Pourquoi les ados suivent tant l’avis des autres?
Le rapport des jeunes à leur corps est compliqué. Beaucoup d'adolescents sont hypersensibles à l'avis des autres. Les réseaux sociaux imposent des normes inatteignables comme celle des corps minces. Dire "non" et renforcer son estime de soi s'apprend.
Publié le 09-06-2022 à 12h18 - Mis à jour le 09-06-2022 à 18h02
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"Les transformations corporelles s'imposent à l'adolescent. Elles soulèvent la question du regard des autres sur le jeune homme ou la jeune fille qu'il devient, l'ouverture au désir et à la génitalité. Son corps échappe à son contrôle et en jouant de son apparence, le jeune fait de sa peau un outil d'expérimentation de soi, d'exploration et de recherche identitaire ", explique le sociologue David Le Breton dans son livre Corps et adolescence (yapaka.be). Il y souligne que "le corps se fait aussi projection du mal-être de l'adolescent quand ses repères manquent". Et de pointer que "les tentatives d'appropriation et de contrôle de l'image de soi par la coiffure, les tatouages, les vêtements peuvent s'avérer être des signes de détresse dans les conduites à risque, les addictions, les troubles alimentaires qui disent une volonté d'échapper à une identité insupportable " .
Les témoignages dans l'article joint illustrent ces tourments et le désir de se soustraire de ce corps "imposé".
Hypersensibles au conformisme social
Un autre fil rouge traverse les propos des jeunes. La psychologue Marianne Habib (Université Paris 8) travaille sur le développement cognitif des adolescents et nous confie combien, durant cette période de la vie, le regard des autres et la pression sociale prennent une place considérable. "Entre 12 et 14 ans, on devient très sensible au conformisme social. On a tendance à suivre l'avis des autres et à se fier à leur perception des normes. Et dans notre société de l'instantané et de l'image, on donne beaucoup de crédit à la valorisation des corps minces."
Ce phénomène lié aux représentations mises en avant sur les réseaux sociaux s'avère déconnecté de la réalité. Pourtant, cette norme va s'imposer à travers les commentaires et le regard des autres ados. Pourquoi ? "Parce qu'à l'adolescence, les régions cérébrales (comme le striatum) associées aux circuits de récompense sont davantage activées lorsqu'on reçoit l'accord, la validation ou de la valorisation sociale (comme des likes) d'autrui." Durant cette période, pour construire leur identité, les ados cherchent des modèles parmi leurs pairs et auprès d'artistes ou des proches mais différents des parents.
Cette hypersensibilité aux autres est théoriquement momentanée. "La capacité à résister aux influences sociales se développera dans les années suivantes, au gré de la croissance du cortex préfrontal", précise Marianne Habib. La sensibilité aux stimuli immédiats et aux récompenses à court terme va alors s'estomper au profit de la recherche de la récompense à long terme. En résumé, il s'agit de dire "non" à autrui. "Cela s'apprend", confie la psychologue. Elle relève que certaines écoles accompagnent les ados dans ce sens. Elles les aident à ne plus adopter des normes sublimées, à résister à l'influence des autres, à accorder de l'importance à leur propre point de vue et à se construire une estime de soi. Une des voies est de se référer à des ados qui sont moins dans le jugement, davantage dans la bienveillance ou à des personnalités plus tolérantes. Certains établissements proposent aussi des séances de yoga, de pleine conscience ou des "kindness curriculum" pour lutter contre le harcèlement. Les moqueries et les surnoms humiliants accentuent évidemment le mal-être d'ados déjà fragilisés. Les actions visent les harceleurs mais surtout le groupe et particulièrement ces "témoins" qui entérinent via leur sourire complice ou leur passivité. Le travail s'efforce également de changer les normes.
Une star d’Instagram raconte l’enfer des réseaux sociaux
On voit combien l'engrenage des réseaux sociaux peut s'avérer infernal. Essena O'Neill était une jeune blogueuse australienne mode et beauté qui cumulait des centaines de milliers de followers sur Instagram et YouTube. Un jour de 2015, elle a dit "stop". Elle a pris la parole une dernière fois pour dénoncer l'impact négatif de ces millions de clics et de like sur elle et sur les utilisateurs des réseaux en général. Elle a raconté au Time combien elle était en attente permanente d'une approbation venant des réseaux sociaux. Elle a décrit ses journées consistant à éplucher les commentaires sous ses photos Instagram, à essayer de comprendre pourquoi telle photo avait récolté moins de likes. Elle a expliqué tout le temps qu'elle passait à regarder des photos de "filles parfaites" sur les réseaux sociaux, et comment elle rêvait d'être l'une d'elles. "Et quand j'étais 'l'une d'elles', je n'étais toujours pas contente ni satisfaite, ni en paix avec moi-même."
Aujourd’hui, elle informe les gens sur le danger de rechercher une validation (de soi) sur les réseaux sociaux.