La plupart de nos prisons tombent en ruine. Les rats et les cafards pullulent. Les douches s’effondrent

Lettre aux magistrats qui ont visité la prison de Haren.

Contribution externe
La plupart de nos prisons tombent en ruine. Les rats et les cafards pullulent. Les douches s’effondrent
©BELGA

Une carte blanche de Harold Sax et Marie Berquin, coprésidents de l'Observatoire international des prisons - sections belges.

Mesdames, Messieurs les Magistrats,

Vous avez été invités, le week-end du 17 septembre, à "tester" le nouvel établissement pénitentiaire de Haren (voir notre édition du 20 septembre). Une cinquantaine d'entre vous ont répondu à l'appel et ont été "incarcérés" l'espace de 36 heures.

Le ministre Van Quickenborne, à l'origine du projet, exposait qu'une telle expérience devrait vous permettre d'avoir "une idée de la vie quotidienne des détenus et du fonctionnement d'une prison". Cette démarche, destinée à mieux appréhender les conséquences d'une incarcération, doit être saluée (même si, en réalité, elle avait avant tout pour vocation de tester la prison).

Il nous semble en effet indispensable que vous soyez, en tant que magistrats, amenés à prononcer des décisions d’emprisonnement, éclairés sur la manière dont ces peines de prison sont exécutées.

L’Observatoire international des prisons souhaite toutefois attirer votre attention sur deux points précis.

Peu de rapport avec la réalité

Tout d’abord, il nous semble important de souligner que ces quelques heures passées en prison, de façon volontaire et dans un contexte empreint d’une certaine sérénité, n’ont que peu de rapport avec la réalité de l’emprisonnement tel que vécu par les quelque 10 938 détenus du Royaume (chiffres au 1er septembre 2022).

Si vous avez pu observer les conditions matérielles de détention, vous n’aurez pu mesurer la violence réelle d’un emprisonnement.

Ce qui caractérise l’emprisonnement, c’est principalement l’incertitude et l’insécurité : dans quelle prison vais-je être incarcéré ? Quand serai-je libéré ? Ma sécurité sera-t-elle garantie ? Vais-je subir de la violence d’un codétenu ou d’un agent ? Aurai-je accès à des activités ? Les documents me seront-ils transmis dans une langue que je comprends ? Vais-je recevoir des soins médicaux ? Ma famille va-t-elle me soutenir ? Qui sera mon codétenu ? Est-ce que quelqu’un viendra me contrôler si je dois me soulager dans le seau de ma cellule maintenant ? Que restera-t-il de ma sexualité dans cet univers sous contrôle permanent ?

Cette incertitude et insécurité est consubstantielle de l’emprisonnement et persiste pendant toute la durée de la détention.

Vous avez au contraire été en tous points sécurisés : vous connaissiez le temps de l’expérience, vous n’aviez ni crainte pour votre sécurité, ni pour votre santé, ni pour le soutien de votre famille. Et surtout, vous aviez la certitude qu’un simple "terminus" vous permettait d’arrêter l’expérience à tout moment (1). Vous avez pu projeter la fin de l’expérience et la reprise d’une vie en société sans les stigmates de la détention.

Les constats que vous avez pu faire doivent être pensés à l’aune de cette différence capitale.

Ensuite, ce que vous avez vu à Haren ne doit pas vous faire oublier que les conditions de détention dans les établissements du pays sont très inégales.

Certaines prisons sont plus petites, ont un aspect moins sécuritaire. Les contacts avec les agents pénitentiaires y sont plus fréquents.

La plupart de nos établissements tombent en ruine. Les rats et les cafards pullulent. Les douches s’effondrent, les cuisines sont infestées, les cellules ne sont pas toutes équipées de l’eau courante. Certains détenus font leurs besoins dans des seaux hygiéniques. Certains établissements n’ont, pour le moment, plus d’eau chaude, ni de chauffage…

La surpopulation carcérale est légion.

Dans toutes les prisons du pays

Nous lisions dans un procès-verbal du Collège des cours et tribunaux du 28 mars dernier, ensuite d'une proposition du Conseil central de surveillance pénitentiaire de visiter les prisons, que "les magistrats doivent conserver à part entière leur indépendance lorsqu'ils imposent une peine d'emprisonnement ou une détention préventive", raison pour laquelle le collège a refusé la proposition.

Ironie du monde judiciaire, le devoir d’indépendance (ou l’aveuglement ?) ne s’appliquerait donc que lorsqu’il s’agit, pour des magistrats, d’aller constater le délitement de l’État de droit…

Ceux d’entre vous qui ont visité la prison de Haren savent qu’au contraire il est de votre devoir de connaître, constater, comprendre les conditions dans lesquelles les prévenus et les condamnés sont enfermés.

Si vous entendez mieux appréhender les conditions de détention des prisons belges, vous devriez vous rendre dans tous les établissements du pays.

Allez visiter les prisons de Mons, de Lantin, de Saint-Gilles, allez à la rencontre des détenus de Nivelles et d’Andenne. Demandez-leur ce que la prison leur a fait, comment elle a transformé leur esprit et comment elle change les corps.

L’établissement de Haren accueillera 1 200 détenus sur une population carcérale totale d’environ 11 000 personnes. L’OIP a, pour de multiples raisons, dès le début, émis d’importantes critiques à l’encontre de la construction de cette méga-prison.

Haren ne doit cependant pas nous faire oublier les conditions de vie de 10 000 personnes croupissant dans nos autres prisons.

Mesdames, Messieurs les Magistrats, allez visiter tous nos lieux d’enfermement !

(1) Il avait été convenu par les organisateurs de l’expérience que si l’un des participants souhaitait y mettre fin, il lui suffisait de dire "Terminus".

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