Au diable le Qatar
Dans deux mois exactement, le 20 novembre prochain, sur le coup de 19h, débutera la Coupe du Monde 2022 au Qatar lors d’un match opposant le pays hôte à l’Equateur. Nous, fans acharnés de football, ne voulons pas devoir intégrer à notre attirail habituel de supporters/supportrices des oeillères pour nous cacher de la réalité politique qatarie et de l’urgence climatique.
Publié le 20-09-2022 à 10h39 - Mis à jour le 20-09-2022 à 16h51
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Une carte blanche signée par un collectif de citoyens engagés et amateurs de football (voir la liste complète ci-dessous)
Nous - qui partageons un amour incandescent pour le sport roi - ne souhaitons ni fermer les yeux sur les tragédies humaines qui ont rendu possible l’organisation de cet événement planétaire, ni nous boucher les oreilles par rapport aux violations des droits des travailleurs, des femmes et des LGBTQI+, ni le nez pour l’impact écologique désastreux d’un tel événement lors duquel des stades à ciel ouvert seront climatisés.
Comment s’extasier sur un assist millimétré de De Bruyne, un but rageur de Lukaku ou encore une parade décisive de Courtois, alors que Malcolm Bidali, militant des droits humains et Noof Al Maaded, une activiste victime de violences familiales, sont restés introuvables pendant des mois victimes d’une disparition forcée de la part des autorités qataries ? Que dire du chanteur principal du groupe de rock libanais Mashrou Leila – ouvertement gay – qui a dû annuler son concert à Doha du fait de son orientation sexuelle ?
Comment réellement vibrer pour nos Diables Rouges alors qu'on parle de 6500 travailleurs morts (source : Amnesty international. Un chiffre qui serait bien supérieur à 6500, selon The Guardian) pour construire les stades dans lesquels nos joueurs s'exposeront et que les 2 millions de travailleurs migrants dans le pays restent, dans les faits, soumis à la Kafala qui les empêche de vivre dans la dignité humaine ?
Le hasard (pas Eden!) du calendrier veut que le lancement de la Coupe du Monde coïncide avec la clôture de la COP 27, en Egypte, où des décisions fondamentales devront être prises pour l’avenir de notre humanité. Alors même que le GIEC prescrit des changements radicaux, notamment dans les modes de production et de déplacement, nous ne pouvons pas rester inactifs et cautionner passivement cet événement planétaire alors que la fenêtre de tir se réduit de plus en plus.
Lorsque, le 23 novembre, la Brabançonne résonnera sur les téléviseurs du monde entier pour le match inaugural de la Belgique contre le Canada, nos couleurs flamboieront pour leur signification première : le noir – pour le deuil des travailleurs morts et la pollution engendrée ; le jaune – pour l’argent qui a rendu possible l’organisation de cette Coupe du monde sur le dos de valeurs sociales, humaines et écologiques ; et le rouge – pour l’effusion de sang de celles et ceux qui s’éloignent des normes édictées par ce pays.
Maintenant que ce constat – aussi tranchant qu’une passe de Toby sur 40 mètres – a été posé, que pouvons-nous faire à titre collectif, sachant que l’erreur initiale a été d’organiser la Coupe du Monde dans ce pays du Golfe et qu’on ne reviendra plus sur cette décision à moins de 60 jours du début de la compétition ?
Nous aimerions pousser l’Union belge de football (notamment par l’entremise de ses joueurs), les communes (pour la retransmission), les sponsors et la RTBF/VRT (diffuseurs des matchs) à se positionner publiquement afin de ne pas banaliser l’organisation d’un tel événement dans un pays qui foule allègrement les droits fondamentaux de leurs pieds et met la lutte contre le réchauffement climatique hors jeu.
Comment ? Que les différentes parties prenantes précitées réfléchissent avec les organisations de Droits humains et les supporters/supportrices aux actions qui doivent être menées et ne normalisent surtout pas les pratiques qataries. A la brutalité du régime et son (in)action criminelle, nous souhaitons opposer l’arme du dialogue, de la délibération et de la co-construction d’actions concertées. Nous demandons donc d’urgence à l’Union belge d’organiser cette Convention nationale du football éthique pour fixer un cadre d’actions effectives à mener collectivement.
La Belgique est un pays à la pointe en matière d’innovation démocratique et de participation citoyenne, mobilisons donc une méthode inédite de concertation pour déterminer conjointement des actions concrètes qui pourraient devenir une feuille de route opérationnelle pour les joueurs, les communes, les sponsors, les diffuseurs et les supporters/supportrices des Diables rouges et inspirer les autres pays qui naviguent à vue également.
Si certain(e)s ont déjà annoncé que des mesures allaient être prises, celles-ci peuvent être plus ambitieuses et d'autres pistes doivent être envisagées urgemment. Ainsi, trois exemples concrets d’actions pourraient être envisagées par cette Convention. Premièrement, rappeler à la RTBF/VRT leur responsabilité sociétale en faisant une croix sur la cérémonie d’ouverture, qui n’a aucun intérêt sportif, et en la remplaçant par la retransmission des conclusions de cette Convention nationale. Deuxièmement, appeler les Diables rouges à avoir le courage de s’exprimer sur les droits des travailleurs migrants (à l’image des tenues portées par les footballeurs danois avec des messages sur les droits humains au Qatar). Troisièmement, demander aux sponsors d’offrir une partie des espaces publicitaires qu’ils ont achetés pour promouvoir les droits humains.
Pour conclure, nous, fans acharnés de football, ne voulons pas devoir intégrer à notre attirail habituel de supporters/supportrices (cf. le drapeau tricolore et le maillot des Diables Rouges) des oeillères pour nous cacher de la réalité politique qatarie et de l’urgence climatique. Pour paraphraser la fameuse citation de Gary Lineker - l’ancien attaquant de l’équipe d’Angleterre devenu aujourd’hui le visage du football à la BBC - le football est un sport qui se joue à onze contre onze et à la fin, ET la Belgique ET les droits humains doivent l’emporter.
Liste des signataires :
Elisabeth Borile : Joueuse et supportrice des Diables, de la planète et des droits humains Maximilien Breny : citoyen engagé
Marc Magnery : Joueur de foot à Dison en réserve provinciale
Pablo Maréchal : citoyen engagé
Jonathan Moskovic : Passionné de football, de démocratie et d’un monde juste
Jean-Luc Nsengiyumva : Amateur du foot et citoyen engagé
Michèle Rémy : Amoureuse transie du foot, des droits humains et de la planète
Jean Rosenfeld : Passionné des Diables Rouges, du FC Barcelone et citoyen engagé