Les bras m’en sont tombés...
Pour punir les fauteurs de troubles dans les rues de Bruxelles, un parti de droite veut interrompre le payement des allocations sociales ou familiales. Cette proposition va à l’encontre des valeurs fondamentales de notre démocratie.
Publié le 14-12-2022 à 11h34 - Mis à jour le 14-12-2022 à 13h31
:focal(635x417:645x407)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/K3NN6FC5AZAORETD62LGTYZQGU.jpg)
Une opinion de Georges de Kerchove, Membre du Mouvement ATD Quart Monde Belgique.
Un parti de droite prônant les valeurs de liberté et de sécurité a proposé des mesures urgentes et inédites, en réponse aux incidents urbains survenus après la défaite des Diables rouges face aux Lions de l’Atlas.
Lorsque j’ai pris connaissance de la proposition, les bras m’en sont tombés. La presse résumait en une phrase l’objectif poursuivi : toucher les auteurs des troubles au portefeuille.
Comme tout un chacun, j’ai été choqué par les images de violence et j’aspire à ce que ses auteurs soient adéquatement sanctionnés. Toutefois, j’éprouve d’expérience une méfiance viscérale à l’égard des réglementations particulières élaborées sur le moment pour réagir à une situation ponctuelle teintée d’émotion. En effet, le code pénal dispose déjà d’un arsenal de peines permettant de réprimer les casseurs : sont pénalement punissables les rebellions contre les policiers et, de façon générale, tous les actes de vandalisme tels que la destruction ou la dégradation d’objets mobiliers, le bris de clôture, etc.
D’une pierre deux coups
Quelle nouvelle formule magique non encore prévue par le code pénal propose ce parti pour toucher au portefeuille ? Infliger des amendes classiques ne lui semble pas très efficace. Les casseurs insolvables risquent de ne jamais les payer, et si les fauteurs de trouble sont mineurs, impossible de les traduire devant un juge répressif.
Et ce parti de proposer d’interrompre le payement des allocations sociales ou familiales. Que voilà un paquet apparemment bien ficelé. D’une pierre deux coups. Tout d’abord, cette mesure permettrait de réaliser des économies dans le budget de la sécurité sociale, et par ailleurs les allocataires sociaux qui se trouvent assimilés pour l’occasion aux fauteurs de trouble n’ont qu’à bien se tenir. Déjà trop souvent perçus comme fraudeurs potentiels, ils risquent de se voir couper les vivres, ou plutôt, au vu de leurs revenus, le droit de vivre. De plus, la sanction est collective, elle frappe non seulement le fauteur, mais aussi sa famille.
L’amalgame est insidieux. Je croyais que l’expression classe laborieuse classe dangereuse caractérisant l’insécurité régnant à Paris au XIXe siècle était définitivement reléguée dans les tiroirs du passé, ou avait à tout le moins fait l’objet d’une analyse plus nuancée. Les classes pauvres constitueraient-elles toujours aux yeux de certains un danger pour l’ordre établi, pour l’ordre que ces mêmes ont établi ?
Cette myopie occulte la violence à laquelle les pauvres restent soumis : des déprivations de toute espèce, qui touchent en particulier les enfants, les mauvaises conditions de vie, de travail, de logement, le chômage, et j’en passe.
Le principe de l’égale dignité des êtres humains
Mais s’il n’y avait que cette myopie, je hausserais les épaules, sans pour autant me résigner à combattre les préjugés. De tout temps, les pauvres ont eu mauvaise presse surtout s’ils contestaient l’ordre public. Ne reproche-t-on pas encore aujourd’hui aux chômeurs – en particulier de longue durée – de ne pas chercher activement un emploi ? Et de façon générale, aux allocataires sociaux de se complaire dans leur situation et de bénéficier indûment de revenus presqu’équivalents aux salaires minimas garantis aux travailleurs ?
Dommage que la résilience des opprimés reste ignorée. Dommage que leur longue expérience de sobriété soit tenue pour négligeable et n’inspire pratiquement pas la réflexion pour une transition écologique et un développement durable. Quel gâchis pour tous !
La proposition contient un enjeu autrement pervers. Elle vise à renforcer les conditions permettant mener une existence conforme à la dignité humaine : parce qu’elle réserve les allocations à ceux qui marchent dans le rang, elle signifie à ceux qui marchent autrement qu’ils ne sont pas dignes d’exister. En d’autres termes, elle remet en question le principe de l’égale dignité des êtres humains. En introduisant une discrimination entre les bons et les mauvais allocataires, elle transpose en matière d’allocation l’idéologie de la méritocratie qui, en fait, justifie la hiérarchie sociale et la place occupée par les élites.
Je refuse cette proposition inspirée par une telle idéologie qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de notre démocratie. J’invite les responsables politiques et plus largement tous les citoyens à se montrer vigilants face à ces menaces. Je les invite à les évaluer en référence aux plus mal lotis de nos communautés. Ils sont des guides expérimentés que tous gagneraient à mieux écouter pour bâtir une société plus solidaire.