La croissance des grands festivals de musique n’est plus adaptée aux enjeux climatiques

Des consultants et militants en faveur d’une transition écologique du secteur culturel réagissent à l’édition 2022 du Hellfest, dont la démesure fait date. Selon eux, la volonté de croissance des grands festivals français les rend vulnérables aux chocs environnementaux présents et futurs, et avec eux tout un écosystème qui les entoure.

Contribution externe
La croissance des grands festivals de musique n’est plus adaptée aux enjeux climatiques
©AFP

Une carte blanche de consultants et militants français (voir la liste des signataires ci-dessous)

En novembre dernier, dans le rapport “Décarbonons la culture !” le think tank Shift Project alertait sur les risques qui pesaient sur les grands festivals s’ils ne changeaient pas certaines de leurs pratiques. Pour le Hellfest, ces pratiques ont bel et bien changé : elles sont pires.

Pour sa première édition du monde d’après, le Hellfest s’est organisé sur deux week-ends d’affilée, et sa fréquentation a plus que doublé par rapport à 2019. Celle-ci avait déjà été multipliée par 9 entre 2006 et 2019, à l’image de la “gigantisation” de la plupart des grands festivals de musique français depuis les années 2000 : les Vieilles Charrues est passé de 100 000 places vendues en 1998 à plus de 250 000 en 2019, les Eurockéennes de Belfort de 80 000 en 2003 à 130 000 en 2019... Cette tendance leur permet, entre autres, d’engranger davantage de recettes afin de pouvoir inviter des artistes dont les cachets augmentent tout aussi vite, et qui produisent des concerts de plus en plus spectaculaires. Or, cette “course à l’armement” augmente les impacts écologiques de ces événements de manière exponentielle.

Plus les événements grandissent, plus ils doivent attirer de spectateurs et spectatrices venant de loin. Le Hellfest ne s’en cache pas : les informations pratiques pour venir au festival depuis l’aéroport de Nantes sont affichées sur le site. Problème : selon le Shift Project, si seulement 3% des festivaliers et festivalières viennent en avion sur un grand festival, ils seront responsables de la majorité de ses émissions de gaz à effet de serre. Pour les autres, le festival a acquis un terrain de 37 hectares pour en faire le plus grand parking de France, “supérieur, même, à celui de Disneyland”, qui sera donc pleinement utilisé quelques jours dans l’année. Une décision qui accroît la dépendance du festival aux énergies fossiles, alors que 300 000 litres de fioul ont été engloutis par les groupes électrogènes pendant cette édition, “la consommation la plus énergivore de France” selon les mots de son directeur.

Brumisateurs et lances à eau

Des brumisateurs géants et des lances à eau ont arrosé le public pendant la canicule, et ce en pleine période de sécheresse : le département de Loire-Atlantique est pourtant classé par le ministère de la transition écologique dans les territoires à risque “très probable” de sécheresse d’ici à la fin de l’été, et soumis en partie au régime de” restriction d’eau” depuis la mi-juin, interdisant tout prélèvement, y compris agricole, sauf usages prioritaires. À la veille du lancement du premier week-end de festivités, les sapeurs-pompiers locaux n’étaient pas rassurés : “On espère que les réserves de la ville de Clisson sont bien remplies”. Le contraste est criant avec les nombreux autres événements culturels qui ont dû être annulés pendant ce week-end marqué par des températures record et des chaleurs précoces.

Pourquoi s’en inquiéter ? D’une part, alors que les multiples crises écologiques nous imposent de mettre la sobriété au coeur des politiques publiques et des pratiques, le Hellfest ne semble pas montrer la voie. On pourrait (et on aimerait !) défendre certains “passe-droits” pour le secteur culturel, en considérant que ces événements massifs permettent de créer des ambiances nulle part égalées et importantes à préserver, voire à renforcer.

Mais que ce soit pour le Hellfest ou les autres festivals de musiques, ces tendances menacent leur résilience. Dans un secteur dynamique mais fragile, cette croissance effrénée accroît la vulnérabilité économique des événements (augmentation du coût des transports, hausse des cachets artistiques, concentration capitalistique…) et augmente les probabilités que certains ne disparaissent de façon brutale, à cause de facteurs que le changement climatique renforce : manque d’eau, événements météorologiques extrêmes, épidémie, difficultés d’approvisionnement énergétique… Ne pas anticiper ces risques met en danger les employés, fournisseurs, collectivités, commerces et autres parties prenantes bénéficiant du festival. Sans changement de direction rapide, et sans prise de conscience de la dépendance qu’ont ces multiples acteurs à ces festivals, le choc pour les économies locales risque d’être sévère.

Repenser les pratiques

Il paraît indispensable d’engager une réflexion sectorielle à tous les niveaux (Etat, collectivités territoriales, organisateurs, producteurs, tourneurs, artistes...) pour repenser les pratiques et renforcer ce secteur et ces événements qui nous sont si essentiels. Depuis une dizaine d’années, de nombreuses initiatives collectives ont vu le jour pour s’attaquer à ce sujet dans les festivals de musiques actuelles (Réseaux Régionaux d’Accompagnement au Développement Durable - R2D2, Charte de développement durable pour les festivals par le Ministère de la culture…) : il est urgent qu’elles prennent de l’ampleur et qu’elles suscitent des transformations majeures, y compris le renoncement à un modèle d’hyper-croissance qui n’est ni économiquement soutenable, ni écologiquement durable.

Liste des signataires :

David Irle, éco-conseiller indépendant, co-auteur de l’ouvrage “Décarboner la culture”, PUG/UGA (2021)

Gwendolenn Sharp, fondatrice et coordinatrice de The Green Room

Samuel Laval, polytechnicien, membre de Music Declares Emergency France

Fanny Valembois, consultante indépendante, co-fondatrice du Bureau des Acclimatations

Cyril Delfosse, consultant indépendant, co-fondateur du Bureau des Acclimatations

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