Julie Gayet: "J’essaye de penser que ma relation avec François Hollande n’a pas pu nuire à sa présidence. C’est une de mes pires craintes"
"Je pense que je n’aurais pas mené ce combat pour l’égalité hommes/femmes, si je n’avais pas eu ce père féministe", confie l'actrice Julie Gayet qui se bat pour la parité dans le cinéma. Celle qui fut remarquée dans de nombreux films revient sur son enfance, sa formation, ses valeurs et sa relation avec François Hollande.
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- Publié le 03-04-2022 à 08h08
- Mis à jour le 07-04-2022 à 10h35
Un air de printemps flotte dans l’air autour du Château Sainte-Anne, à Auderghem. Elle attend, sagement dans le salon qui jouxte la salle où se tiendra le déjeuner organisé par l’association World Trade Center. Chemisier strict, jupe stricte. Cheveux au vent. Grand sourire. Elle dira, lors de sa conférence, qu’elle n’a pas l’habitude de parler en public. On croirait le contraire. Car quand elle déroule le thème choisi “Apprendre aux femmes à dire non”, elle fait mouche. Autant auprès des femmes que des hommes qui peuplent cette association où se croisent généralement les gens nés sous d’heureux auspices. Ce qu’elle affirme, de sa voix claire, doit peut-être étonner un certain nombre d’hommes présents qui ont fait une carrière dans un monde essentiellement masculin. Mais ses arguments balayent les éventuelles réticences. Il faut compter les femmes pour qu’elles comptent. Ses exemples puisés dans le monde qu’elle connaît bien, le cinéma, sont imparables. Elle se bat à la Fondation des femmes et dans le Collectif 50/50. Sa volonté est simple : la parité. Car le féminisme est aussi le combat des hommes. Sa conférence se termine. Les hommes, y compris ceux qu’elle a poliment bousculés, l’acclament. Après une bouffée d’air frais, sur la terrasse ensoleillée, elle se pose, respire profondément, penche la tête. Parler d’elle n’est pas non plus son exercice préféré. Mais elle accepte de raconter son parcours, ses combats. Et d’évoquer l’homme qui partage sa vie, François Hollande. Elle le fait avec amour, pudeur et discrétion. Dans son couple, chacun, dit-elle, doit rester à sa place.
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Une famille mai soixante-huitarde. Mon père était très engagé politiquement à gauche sur une série de thèmes. Il a toujours travaillé dans l'hôpital public. Il défendait la vaccination – il y avait déjà des antivax à l'époque – se battait pour la dépénalisation de l'avortement. C'était un chirurgien très humain, toujours à l'écoute de ses patients. J'ai baigné dans le socialisme dès mon enfance.
Votre maman ?
Elle est le socle, le noyau de la famille. Très indépendante, elle n’était pas la femme de chirurgien, n’accompagnait pas son mari dans les congrès. Au départ, elle s’est beaucoup occupée de ses enfants pour permettre à mon père de terminer ses études. Ensuite, par reconnaissance pour ce travail souvent invisible, mon père a fait en sorte qu’elle puisse s’épanouir à son tour et lui a offert une boutique d’antiquités, sa passion. Le lieu, situé rue du Bac, à Paris, est devenu l’endroit à la mode. Finalement, c’est grâce à ce commerce que mes parents ont pu acheter une maison en Provence qu’ils ont revendue pour en acquérir une à Lectoure, petit village du Gers où il y a beaucoup d’antiquaires. Mon père a toujours pensé que son équilibre passait par celui de sa femme.
Quelle enfant étiez-vous ?
Mon grand-père paternel, compagnon de la Libération, disait que nous nous ressemblions parce que j’avais un sacré caractère. Indépendante comme ma mère. Dès 16 ans, je gagnais quasiment ma vie, je travaillais pour payer mes stages de théâtre. J’ai toujours pensé que l’indépendance financière était importante. Cela n’était pas évident d’embrasser une carrière artistique. Et cela contre l’avis de ma famille. Je n’ai jamais lâché, j’ai toujours été très têtue. Je ne serais pas devenue ce que je suis si je n’avais pas été gauchère, par choix. Je suis une droitière qui a décidé de devenir gauchère. Je suis une droitière contrariée ou plutôt une gauchère assumée. Donc, de gauche. Je suis ambidextre. Mais pas pour le "en même temps"…
D’où vous vient cette envie d’être artiste ?
Mes parents n’étaient pas musiciens mais avaient souhaité que mes deux frères et moi apprenions le piano. Mes deux frères jouent très bien. Moi, je trouvais le solfège trop long, trop lent. Mon professeur de piano était aussi professeur de chant. J’avais une très jolie voix. J’ai toujours aimé cela, être son propre instrument. Le chant a des vertus physiques réelles. La rencontre avec cette professeure a été déterminante dans ma vie. Elle avait connu Auschwitz. Elle m’a dit : les artistes ne sont jamais en vacances. Elle m’a emmené dans le chant lyrique. Jusqu’à 21 ans, je chantais trois heures par jour, tous les jours. J’aurais dû avoir cette carrière de chanteuse lyrique si je n’avais eu, à un moment donné, plus l’envie d’interpréter et de jouer.
C’est à Londres que vous avez parfait votre formation. Pourquoi ?
Pendant mes cours de théâtre, j’avais le sentiment que la formation était très classique, sur le texte, intellectuelle, dans le jugement. Je n’avais pas envie d’être enfermée dans une boîte. Je suis partie suivre des cours en Angleterre, j’ai découvert l’Actor’s studio. C’était l’opposé. Le résultat comptait peu. Mon professeur avait travaillé avec Dustin Hoffman, Sigourney Weaver. J’ai aimé cette liberté. Nous étions plus attachés à l’émotion qu’au texte. Je ne voulais pas être limitée dans des cours classiques autour d’un professeur qui est parfois une sorte de gourou. Je crois plus au travail collectif. Le cirque me l’a confirmé, plus tard.
À votre retour, vous faites une rencontre déterminante avec une femme exceptionnelle : Agnès Varda
Grâce à elle, j’ai joué avec Michel Piccoli et Marcello Mastroianni. Marcello m’a conseillé de n’écouter que mon instinct. En ce sens, il a été une sorte de modèle qui m’a permis de jouer dans des comédies mais aussi des films d’auteur. Avec Agnès Varda, cela a été une transmission par imprégnation. Elle faisait, je suivais. C’est sans doute grâce à elle que, plus tard, je me suis lancée dans la production de films. À ce moment-là, je ne percevais pas que le fait d’être une femme m’empêchait d’ouvrir complètement mes ailes. Elle m’a ouvert le champ des possibles, sans que je m’en rende compte. Au départ, je me suis lancée dans la production, toujours un peu cachée, pour des hommes. Je parlais toujours de mes partenaires, du réalisateur. Peu de moi.

Et quelle a été l’étincelle qui vous a fait prendre conscience du déséquilibre entre hommes et femmes au cinéma ?
Un jour, mon père, qui avait regardé une émission à laquelle je participais, m’a fait cette remarque : “Julie, tu parles toujours des autres, tu t’effaces. On ne te demande pas de ne parler que de toi mais d’être à ta place. C’est extrêmement féminin d’être comme cela”. Je pense que je n’aurais pas, par la suite, mené ce combat pour l’égalité hommes/femmes, si je n’avais pas eu ce père féministe. Il a toujours élevé ses enfants dans la stricte égalité.
Le Prix Romy Schneider a-t-il changé votre parcours ?
Ce fut une belle reconnaissance. D’abord parce que j’avais une grande admiration pour l’actrice. Ensuite parce que ce prix m’a été accordé pour deux films. Un film d’auteur très radical de Laurent Bouhnik, Select hotel et une comédie de Dominique Farrugia, Delphine 1, Yvan 0. Cela a confirmé ma volonté de ne pas me cantonner dans un style de film. J’aime prendre des risques, plonger dans des univers différents. Et produire des réalisateurs et des films singuliers, comme Grave de Julia Ducournau ou L’Insulte de Ziad Doueiri.
En avançant dans ce travail, vous avez dressé ce constat : les femmes n’ont pas la place qu’elles méritent dans le cinéma. Vous vous êtes investie dans le collectif “50/50” et la Fondation des femmes.
Après l’affaire Weinstein, plusieurs femmes réfléchissaient à la suite à donner à ce scandale, dans le milieu du cinéma. Les Américaines étaient très structurées. En Angleterre, Emma Watson faisait bouger les choses, les Espagnoles avaient organisé un happening aux Goya Awards, avec des éventails. En France, il fallait agir.
Comment ?
J’avais, par le passé, une expérience de l’action. Avec d’autres femmes, j’avais créé une association sur l’endométriose, un mal dont souffre une femme sur dix. Je m’étais rendu compte qu’il était plus efficace de créer une Fondation ou un Fonds de dotations pour aider les autres associations de femmes. Nous ne voulions donc pas nous, actrices, créer une énième association. Avec Tonie Marshall et Anne-Cecile Mailfert, nous avons créé le Collectif 50/50, dont l’objectif est de mener des actions politiques pour faire changer le rapport de force. Et de l’autre côté, nous nous sommes lancées dans la levée de fonds dans le cadre de la Fondation des femmes. C’était une façon de soutenir une structure existante mais aussi d’agir, de faire bouger les choses sur le plan politique et intellectuel.
Comment passer du constat à l’action ?
Le mouvement Meetoo et la libération de la parole des femmes ont engendré une augmentation de 30 % des dépôts de plainte. L’AVFT, l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail était débordée. L’idée était, je l’ai dit, de lever des fonds pour soutenir ces associations qui disposaient de peu de moyens. Mais lever des fonds sur le sujet des femmes, c’était tout sauf évident. Dès lors, pour crédibiliser nos revendications, nous avons décidé de réaliser des études et ainsi objectiver le problème, à savoir la sous-représentation des femmes dans les métiers du cinéma. Et le fait que, à travail égal, les femmes sont moins bien payées. Savez-vous, par exemple, que les maquilleuses sur un plateau de cinéma gagnent moins que les maquilleurs ? Pourquoi ? Parce que les hommes ne se contentent pas de ce qu’on leur donne : ils négocient.
Il fallait aussi mener des actions visibles…
Oui, il fallait que les gens voient, comprennent. Ainsi, à Cannes, en 2018, nous avons organisé une montée des marches très symbolique : 82 femmes ont monté ces marches parce que, dans toute l'histoire du festival de Cannes, il n'y a eu que 82 femmes sélectionnées et 3600 hommes sélectionnés.
Vous avez également interrogé tous les festivals. Cela a donné des résultats surprenants…
Nous avons envoyé des questionnaires aux 120 principaux festivals, à travers le monde. Avec quelques questions simples. Sur les films présentés, combien sont réalisés par des femmes ? Combien y a-t-il de femmes dans votre comité de sélection, combien y a-t-il de femmes salariées dans votre association ? Quelles sont les différences de salaires ? Tous les festivals ont répondu. Le constat a été terrible. Les femmes étaient sous-représentées et sous-payées alors qu’il y a autant de femmes que d’hommes qui sortent des écoles de cinéma, tous métiers confondus. La prise de conscience a suffi pour faire évoluer les choses. Dès lors, j’en suis convaincue, il faut compter les femmes pour que les femmes comptent.

“Je vis chaque jour comme si c’était le dernier”
Le déséquilibre entre hommes et femmes, vous l’avez également noté dans d’autres milieux artistiques…
Nous avons réalisé d’autres études. Dans l’ensemble du cinéma, dans l’audiovisuel, avec l’INA. Delphine Ernotte, patronne de l’audiovisuel public, a fait bouger les choses d’une manière impressionnante. Le nombre de réalisatrices, dans les fictions, est passé de 8 à 30 % de femmes en un an. La parité sera établie d’ici deux ans. Le problème se pose aussi dans la musique. Pareil dans les nouvelles technologies. Le simple constat nous a donné une vraie force. Les réalisatrices dans le cinéma ne représentent que 27 % en France. Pourquoi ? En Allemagne, c’est pire : 8 %. Le même constat est dressé pour l’écriture des scénarios. Les hommes travaillent souvent seuls. Les femmes non. Les femmes travaillent avec un homme. Pourquoi ? C’est pour toutes ces raisons que je suis favorable aux études qui permettent d’objectiver, d’être concret. Et puisque les choses ne bougent pas, ou pas assez vite et fort, je suis favorable aux quotas. Sinon, il est impossible de briser les plafonds de verre. Cela existe aussi dans les médias.
Certaines féministes ne se contentent pas du 50/50. Vous êtes pour la parité.
Oui. Nous défendons la parité. Je pense que le féminisme est aussi un combat d’hommes. En réalité, c’est un combat d’hommes et de femmes. J’ai compris que certains combats ne peuvent être menés qu’avec les hommes et les femmes. Le congé de paternité, par exemple, est une très belle avancée et il faut encore l’étendre. Je ne crois pas qu’un milieu réservé aux hommes soit très bien. Les hommes entre eux deviennent un peu bébêtes. Mais c’est pareil pour les femmes. Je suis pour la mixité, c’est-à-dire pour cette idée d’égalité et de parité. Hommes et femmes ne sont pas les mêmes. On s’enrichit tellement de la mixité.
Dans votre famille, on parlait beaucoup de politique…
Oui. Les discussions étaient parfois animées, avec mon grand-père qui était de droite et qui voulait réduire le nombre de fonctionnaires. Je lui disais qu’avec ce projet, mon père n’aurait jamais pu travailler, comme il l’a fait toute sa vie, dans les hôpitaux publics. Je crois à l’hôpital pour tous, à l’éducation pour tous et pas en fonction de son niveau de vie. Quand on vient d’un milieu privilégié, on se doit de redonner ce que l’on a reçu.
La gauche française est en lambeau…
Il faut la reconstruire. En tout cas je ne crois pas au “ni de droite, ni de gauche”. Il y a des valeurs importantes. J’ai toujours pensé que la droite et la gauche, c’était différent.
Pour reconstruire la gauche, il faut des hommes et des femmes…
Il faut une force de droite qui se reconstruise autant qu’une force de gauche qui se reconstruise. En ce moment, c’est la destruction des deux.
François Hollande peut-il être ce reconstructeur… ?
Je ne parle pas à sa place. Jamais. Lors d’un meeting à Limoges, il a évoqué la nécessaire reconstruction de la sociale démocratie. Il ne cessera jamais d’être un homme de gauche, fidèle à ses idées. Ce qui nous rejoint, c’est la conviction selon laquelle la gauche et la droite existent vraiment.
Auriez-vous souhaité qu’il se représente, lors de cette élection ? Il a beaucoup hésité…
J’ai toujours dit que je serais là, quel que soit son choix. Je suis à ses côtés. Chacun est à sa place.
Qu’est-ce qui vous plaît chez lui ?
Le fait qu’il soit normal, avec tout le monde. Simple. Humain. Et drôle !
Comment avez-vous vécu la révélation assez brutale de votre histoire ?
Les choses sont sincères. Cela se révèle et se comprend. La seule chose à faire, c’était de maintenir une certaine discrétion. Nous y avons veillé. Ma mère n’était pas la femme d’un chirurgien. Je ne suis pas la femme de François. Il n’est pas le compagnon de Julie Gayet. Pendant toutes ces années, nous nous sommes imposé des règles. Je ne participe pas à des cérémonies officielles. Parfois, le week-end, je l’accompagne à des signatures. Mais je reste à ma place.
Pensez-vous que la publicité faite autour de votre relation avec lui a pu nuire à sa présidence ?
C’est une de mes pires craintes. J’essaye de penser que cela n’a pas eu d’influence. C’est ce qui m’attristerait le plus. En tout cas, cela a été utilisé énormément, tout le temps. Des choses fausses ont été dites. Il fallait remettre sans cesse sa vie privée en avant comme une “arme” puisqu’on ne pouvait pas l’attaquer sur autre chose. Je trouve cela insupportable.
Dans la série “Dix pourcents”, on vous voit plaquer au sol un paparazzi…
J’ai voulu répondre, dans un film, avec humour, à cette période.
Comment vous ressourcez-vous ?
En faisant mon métier de comédienne, en jouant. C’est un immense bonheur pour moi. Jouer, ce sont mes vacances. Si je devais préciser un endroit où je me ressource, je vous citerai Tulle, en Corrèze.
En qui, en quoi croyez-vous ?
Je suis pour le collectif. J’aime l’énergie du groupe. Je crois à la solidarité et à la sororité. Le monde serait plus harmonieux si les femmes étaient un peu plus présentes. J’espère que ce siècle sera celui des femmes. Pour cela, il faut des choses concrètes.
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Toujours.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Il faut vivre parce qu’on peut ne plus être là, demain. Je vis chaque jour comme si c’était le dernier, en me disant que j’ai beaucoup de chance.
Êtes-vous une femme heureuse ?
Je suis une femme épanouie, libre. C’est déjà beaucoup.
Si je vous tends un miroir, que voyez-vous ?
Une femme qui va bientôt avoir cinquante ans. Je me sens en adéquation avec cet âge.
Bio express
1972 Naissance le 3 juin à Suresnes. À 8 ans, elle étudie le chant lyrique, puis la comédie, à Paris, ensuite à Londres. Elle étudie aussi l'histoire de l'art et le cinéma à la Sorbonne.
1994 Elle joue son premier grand rôle dans Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma d'Agnès Varda. En 1996, elle tient le rôle féminin principal de la comédie Delphine 1, Yvan 01.
1997 Prix Romy Schneider. Depuis, elle a joué dans d'innombrables films pour le cinéma et la télévision. Nominée aux Césars dans Quai d'Orsay.
2007 Elle est aussi productrice (Rouge International) et investie dans plusieurs associations pour le droit des femmes.