Comment pourrait-on amorcer une négociation de paix entre Russie et Ukraine?
Dans l’immédiat, la priorité absolue est d’arrêter les souffrances du peuple ukrainien. Il convient également de mettre fin aux menaces qui risquent de déstabiliser toutes les relations internationales.
Publié le 02-02-2023 à 11h43
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Une opinion de Pierre Vaesen, ambassadeur honoraire, ancien ambassadeur de Belgique en Ukraine
La guerre et son cortège d’horreurs frappent durement le peuple ukrainien et impactent l’économie européenne sans parler des sanctions imposées à la Russie qui finiront par avoir également un effet négatif sur la population russe elle – même. L’économie mondiale, y compris celle des pays en développement, va également en subir les conséquences. Tout en maintenant une solidarité solide avec l’Ukraine, nous devons reconnaître que l’inquiétude croît face à un dirigeant russe qui semble déconnecté de la situation sur le terrain et joue uniquement sur un rapport de forces qu’il croit favorable à ses fantasmes de (re) conquête impériale. Aucune perspective de paix ne semble s’esquisser, les jusqu’au -boutistes se manifestant bruyamment dans les deux camps avec des propos irréalistes (“il faut dénazifier l’Ukraine” d’un côté, “traduire Poutine devant un tribunal pour crimes de guerre”) de l’autre.
Dans ce contexte apparemment sans issue, comment amorcer une négociation entre les deux belligérants ?
Il faut en revenir aux fondamentaux qui ont déclenché l’agression russe :
1. Le contentieux territorial
Depuis 2014, après l’annexion de la Crimée à la Russie en violation du Droit international, les séparatistes du Donbass, largement soutenus par Moscou, demandaient l’autonomie voire le rattachement à la Russie, ce qui a été fait dans des conditions plus que douteuses en novembre dernier. Pourquoi ne pas demander le sentiment de toutes les populations locales concernées en organisant une VRAIE consultation des intéressés sous contrôle international ? Ce ne serait pas facile à réaliser : quels territoires ou portions de territoires seraient englobés dans la consultation ? Comment garantir un processus crédible, sans coercition ni ingérence extérieure ? Par la mise en place d’une force d’interposition de l’ONU ? Comment constituer les listes des électeurs, avec de nombreux habitants évacués voire déportés ? Tout ceci devrait faire l’objet de tractations précises et concrètes. Ce ne serait pas facile mais pas impossible. Il y a des précédents dans l’Histoire, y compris en Europe. En 1921, par exemple, une telle consultation a été organisée en Silésie, dont une partie a été rattachée à l’Allemagne, l’autre à la Pologne. Idem en Sarre en 1955, pour décider d’un statut européen ou d’un retour à l’Allemagne. Certains clameront qu’un tel processus remettrait en cause le principe de l’inviolabilité des frontières, véritable dogme onusien depuis 1945. Mais ce principe a connu des exceptions comme on l’a vu avec la sécession du Pakistan oriental en 1971 (devenu le Bangladesh) et l’implosion de la Yougoslavie dans les années 90.
2. Le statut international de l’Ukraine
Au-delà de ses rêves de reconstituer le territoire de l’URSS, voire de la Russie impériale, le prétexte invoqué par le Kremlin pour attaquer l’Ukraine a été la nécessité de mener une action préventive pour empêcher Kiev d’adhérer à l’OTAN. Pour Poutine, il est intolérable d’imaginer que Moscou soit à la portée de missiles placés par l’Otan sur le territoire ukrainien. Comme les USA n’ont pas accepté en 1962 que des missiles soviétiques soient placés à Cuba et menacent directement leur territoire. Certes l’Ukraine, comme Cuba, est un état souverain et a le droit de déterminer en toute indépendance sa politique étrangère et de choisir ses alliances. Mais il y a des réalités qu’on ne peut ignorer. Outre les craintes de Moscou sur un changement de l’équilibre géostratégique dans sa région, il y a aussi, sans aucun doute, une profonde humiliation face à la décision d’une ancienne entité de la Russie/URSS de “larguer” le monde slave et de se rattacher à l’Occident “honni”. S’il semble réaliste que Kiev renonce à adhérer à l’OTAN à court terme, il conviendrait aussi de donner à l’Ukraine des garanties internationales pour renforcer sa sécurité. Les traités étant souvent considérés par les dirigeants comme des “chiffons de papier “sans valeur, il faudra autre chose qu’une promesse platonique faite dans un accord diplomatique (pour rappel, la Russie avait reconnu et garanti la souveraineté de l’Ukraine en 1994 en échange de sa dénucléarisation !) . On en revient à l’ONU qui pourrait déployer une force de maintien de la paix aux (nouvelles ?) frontières russo- ukrainiennes.
Enfin, si les accords de Minsk semblent en “mort cérébrale” , il faudra tout de même ne pas oublier ce qui y était positif : un statut d’autonomie ou à tout le moins, la garantie d’un régime de bilinguisme ukrainien/russe pour les régions qui en exprimeront le souhait.
3. Le plus problématique sera de reconstruire la réconciliation entre les peuples russe et ukrainien
Les atrocités et crimes de guerre commis par les forces russes vont sans doute durablement affecter les relations entre les deux peuples. Mais la réconciliation n’est pas impossible. Il suffit de voir comment ce processus s’est effectué entre l’Allemagne et ses anciens ennemis européens après 1945.
Peut -être faudrait- il commencer par établir une commission mixte de chercheurs qui effectuerait enfin un travail honnête et objectif sur l’Histoire des relations passées. Les deux parties doivent faire des efforts pour scruter les pages sombres de leur passé. Elles sont toutes les deux dans le déni face à certaines horreurs de leur Histoire : beaucoup de Russes nient par exemple la réalité du Holodomor (la famine créée artificiellement par Staline dans les années 30 pour accélérer la collectivisation des terres qui a provoqué la mort de plusieurs millions d’Ukrainiens) tandis que certains, surtout dans l’ouest de l’Ukraine, nient la collaboration avec l’envahisseur nazi qui a sévi dans certains cercles nationalistes, ou minimisent son étendue en insistant sur les atrocités staliniennes qui l’expliquent sans la justifier. Une lecture sereine et conjointe de cette Histoire tourmentée doit sans doute être faite pour surmonter les plaies non cicatrisées qu’elle a laissées.
Au-delà de ces contentieux, il est temps que les Russes se résignent à accepter un divorce douloureux mais inéluctable : ce sont plusieurs siècles de vie commune qui ont pris fin avec l’indépendance de l’Ukraine en 1991 et il convient désormais de reconstruire une relation de confiance en tenant compte des nombreux liens qui subsisteront malgré tout par la langue (pour partie de la population) , la culture, la religion. Parmi d’autres initiatives, des échanges de jeunes du type Erasmus pourraient utilement y contribuer pour reprendre l’exemple de l’U.E. .
Les champions de l’intransigeance argumenteront qu’il est impossible de négocier avec Poutine, responsable de l’agression et de crimes de guerre. Sa comparution devant un tribunal du type Nuremberg serait un préalable indispensable pour une négociation de paix. Faut-il rappeler que le procès de Nuremberg a été possible parce que l’Allemagne nazie avait capitulé sans condition ? Ce n’est évidemment pas le cas de la Russie aujourd’hui. La Realpolitik impose d’accepter, même à contre-coeur, certaines priorités. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés n’ont jamais remis en cause leur alliance avec Staline malgré tous les crimes qu’il commettait, tant à l’intérieur de son pays (des millions de déportés au Goulag) que dans les pays voisins (les centaines de milliers de déportés dans les pays baltes et en Pologne en 39-41, les milliers de Polonais exécutés à Katyn en avril 40).
La Justice, surtout la Justice internationale, exige beaucoup de patience. Milosejic, Hissene Habre se sont finalement retrouvés devant des Cours de Justice pour les crimes qu’ils avaient commis. Le temps fera son œuvre et Poutine n’est pas immortel. D’autres dirigeants prendront la relève au Kremlin et permettront, on peut l’espérer, de surmonter ce tragique épisode dans les relations entre les deux pays.
Dans l’immédiat, la priorité absolue est d’arrêter les souffrances du peuple ukrainien tout en lui assurant des conditions de paix acceptables et en lui donnant des garanties solides pour son avenir. Il convient également de mettre fin aux menaces qui risquent de déstabiliser toutes les relations internationales.
Dernière étape qu’il faudra franchir : au-delà d’un plan” Marshall “pour la reconstruction de l’Ukraine, il faudra aussi explorer la possibilité de créer une nouvelle structure de sécurité européenne (en partant de l’OSCE ?) et un partenariat économique qui rétablisse une coopération ouest/est en retenant les leçons du passé, c.à.d. en évitant de retomber pour l' U.E. dans une dépendance toxique mais en nous ménageant une relation mutuellement bénéfique avec la Russie qui restera incontournable puisqu’on choisit ses amis mais pas ses voisins.