Le "droit de veto", qui entrave une bonne gouvernance mondiale, va-t-il enfin être révoqué à l'Onu?
Il ne fait plus de doute que le "droit de veto" des cinq membres permanents du Conseil de sécurité est un obstacle majeur à un multilatéralisme fort.
Publié le 12-05-2022 à 09h43
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Une carte blanche de Roger Koudé, Professeur de droit international (1).
La 76e session de l’Assemblée générale des Nations unies a adopté sans vote, le 26 avril 2022, une résolution (la résolution A/RES/76/262) intitulée "Mandat permanent permettant à l’Assemblée générale de tenir un débat en cas de recours au droit de veto au Conseil de sécurité".
Par cette résolution, qui n’est pas détachable de la crise internationale actuelle liée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Assemblée générale a décidé de se réunir dorénavant automatiquement, dans les dix jours qui suivent, si le "droit de veto" est utilisé au Conseil de sécurité par l’un de ses cinq membres permanents.
Les lignes vont-elles enfin bouger ? La question reste cependant de savoir en quoi doit consister, sur le fond et concrètement, une telle réunion de l’Assemblée générale des Nations unies. Pourrait-elle déboucher, par exemple, sur l’invalidation d’un recours au "veto" qui ne serait pas fondé ? Sinon, en quoi cette nouvelle résolution serait-elle une avancée par rapport aux dispositions déjà très précises de l’article 24, al. 2 qui dispose : "dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations unies" ?
Il ne fait plus de doute que le "droit de veto" des cinq membres permanents du Conseil de sécurité est un obstacle majeur à la bonne gouvernance mondiale ainsi qu’à un multilatéralisme fort. Par conséquent, le rétablissement effectif du principe de l’égalité de toutes les nations, grandes et petites, tel qu’il est consacré en lettres d’or dès le préambule de la Charte des Nations unies, s’impose comme une première étape indispensable pour un ordre juridique mondial qui soit juste, durable et acceptable pour tous.
Or, cela passe nécessairement par une réforme de fond de l’organe onusien le plus contesté dans sa légitimité et dans sa pratique, à savoir le Conseil de sécurité. Et si l’on entend réformer véritablement cet organe stratégique du système international, il faudra, de façon décisive, traiter à la racine la pratique controversée du fameux "droit de veto".
Pour ce faire, deux hypothèses sont envisageables pour une réforme conséquente du Conseil de sécurité avec, comme épicentre du débat, la sempiternelle question du "droit de veto".
L’hypothèse haute
Elle consisterait en la révocation pure et simple du "droit de veto" des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, une pratique abusive et dépourvue de base légale clairement établie, notamment au vu de la Charte des Nations unies. En effet, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler abusivement le "droit de veto" n’est en réalité qu’une simple interprétation de l’article 27, al. 3 de la Charte des Nations unies. Dès lors, la légalité même de ce droit, sa conformité aux buts et principes de la Charte onusienne, tout comme son efficacité par rapport aux missions de paix et de sécurité internationales dévolues au Conseil de sécurité, restent discutables.
Par ailleurs, l’augmentation du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité (qui passerait de cinq à onze membres) pour y inclure les pays du Sud reste une hypothèse de travail crédible. Cependant, il serait plus pertinent que tous les membres permanents du Conseil de sécurité, les anciens comme les nouveaux, ne disposent pas d’un quelconque "droit de veto". En effet, le Conseil de sécurité étant régulièrement paralysé avec cinq "droits de veto" (qui sont en réalité des droits de blocage !), que se passerait-il alors avec onze droits de blocage ?
L’hypothèse basse
S’il s’avère nécessaire d’instituer un droit de veto, en bonne et due forme et au sens absolu du terme, c’est-à-dire un droit de déréalisation, il serait plus judicieux qu’un tel droit soit dévolu à un organe technique, composé de personnalités nommées ès qualités, sur le modèle du Conseil constitutionnel en France ou de la Cour suprême aux États-Unis. Cet organe devrait alors être suffisamment représentatif du monde dans sa diversité et ses équilibres géopolitiques en vue de garantir un multilatéralisme fort, dont le monde a besoin aujourd’hui et pour l’avenir.
Mais, en cas de maintien du "droit de veto" tel qu’il est pratiqué actuellement, et par souci de cohérence, son usage devrait être conditionné et automatiquement examiné a posteriori par l’Assemblée générale des Nations unies pour s’assurer de sa conformité aux buts, principes et objectifs de la Charte onusienne, tel que cela ressort de l’article 24, al. 2. Ce droit serait alors systématiquement frappé d’invalidité en cas d’usage pour des situations où il y aurait des risques réels de commission de l’un des principaux crimes internationaux ; des crimes qui relèvent tous, d’ailleurs, de la compétence matérielle de la Cour pénale internationale (CPI), à savoir : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. D’autant plus que ces crimes sont considérés comme heurtant la conscience de l’humanité tout entière.
>>> (1) Titulaire de la chaire Unesco "Mémoire, cultures et interculturalité" à l’Université catholique de Lyon. Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur la paix, la justice et les institutions efficaces, est publié aux Éditions des Archives contemporaines (Paris, 2021), avec la préface du Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018.