Où sont les trains de nuit internationaux ?

Fini Bruxelles-Copenhague, Varsovie ou Rome en direct. Les trains de nuit ont quasi disparu sous l’effet de la libéralisation. Ils sont pourtant la seule alternative sociale et écologique aux avions low cost. Nous plaidons pour un vrai réseau ferroviaire européen.

Contribution externe
Où sont les trains de nuit internationaux ?
©Blaise Dehon

Par Alexandre Gomme, porte-parole de Back on Track Belgique vzw - asbl

Pendant les vagues successives de Covid, nombreuses étaient les voix qui appelaient à ce que nous changions nos habitudes pour faire du monde post-Covid un monde plus vert et plus respectueux des hommes et de l’environnement. Alors que nous sortons à peine du pire de la pandémie, les Belges comme les autres européens, planifient leurs voyages d’été et il est déjà certain que la plupart partira en voiture ou en avion. Ces deux moyens de transport ont pourtant un énorme impact sur l’environnement.

Le train, pourtant mis en avant comme une solution au monde meilleur du post-Covid, n’aura qu’une part minime de ce marché. Le train ne se prête toujours pas, ou plus, aux destinations au-delà de 500 kilomètres : il est souvent cher, il n’y a pas de liaisons directes à partir de la Belgique, les liaisons avec les correspondances sont difficiles à trouver et il est encore plus difficile de réserver un billet. Sans évoquer la complexité d’y voyager avec son vélo, son chien, des bagages encombrants dans différents trains de différents opérateurs ferroviaires qui ont chacun leurs propres règles et conditions. Même les habitués comme nous ne s’y retrouvent plus dans le labyrinthe des différents tarifs et conditions d’échange ou de restitution en cas de retard ou de suppression d’un train.

Avantages écologiques, sociaux et de confort

Pourtant, cela fait déjà plusieurs années qu’on nous annonce la renaissance du train sur les grandes distances, et surtout du train de nuit. Celui-ci est écologique (certaines études parlent de vingt fois plus d’émissions de gaz à effet de serre pour un avion que pour un train, comptées en personnes-kilomètres) et contrairement au TGV, il ne nécessite quasi aucun investissement dans l’infrastructure. Il peut être rapide, confortable et il évoque des souvenirs de jeunesse chez de nombreux Belges.

Les politiques des différents niveaux de pouvoir reconnaissent ces avantages indéniables du train, du moins dans le discours. Partout en Europe, le ferroviaire est un enjeu majeur pour la politique nationale. Certains pays ont ouvert leur réseau à la concurrence, d’autres ont préféré le garder entièrement sous contrôle public. Mais partout, dans chaque pays européen, le secteur public joue un rôle important dans la gestion du ferroviaire. Au niveau national belge, le nombre de voyageurs a atteint 253 millions de voyageurs nationaux en 2019, presque le double par rapport à 1997. Dans les autres pays européens, on voit la même tendance à la hausse.

65 % de trains de nuit en moins

Au niveau européen, depuis une trentaine d’années, l’ordre du jour est à la libéralisation. Le trafic international des voyageurs est entièrement libéralisé depuis 2010 et la préparation à la libéralisation a même été entamée bien avant. C’est aux opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, de prendre l’initiative de faire rouler un train international sans l’intervention des États nationaux et de l’UE. Les opérateurs ne reçoivent donc généralement pas de subvention pour la partie internationale du trajet. L’unique motivation pour faire rouler un train international est de faire du bénéfice. Mais ceci s’avère compliqué pour un train international de voyageurs. Cette difficulté se reflète dans les chiffres. À l’opposé de la tendance à la hausse des voyages effectués au niveau national, le nombre de voyageurs internationaux reste à peu près le même et le nombre de trains de nuit a baissé de 65 % et leur kilométrage encore plus (selon une étude commandée par la Commission européenne effectuée par Steer Group et KCW).

Pour nous, cette étude est la preuve que la politique européenne actuelle est un échec. Après douze ans, il est peut-être temps d’en tirer les conclusions et de changer de politique.

Une autre politique, à long terme, est nécessaire

Laisser toute initiative à la logique de marché ne fonctionne pas. Quand on regarde dans le monde quels pays possèdent les meilleurs réseaux de trains, on constate que ce sont tous des pays qui interviennent dans le secteur ferroviaire et qui mènent une politique à long terme. À ce sujet, on vient d’apprendre que le nouveau contrat de gestion de la SNCB inclura les idées de nos confrères d’Integrato, une ASBL qui réunit de vrais professionnels du ferroviaire. Leur but n’est rien d’autre que d’organiser autrement les chemins de fer belges. En résumé, on commence par une planification scientifique des horaires à très long terme - on parle de 2035-2040 - axée sur des nœuds importants où les trains se retrouvent en correspondance avec les trams et les bus, et ensuite on adapte les améliorations des infrastructures sur base de cet horaire théorique. C’est de cette façon que procèdent l’Autriche et la Suisse, qui ont les meilleurs réseaux d’Europe et probablement du monde. Cette politique ne peut différer plus de la politique du tout marché mené par l’UE.

La Commission européenne nie ou se désintéresse

Jusque très récemment, l’UE niait même le problème. Maintenant, elle se cache principalement derrière des problèmes techniques, comme les systèmes de signalisation qui diffèrent d’un pays à un autre et "ignore" complètement que les trains de marchandises internationaux, eux, ne subissent pourtant aucun problème : ils circulent d’Anvers jusqu’en Italie, à travers cinq pays, sans encombre. Des trains de nuit directs à partir de Bruxelles et avec des destinations telles que Copenhague, Varsovie, Ljubljana, Venise ou Rome ont existé jusqu’au début des années 2000. Mais malgré leur succès, comme ailleurs en Europe, ils ont disparu et les voitures ont été mises à la ferraille. À l’époque, les différences de signalisation ne posaient aucun problème.

L’Année européenne du rail, qui vient de se clôturer, aurait pu marquer la relance en faveur des trains internationaux. La crise sanitaire aurait même pu être un signal de départ. Mais le résultat, cette année, s’est révélé décevant.

Nos confrères de Back on Track Allemagne viennent de demander à la Commission européenne l’état d’avancement de cette relance. La réponse de la DG Move est aussi laconique que désespérante : pas de nouvelle quant à un plan d’action pour redémarrer le train international. Peut-être à une date ultérieure, mais rien n’est encore décidé.

Cela montre bien le désintérêt de l’Europe sur ces questions ferroviaires.

Gérer l’intégralité du réseau ferroviaire européen

Pour nous, il est clair que l’UE doit intervenir et suivre le chemin qu’ont pris l’Autriche, la Suisse et la Belgique. Il faut gérer l’intégralité du réseau ferroviaire européen, étudier un réseau européen intégré de trains de grandes lignes (les trains locaux et de moyenne distance peuvent rester au niveau national) et adapter les achats de matériel et les travaux d’infrastructures en conséquence.

Cela n’empêche pas une certaine forme de libéralisation sous forme d’appels d’offres. Ou pourquoi pas renationalisation du réseau. Sur cette question, nous ne prenons pas position. Ce qui nous occupe et préoccupe ici le grand public, c’est le manque de politique européenne qui a petit à petit tué le réseau ferroviaire international. Il est navrant qu’aujourd’hui l’avion à bas prix reste la seule alternative pour ceux qui ont des ressources limitées pour voyager sur des distances moyennes à longues.

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