Macron a bien vieilli
Les rides et marques du temps sur son visage sont délibérément mises en avant pour accentuer sa maturité.
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Publié le 09-04-2022 à 13h11
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Une chronique de Francis Van de Woestyne, journaliste
Le pouvoir use, fatigue, vieillit. Regardez une photo d’Alexander De Croo, Premier ministre belge, il y a deux ans à peine et comparez-la avec un cliché récent. L’homme est marqué. Barak Obama, qui est resté dix ans à la Maison-Blanche, avait aussi connu un fameux coup de vieux. Normal, direz-vous, tout le monde vieillit. Mais le poids des responsabilités creuse les visages, voûte les épaules, affaiblit les corps. D’autres métiers sont évidemment plus lourds physiquement. Le propos du jour n’est pas de comparer la pénibilité des emplois. Mais de montrer que la maturité peut être un atout en politique. Exemple : Emmanuel Macron.
Nous sommes le 7 mai 2017. Emmanuel Macron est élu à la présidence de la République française. Il est, à 39 ans, le plus jeune locataire de l'Élysée. Sa jeunesse, sa nouveauté, son indépendance face aux blocs traditionnels de la politique française, la gauche et la droite, sont un atout. Il en joue. Ses photos de campagne offrent un visage lisse. "De poupin", moquent ses adversaires. Comment pourrait-il diriger ce grand pays avec si peu d'expérience ?
Yeux cernés, tempes blanchies
Avril 2022. Emmanuel Macron révèle désormais un visage marqué par une présidence qui a connu bien des crises compliquées à gérer : les "gilets jaunes", la pandémie, la guerre en Ukraine. L'homme a la réputation de dormir peu. Quatre heures. S'il y a des jeunes parents, dans son entourage, ils vont coucher leurs enfants en début de soirée puis reviennent travailler. Jusqu'à minuit ou 1 heure du matin. L'un d'eux raconte : " Quand on s'autorise à partir vers 23 heures, c'est que nous sommes un samedi." Régulièrement, le Président envoie des SMS à ses ministres vers 2 heures du matin. Et s'impatiente quand la réponse n'arrive qu'à 5 ou 6 heures, lorsque le ministre se réveille…
Pas étonnant qu'à ce rythme-là, et même avec une santé de fer, le corps s'use prématurément. On prête à sa femme, Brigitte Macron - de vingt-quatre ans son aînée -, ce trait d'humour : " Moi, j'y vois un avantage, c'est qu'il vieillit plus vite que prévu. Il est en train de me rattraper… "
Elle n’est pas la seule à se réjouir de ce vieillissement rapide. Dans les multiples photos et posts sur les réseaux sociaux, ses chargés de communication le montrent désormais tel qu’il est : les yeux cernés, le visage creusé, les rides profondes, les tempes blanchies. L’âge est devenu en quelques années un argument électoral. Ses photos ne sont plus corrigées pour le faire apparaître plus jeune - ce que font sans doute ses concurrents et concurrentes -, mais au contraire exploitées dans leur naturel. On le voit portant le poids du monde dans son bureau face à la "pieuvre", ce système téléphonique qui le met en communication directe et sécurisée avec les autres Présidents, relisant des notes à l’ombre d’une lampe, dans une ambiance nocturne. Sa photographe officielle, Soazig de la Moissonnière, semble s’en donner à cœur joie.
Car, dans une campagne électorale, le programme compte évidemment, les électeurs sont attentifs aux propositions des candidats. Mais essentielle est aussi ce que l'on appelle la persistance rétinienne, l'image qu'un candidat projette. Richard Nixon, mal rasé, avait fait mauvaise impression face au flamboyant John Kennedy. Mitterrand était apparu maladroit, peu à l'aise face à la caméra alors que Valéry Giscard d'Estaing jouait de son aisance dans un studio et de sa jeunesse. Mais, cette fois donc, c'est la maturité du candidat Macron qui est délibérément mise en avant par les responsables de sa campagne. Lui qui a parfois tenu des propos violents à l'égard de ses compatriotes, les traitant de "fainéants", de "Gaulois réfractaires", lui qui voulait "emmerder les non-vaccinés", veut à présent donner l'image d'un Président protecteur. Et les marques du temps sur son visage doivent aider à polir son image. Il ne veut plus être seulement le gestionnaire de la start-up nation, mais le père de la nation tout entière. Le message politique est clair : le Président a mûri, a appris de ses erreurs. Le chien fou s'est assagi.
Les amours tardives sont belles
Peut-être d'ailleurs faut-il en tirer une conclusion plus générale. Interrogé après la publication de son essai Une brève éternité (Éditions Grasset), Pascal Bruckner nous expliquait : " On peut aussi aimer un corps fatigué, vieilli. Peut-être faut-il apprendre à regarder autrement les visages ridés. La vraie révolution mentale d'Emmanuel Macron est chez Brigitte. Je pense que cela peut libérer beaucoup de gens. Les goûts esthétiques vont forcément évoluer avec la pyramide des âges. Pourquoi donc être obsédé par des critères de beauté de mannequins, hommes ou femmes, parfaits et ne pas goûter à la saveur d'un corps qui a vieilli, mûri ? Bref un corps qui a vécu. Les amours tardives sont belles."
Qui dira le contraire ?