"Slow democracy" : plaidoyer pour une Chambre des lords

Pour tempérer la "fast democracy" et son tourbillon de tweets, imaginons un vrai lieu de débat - un Sénat- avec des acteurs de la société civil comme des ministres d’État, des responsables syndicaux et patronaux, des porte-parole de la jeunesse, voire des citoyens tirés au sort.

Contribution externe
"Slow democracy" : plaidoyer pour une Chambre des lords
©AP

Chronique d'Eric de Beukelaer - Le regard du prêtre

Un pays pour demain" : ainsi se nomme la plateforme en ligne que le gouvernement fédéral belge a lancée, afin de récolter les avis de la population sur l'avenir de l'État. En guise de contribution à cette démarche, voici un contre-chant par rapport à ceux qui veulent supprimer le Sénat, le jugeant un dispendieux doublet de la Chambre des représentants et une inutile relique de la Belgique de papa. Je pense qu'ils se trompent. De même que le slow food corrige les excès du fast food, au tourbillon d'une fast democracy, gazouillant au rythme des tweets, doit correspondre la sérénité d'une slow democracy, laissant place à l'écoute bienveillante du contradicteur, en vue de laborieusement rechercher le bien commun.

Des acteurs de la société civile dans toute sa diversité

La plus vieille démocratie d'Europe a maintenu - à côté de la House of Commons, temple de la joute politique - une House of Lords, où se conjuguent racines et ailes au royaume de Sa Grâcieuse Majesté britannique. Aujourd'hui, les pairs héréditaires y ont globalement laissé la place aux acteurs de la société civile dans toute sa diversité : politiciens pensionnés, théologiens, anciens syndicalistes, intellectuels et militants…

Imaginons une Chambre des lords à la sauce belge : un Sénat constitué de ministres importants des gouvernements fédéraux, communautaires et régionaux ; de présidents de partis politiques ; de ministres d’État ; de magistrats émérites ; de responsables syndicaux et patronaux ; de recteurs d’université ; de représentants de divers cultes et convictions non confessionnelles ; de porte-parole de la jeunesse ; de militants et intellectuels ; voire de citoyens tirés au sort. Ce Sénat se réunirait pour des sessions consacrées à traiter un sujet de fond avec la sérénité voulue. Son objectif serait d’élaborer une proposition de loi, qui serait soumise pour adoption - ou renvoi - par la Chambre des représentants, siège de la démocratie participative.

Trois sujets qu’une slow democracy pourrait aborder

Pareille assemblée cultiverait une éthique du débat démocratique, plutôt que la guerre des idées. Un débat n'est, en effet, abouti que si la légitimité de la position adverse est recherchée, avant d'être éventuellement contestée. À titre d'exemple, citons trois sujets qu'une slow democracy pourrait aborder : 1. Un président de parti wallon débat en français à la VRT. En réaction, un politicien flamand se dit scandalisé que les francophones n'apprennent pas comme première langue étrangère, le principal idiome du pays. Où donc engager une vraie discussion sur l'utilisation des langues et l'ouverture à la culture de l'autre communauté ? 2. Un politicien progressiste flamand déclare qu'il ne se sent plus chez lui à Molenbeek. Émoi. Des citoyens musulmans ne respectant pas le ramadan, acceptent d'en témoigner seulement en caméra cachée, par peur des réactions. Malaise. Un sondage du Nord indique que beaucoup considèrent que pour être flamand, il faut être né sur place. Gênant. Comment mener un débat - hors tabous et faux semblants ; démasquant le racisme latent, autant les accommodements déraisonnables - sur l'intégration des nouvelles identités religieuses et culturelles dans la cité ? 3. La question éthique fondamentale de l'avortement hante toujours le débat public. Elle oppose deux valeurs démocratiques : le droit de disposer de son corps et la protection de la vie humaine en devenir. Qui réussira à faire en sorte que les pro choice et les pro life se parlent et s'écoutent, plutôt que de voir en l'autre - au mieux, un être aveuglé et au pire, un ennemi du genre humain ?

Quand la Reine s'adresse au Parlement britannique, elle prononce rituellement ces mots : "My Lords, please be seated." Alors que les députés de la chambre basse se tiennent symboliquement debout pour l'entendre, les lords incarnent une politique qui s'assied pour écouter, afin de faire vivre la slow democracy. Bien utile, isn't it ?

Blog : http://minisite.catho.be/ericdebeukelaer/

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