vu aucun projet prometteur, basé sur le compromis, que ce soit dans la presse ou ailleurs, il m'a semblé important de partager cette ébauche de projet de paix avec le plus grand nombre de personnes possible dans le contexte de la crise actuelle. Peut-être qu'elle trouvera une oreille attentive...