"Je propose de supprimer certains jours fériés afin de remettre les gens au travail"
"La population est mûre pour travailler plus", assure l'économiste Jean-Marc Daniel. Dans son nouvel ouvrage intitulé "Vivement le libéralisme !", il compile six années de chroniques parues dans le quotidien économique français Les Échos. Une réplique détonante à "Vivement le socialisme !", l’œuvre de l’économiste de renom Thomas Piketty. Entretien.
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Publié le 26-08-2022 à 10h26 - Mis à jour le 26-08-2022 à 12h34
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Par votre ouvrage, vous répondez à Thomas Piketty, économiste de renom et auteur de "Vivement le socialisme !" Que lui dites-vous ? Qu’il se trompe ?
Je fais effectivement référence à Thomas Piketty au travers du titre de mon livre, d'abord pour des raisons de forme : il publie régulièrement des chroniques dans le quotidien Le Monde et les a regroupées dans son ouvrage "Vivement le socialisme !", je fais de même dans mon livre avec mes contributions parues d'octobre 2015 à la fin 2021 dans le journal Les Échos.
Sur le fond, il s’agit bien d’affirmer une opinion allant clairement contre celle de Thomas Piketty. Mon point de vue sur l’économie mondiale part du constat d’une situation déroutante, à savoir que l’idéologie dominante répète à l’envi que nous sommes en "crise". Et elle soutient que l’État limite les conséquences de la "crise" et doit, pour résoudre nos problèmes, prendre encore plus de place, quitte à accepter de s’endetter presque sans limites. Pour ma part, je soutiens l’inverse : ce qui doit être déterminant, ce n’est pas le rôle de l’État mais bien le travail et son organisation dans un tissu d’entreprises en concurrence. Pour ce faire, je m’appuie sur l’expérience historique et sur la théorie économique telle qu’elle a été conçue à partir des écrits de l’économiste David Ricardo et telle qu’elle est résumée dans une version moderne simplifiée par les "dix principes de Mankiw" du nom du professeur de Harvard qui les a énoncés. L’idée maîtresse qui en ressort peut se résumer comme suit : s’il n’y a pas assez de croissance, c’est qu’il faut travailler plus.
On connaît cette formule de Valéry Giscard d’Estaing qui dit : "Au-delà de 40 % de prélèvements obligatoires (en proportion du PIB), nous basculerons dans le socialisme…". Aujourd’hui, nous sommes largement au-delà de cela. En revanche, le libéralisme que l’on dénonce régulièrement n’est pas à l’œuvre avec, pour conséquence, que l’économie va mal en France, et partout en Europe.
"L’économie mondiale souffre d’une mauvaise médication issue d’une erreur de diagnostic sur les mutations de l’économie", écrivez-vous. Nous nous sommes donc tous trompés à l’origine ?
Oui, nous nous sommes trompés à l’origine. Ceci est d’autant plus surprenant qu’au moment des premiers chocs pétroliers, il avait été demandé à l’OCDE un rapport - rédigé sous l’autorité de l’économiste américain Paul McCracken - et qui relevait que l’on répondait systématiquement aux problèmes de l’économie par une gestion de la demande, en particulier par une augmentation des dépenses publiques et du déficit budgétaire. Les problèmes n’étaient pourtant pas des problèmes de demande mais bien de mutations de l’offre, d’inadéquation entre la main-d’œuvre et les besoins de l’économie, etc. On accumule donc de la dette publique sans véritablement résoudre les problèmes de croissance qui sont supposés être ceux que l’on doit résoudre.
Que faire, précisément ?
Il faut mettre les entreprises en concurrence et en finir avec l’État actionnaire. À tout prix. La concurrence est ce qui permet d’acquérir la liberté nécessaire à l’action propre, à ce que doit être un État. Le grand enjeu de l’État, c’est d’équilibrer les comptes sur la moyenne période, de lutter contre les inégalités, la connivence et contre les monopoles et de faire de la concurrence un outil de justice sociale. L’État est là, aussi, pour mener une politique de régulation conjoncturelle mais il n’a pas à se mêler de la gestion d’un aéroport par exemple. Il faut amplifier la concurrence. Or, cela ne va pas de soi. Aux États-Unis, pourtant souvent présentés comme hostiles, par principe, à l’étatisme, des études ont révélé que la concurrence est plutôt en recul. L’enjeu central est donc celui-ci : moins de dettes, moins de dépenses publiques et plus de concurrence.
Lorsque l’on confine une population, comme ce fut le cas durant la pandémie de coronavirus, n’est-il pas légitime que l’État intervienne pleinement dans le soutien à sa population ?
Si, bien sûr. Durant la crise sanitaire, j’ai insisté à plusieurs reprises sur le fait que je trouve naturel que l’État intervienne à partir du moment où il confine sa population. Mais j’ai soutenu aussi ceci : dès que la population se remettra au travail, il faudra lui demander de fournir un effort. C’est tout à fait naturel. Une fois que l’on sort de la pandémie et du confinement, on favorise le travail et on baisse les impôts des entreprises pour leur permettre de s’en sortir. Par ailleurs, j’ai proposé de supprimer certains jours fériés afin de remettre les gens au travail.
Comment cette dernière proposition a-t-elle été accueillie par l’opinion publique française ?
Elle a suscité des réactions, c’est indéniable. Le citoyen est naturellement inquiet car l’État s’est mis en position de lui dire qu’il allait prendre à sa charge tous les problèmes mais le citoyen sait pertinemment bien qu’il y a un coût derrière tout cela. On ne peut pas prétendre que l’État va créer de la richesse. C’est une question de bon sens. Le discours des hommes politiques est d’ailleurs généralement incohérent à ce sujet : ils ne cessent de déclarer qu’il faut diminuer les dépenses publiques, qu’il faut baisser les impôts, puis ils répondent à tous les problèmes par une augmentation des dépenses publiques et par une hausse du déficit budgétaire.
Maurice Thorez, leader du Parti communiste français dans les années 40-50, avait lancé au moment de la libération le mot d’ordre suivant : "Produire d’abord, revendiquer ensuite". Il se positionnait au nom du peuple, il n’était pas un défenseur du grand capital et des trusts. Je suis convaincu qu’un discours de la même nature, avec moins violence car nous ne sommes pas dans la même configuration que celle de 44-45, est aujourd’hui opportun. La population est prête à l’entendre. Elle est mûre pour travailler plus, contrairement à ce que pensent et disent certains hommes ou femmes politiques. À force de dire que la population n’est pas mûre, on ne fait rien si ce n’est de s’endetter… par lâcheté.
Le modèle économique japonais est une source d’inspiration pour des pays comme la France ou la Belgique, dites-vous. Pourquoi ?
Le Japon est le premier pays qui a compris qu’il est en train de vieillir. Il a donc adapté sa politique économique par rapport à ce paramètre. Ce n’est pas le cas de l’Europe qui continue d’adopter une attitude incohérente par rapport au vieillissement. Ainsi, le Japon a conscience de la nécessité de favoriser l’épargne et d’améliorer la profitabilité des entreprises pour prolonger la politique d’investissement à l’étranger. Car c’est cette politique qui garantira les revenus futurs d’une population de plus en plus âgée.
Sur le plan mondial, quelles seront les conséquences économiques de la guerre en Ukraine ?
Cela va dépendre de la durée de cette guerre. Ce que je crains le plus, c’est la montée en puissance du protectionnisme, que la "souveraineté" devienne une valeur, qu’elle devienne un élément-clé de toute politique économique. Cela aurait pour conséquence une perte sèche de bien-être.
Extraits du livre :
"Contrairement à nombre de discours tenus actuellement, la concurrence est la première et la meilleure garantie de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l'entreprise."
"La dépense publique n'est ni un bien ni un mal en soi. Elle doit simplement obéir à un double objectif : financer des services souhaités par la population et assurer la pérennité du contrat social en venant en aide aux plus défavorisés."
"Où en sommes-nous trente ans après ? L’euro est là, l’Europe s’est dotée d’une monnaie partagée par dix-neuf pays, alors qu’elle ne comptait que douze membres en 1988. Mais le désordre monétaire mondial est loin d’avoir disparu, profitant plus que jamais aux États-Unis" (chronique parue en mai 2018).
"L’économie mondiale souffre d’une mauvaise médication issue d’une erreur de diagnostic sur les mutations de l’économie. La réponse à la crise s’est faite sous la double forme d’une intrusion massive des autorités publiques dans la gestion du secteur financier et d’une extension irraisonnée du rôle des Banques centrales."
"[…] Relisant mes chroniques, je persiste et signe dans leur philosophie générale qui met en garde contre la dérive dirigiste que nous subissons, et rappelle une phrase célèbre de Saint-Paul : ‘Qui non laborat non manducet.’ (Traduction : 'Qui ne travaille pas ne mange pas')
Bio express :
La sortie en librairie est prévue pour le 1er septembre. Dans son nouvel ouvrage intitulé Vivement le libéralisme !,Jean-Marc Daniel compile six années de chroniques parues dans le quotidien économique français Les Échos. Une réplique détonante à Vivement le socialisme !, l'œuvre de l'économiste de renom Thomas Piketty.
Depuis 2015, Jean-Marc Daniel publie une chronique mensuelle dans Les Échos. Il y développe ses analyses et expose ses opinions, souvent percutantes. Parfois iconoclaste, il décortique l'actualité, française et mondiale, en s'appuyant sur l'expérience historique et sur la théorie économique. Il enseigne l'économie à l'ESCP Business School, une grande école de commerce à Paris, et est aussi chroniqueur sur BFM Business. Il est notamment l'auteur, chez Tallandier, des ouvrages Le Gâchis français. Quarante ans de mensonges économiques (2017) ; Impôts. Histoire d'une folie française (2018) et de Histoire de l'économie mondiale (2021). Al. D.
Le livre :
"Vivement le libéralisme !", Jean-Marc Daniel, Éditions Tallandier, 2022, 288 pp., 19,90 euros.