Des visites au musée sur prescription médicale: une bonne idée?
La Ville de Bruxelles et les médecins du CHU Brugmann lancent un projet pilote pour les patients en psychiatrie.
- Publié le 14-09-2022 à 14h00
- Mis à jour le 14-09-2022 à 14h05
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L'idée avait été lancée en 2017 au Royaume-Uni. Un rapport d'un groupe parlementaire recommandait alors que les établissements dépendants du National Health Service (NHS) puissent prescrire de l'art sur ordonnance dans certains trajets de soins en santé mentale. Il visait l'art-thérapie (reconnue bénéfique pour la santé par une méta-étude de l'OMS en 2018), cette forme de psychothérapie qui utilise le processus créatif (danse, théâtre, arts plastiques, musique, etc.) à des fins thérapeutiques.
La visite de musée en est une déclinaison plus passive. Souvent pionnier, le Canada a mis en place en 2018 des prescriptions muséales. Fruit d’une association entre le musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) et l’Association des médecins francophones du Canada (MDFC), des médecins prescrivent des ordonnances de visite au musée à leurs patients. La pratique s’est pérennisée et déployée localement en France et en Suisse notamment, maintenant en Belgique.
Une première à Bruxelles
Depuis le début de cette semaine, la Ville de Bruxelles, à l'initiative de Delphine Houba (PS), l'échevine de la Culture et Tourisme, a lancé un projet pilote d'une durée de 6 mois dans cette veine santé-culture. Le personnel médical du service psychiatrique du CHU Brugmann - et plus précisément l'hôpital de jour Paul Sivadon - peut dorénavant prescrire une visite au musée. C'est gratuit pour le patient bénéficiaire qui peut y aller seul ou accompagné par une, deux ou trois personnes de son choix. Le psychiatre peut délivrer jusqu'à cinq prescriptions muséales (et nominatives) par personne durant le projet pilote. "À travers cette démarche, nous poursuivons deux objectifs", précise Delphine Houba, par ailleurs ex-présidente du conseil d'administration du CHU Brugmann. "D'une part, renforcer l'accès à la culture pour un public vulnérable. D'autre part, offrir au corps médical un outil complémentaire au suivi thérapeutique existant."
Une des spécificités du projet bruxellois est que le bénéficiaire a le choix entre quatre musées et un centre d’art : le musée de la Ville de Bruxelles (Maison du Roi), le musée Mode et Dentelle, le musée des Égouts, la Garde-robe de Manneken-Pis et le Central for Contemporary Art. La palette est singulière mais compréhensible. La Ville de Bruxelles prenant en charge les tickets distribués - la sécurité sociale n’intervient nullement financièrement -, l’opération ne peut concerner que ses musées.
Mardi, une radio francophone se demandait toutefois si une visite de musée était un médicament ? Non. Un traitement ? Non plus. "C'est un outil supplémentaire pour reprendre pied dans la vie, au même titre que l'activité physique ou voir des gens", nous éclaire le professeur Kornreich, chef du service psychiatrie du CHU Brugmann. "On n'escompte pas que de telles visites vont guérir nos patients. Il s'agit de personnes qu'il faut aider à sortir de chez elles, dans un processus de réinsertion. Nous avons aussi fait très attention à ce que les patients ne se sentent pas stigmatisés dans les musées. L'anonymat des données médicales et le secret médical seront bien préservés."
Et puis ? Après six mois, une évaluation sera mise en place. Pour mesurer d'éventuelles améliorations de l'état de santé mental ? "Non, c'est impossible à mesurer. Une étude scientifique n'aurait pas non plus de sens vu la quantité d'évènements qui peuvent advenir dans la vie d'un individu en six mois. Par contre, on verra si l'initiative s'avère intéressante par le nombre de professionnels qui vont délivrer des prescriptions et le nombre de prescriptions utilisées par des patients."
Pour la gratuité des musées
Après la prescription d'activités physique (une thérapie non médicamenteuse destinée à des personnes malades chroniques), voici donc la prescription muséale pour le secteur de la santé mentale. Quasi tout le monde se félicite de cette initiative. Un commentateur se demandait néanmoins : "Mais où la limite ? Le soleil nous fait également du bien. Les médecins vont-ils prochainement nous prescrire des vacances ?"
Plus subtils, d’autres se réjouissent. Auparavant, les musées publics étaient gratuits, considérés comme payés par les impôts des citoyens. Ils ne le sont plus. Voilà que le combat en faveur de la gratuité des musées publics sort de sa dépression et de sa léthargie. Grâce à la santé mentale.