La baisse à 6% de la TVA sur l’énergie est d’abord une mesure d’allégement du coût du travail, et non de soutien des consommateurs

La vie serait simple si les apparences disaient vrai. Mais elle serait aussi ennuyeuse.

Contribution externe
Le prix des nouveaux contrats d'énergie a baissé de 20% en novembre
©BELGA

Une chronique d’Etienne de Callataÿ, économiste (1)

Qu’ils n’aient pas annoncé le retour violent de l’inflation semble jeter le discrédit sur les économistes. Certes, il est malheureux que ce retour n’ait pas été anticipé mais c’est se fier à de trompeuses apparences de blâmer l’économie pour une telle erreur. Le mot attribué à Richard Feynman, Prix Nobel de physique, les défend : “la physique serait nettement plus compliquée si les électrons avaient des sentiments”. Et les électrons des économistes ont des sentiments, du champ desquels relève, par exemple, l’agression russe.

Si elle n’est pas dans l’exactitude des prévisions, quelle est alors la valeur ajoutée de l’économie ? La réponse la plus évidente est “quand elle va à contrepied de l’évidence ! ” Et les économistes s’inscrivent, modestement, dans les pas de Galilée quand ils font la traque aux apparences. Et il en est de nombreuses à débusquer, en témoigne l’actualité du débat socio-économique belge.

Un cas emblématique est la baisse à 6 % du taux de la TVA sur l’énergie, une mesure en apparence essentielle pour le pouvoir d’achat des ménages belges. Pourtant, vu que gaz et électricité font partie de l’indice-santé sur la base duquel salaires et allocations sont indexés, cette diminution est d’abord une mesure d’allégement du coût du travail, et non de soutien des consommateurs.

Un deuxième exemple est celui de la limitation du régime fiscal des droits d’auteur aux vrais artistes, réellement propriétaires de leurs œuvres. Cela va étrangler l’entrepreneuriat technologique en Belgique, a-t-on entendu. Or, supprimer cette niche fiscale permettra de réduire d’autres impôts, d’augmenter certaines dépenses ou encore de réduire le déficit sans avoir à augmenter certaines taxes. L’apparence ne s’en préoccupe pas, mais, notion de “coût d’opportunité” à l’appui, il faut intégrer au jugement d’une telle mesure ce qu’elle permet, par ailleurs, de faire ou d’éviter. Pensons ici aux politiques environnementales. Elles coûtent cher mais en rester là est trop court. Il faut les comparer à ceux de l’inaction.

Un troisième exemple m’est donné par un lecteur de qualité de cette chronique – l’ordre des mots importe ! – qui confronte le remboursement par Brussels Airlines de l’aide publique reçue en 2020 et ma critique de l’époque à l’encontre de cette aide, comme à l’encontre des aides Covid non sélectives. Le remboursement semble donner raison aux partisans de ce soutien, mais cela ne suffit pas. Ici aussi, il faut tenir compte à la fois de ce qui aurait été fait de cette manne si elle avait été utilisée autrement et de l’effet sur l’environnement et la santé, dans la durée, de cette aide, sans parler de l’incitation donnée aux entreprises de ne pas se soucier davantage de leur résilience. Pourquoi une entreprise veillerait à avoir une structure financière prudente si l’État offre une assurance gratuite en cas de coup dur ? Ne faut-il pas sermonner l’enfant qui a fait une bêtise même si celle-ci n’a pas tourné au drame ?

Une étude récente de la BNB (2) nous offre un dernier exemple. Nombreux sont ceux qui réclament de réduire les droits d’enregistrement en avançant que cela faciliterait l’accession à la propriété immobilière. L’apparence est certes celle-là : moins de droits à acquitter permettrait aux candidats acquéreurs d’acheter un bien correspondant mieux à leurs desiderata. La réalité est toutefois bien différente, nous montre la BNB : baisser les droits d’enregistrement permet aux vendeurs de vendre plus cher, sans effet bénéfique pour les acquéreurs.

Les apparences nuisent mais elles ont la vie dure. L’enfant qui déclarerait ne pas croire au Père Noël risque de ne plus recevoir de cadeaux !

(1) etienne.decallatay@orcadia.eu

(2) Domènech-Arumi et al. (2022), Housing Inequality and How Fiscal Policy Shapes It : Evidence from Belgian Real Estate, Working Paper 423, NBB, October.

Titre de la rédaction. Titre original : “Les apparences sont trompeuses”

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