Le Palais des Droits : une instrumentalisation de plus, une indécence de trop

Si des demandeurs d’asile ayants droit à l’aide matérielle de Fedasil et donc de l’État fédéral, ont initialement pris possession de ce bâtiment vide en plein cœur de Bruxelles, c’est parce que le gouvernement belge choisit d’utiliser la crise comme mode de gestion de l’accueil, voire du non-accueil en Belgique.

Contribution externe
Illustration : Vincent Dubois
Illustration : Vincent Dubois

Une carte blanche signée par un collectif de personnalités, membres du comité de soutien aux habitants du Palais des Droits (voir la liste des signataires ci-dessous)

Le 21 octobre 2022, le lieu d’accueil de la rue des Palais à Schaerbeek est investi par une poignée de personnes exilées ayant toutes introduit une demande de protection internationale et dormant le long du canal depuis des mois. Celles-ci attendent une réponse structurelle et durable qui relève pourtant de la responsabilité et du devoir du gouvernement fédéral mais qui tarde à venir. Ce dernier, alerté pendant de longs mois par la société civile et les ONG, est conscient de la gravité des conséquences d’une telle situation et des conditions déplorables dans lesquelles ces personnes sont forcées à vivre pendant plus d’une année : dégradation de l’état de santé mentale ; augmentation des cas de maladies en lien direct avec le contexte sanitaire ; épidémies pouvant être contenues par des conditions de vie normales et dignes ; obstacles administratifs.

C’est dans ce contexte d’indifférence étatique au silence indécent et assourdissant qu’est né le Palais des Droits.

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Le Palais, ses occupants, ses sympathisant.es, n’a jamais été en mesure de fournir aux demandeurs d’asile à l’origine du mouvement l’entièreté des conditions matérielles d’accueil auxquelles ils ont droit en vertu de la loi belge et européenne. Le Palais n’a d’ailleurs jamais souhaité se substituer à l’agence fédérale chargée de l’hébergement. Il a servi de pansement et a permis d’éviter des drames liés à un séjour prolongé en rue pour des centaines de personnes abandonnées mais bien sous la responsabilité des autorités. Pourtant, ces mêmes pouvoirs publics ont fui leurs responsabilités et les ont déplacées sur les épaules des citoyen.nes solidaires à l’occupation les rendant responsables du lieu et de ses résidents.

L’octroi des places d’hébergement dignes pour les habitants du Palais n’a cessé d’être reporté, en cause : l’absence de places alternatives. La première étape fut l’annonce en grande pompe de l’ouverture de nouveaux centres pouvant héberger une partie des résidents : Jabbeke et Glons, pour ne citer que ceux-là, ne sont toujours pas en mesure d’accueillir les 1176 personnes, comme annoncé par le cabinet De Moor le 26 octobre1.

Et si ces places avaient été disponibles, il appartenait à l’État d’effectuer le recensement de son public. Fedasil a toujours refusé, mentionnant notamment la dangerosité du lieu (bien que les bénévoles s’y soient rendus quotidiennement pour subvenir aux besoins fondamentaux des habitants). En demandant plusieurs fois au comité de soutien de recenser les occupants du Palais, les autorités prouvent qu’elles ne sont plus en contrôle de la situation et qu’elles sont incapables d’attribuer ces places à qui de droit. Nous, comité de soutien, avons toujours refusé d’endosser ce rôle qui ne nous appartient pas et pour lequel nous n’avons pas les moyens. Il aura fallu attendre le 12 janvier qu’un incendie se déclare au Palais, soulignant l’urgence du relogement, pour que la Région de Bruxelles-Capitale et Fedasil annoncent enfin le 13 janvier la mise en place d’un tel recensement, soit 3 mois après le début de l’occupation. Bien que nous saluons cette initiative, nous souhaitons mettre en lumière la source du problème structurel qui réside à 1,4 km, à l’Office des Étrangers, où chaque jour, des hommes isolés, des mineurs fuyant des violences, se retrouvent encore à ce jour, renvoyés à la rue et voient leurs droits bafoués par un État qui choisit d’être dépassé.

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Dès lors, comment la liste des résidents d’un bâtiment occupé, et cela sans une réelle gestion des entrées et des sorties, peut-elle amener à une vision fiable de la situation administrative des habitants sur la durée ?

De plus comment, humainement, cela permettra-t-il d’alléger la pression qui réside au sein d’un lieu qui abrite plus de 1100 personnes dans des conditions de précarité désastreuse ?

Au vu de l’évolution de la situation et en l’absence d’une responsabilisation des instances concernées, le comité de soutien a dès les premiers jours alerté sur la situation sécuritaire des résidents : la demande d’un service de sécurité a été introduite et aussitôt balayée par la Commune de Schaerbeek, la jugeant inadéquate. 2 mois plus tard, une surpopulation grandissante, des conditions de vie extrêmes et une dégradation progressive de la sécurité, Cécile Jodogne, Bourgmestre de Schaerbeek, prend un arrêté en date du 30 décembre contraignant la Région à engager un service de gardiennage. Une nouvelle fois, nous dénonçons des décisions trop tardives et extrêmement coûteuses que nous mettons forcément en balance avec une prise en charge normale des personnes en DPI, des mois auparavant, au moment de leur arrivée sur le territoire, dans des hôtels de la capitale par exemple.

La gestion des déchets est également un exemple qui illustre parfaitement la dilution des compétences qui conduit les strates administratives à se renvoyer mutuellement la responsabilité. Il a fallu attendre le 28 décembre, soit plus de deux mois d’occupation, pour la simple installation de containers sur le trottoir de la rue des Palais.

Si ces demandeurs d’asile ayants droit à l’aide matérielle de Fedasil et donc de l’État fédéral, ont initialement pris possession de ce bâtiment vide en plein cœur de Bruxelles, c’est parce que le gouvernement belge choisit d’utiliser la crise comme mode de gestion de l’accueil, voire du non-accueil en Belgique, en attendant toujours que la situation atteigne un point de rupture avant d’agir (un rapport médical alarmant, un décès, un incendie). La crise du Palais n’a donc fait que cristalliser celle de l’accueil, et en reflète fidèlement les travers.

Nous, comité de soutien aux demandeurs de protection internationale de la rue des Palais, refusons de participer à cette gestion sordide de l’accueil :

  • Une gestion de l’accueil par la crise en attendant d’être devant des faits accomplis ;
  • Une communication mensongère de la part des autorités pour satisfaire leur électorat et parfaire leur image, sans aucune mesure concrète et en utilisant la dilution des responsabilités pour justifier leur inaction ;
  • L’instrumentalisation de citoyen.nes révolté.es par les manquements étatiques et le non-respect des lois et des décisions de justice qui, en outre, se retrouvent responsabilisé.es pour la gestion de la crise sans jamais avoir été entendu.es dans le mode de gestion.

Nous sommes indignés par cette stratégie politique d’utilisation des citoyen.nes solidaires et nous refusons de devenir des acteurs participant à l’immobilisme de l’État.

1 Le 26 octobre le cabinet De Moor annoncé la mise ne place de 1176 places dans les villes de Glons et Jabbeke (https://bx1.be/categories/news/crise-de-laccueil-un-accord-a-ete-trouve-un-accueil-durgence-aura-lieu-a-glons-et-jabbeke/). Les 500 premières places devaient ouvrir début novembre. Mais cela ne fut pas le cas (https://www.lesoir.be/475642/article/2022-11-08/chaos-migratoire-il-ny-toujours-aucune-place-durgence-disponible). Encore aujourd’hui, sur le site de Fedasil nous pouvons lire que ce n’est que le 5 décembre (1 mois après l’annonce dans la presse) que les premières 40 personnes ont été accueillies dans le cadre de cet hébergement d’urgence à Glons (https://www.fedasil.be/fr/actualites/accueil-des-demandeurs-dasile/accueil-durgence-glons). À Jabbeke, cela a dû attendre le 15 décembre pour 22 personnes (https://www.fedasil.be/fr/actualites/accueil-des-demandeurs-dasile/centre-durgence-jabbeke). Nous sommes bien loin des 1176 places annoncées. Il vaudrait la peine également de mentionner l’ouverture imminente annoncée pour le centre à la rue du Lombard à Bruxelles et retirée le jour même (le 16 décembre l’ouverture est annoncée – https://www.rtbf.be/article/crise-de-l-accueil-le-gouvernement-poursuit-les-efforts-et-lance-un-appel-aux-communes-11124187 – et retirée lors d’une deuxième réunion le jour même -https://www.rtbf.be/article/crise-de-l-accueil-le-gouvernement-poursuit-les-efforts-et-lance-un-appel-aux-communes-11124187).

Liste exhaustive des signataires :

  • Abdul-Azim AZAD
  • Antonia KRONWITTER
  • Daniela LILJA
  • Estelle DIDI
  • Fadia FRAIDE
  • Felix SCHRÖDER
  • Floris LIEKENS
  • Hanne FLACHET
  • Helen TRABELSSI
  • Irene ROMANO
  • Johan VERHOEVEN
  • Kaatje GEERTS
  • Lorenzo
  • Lorenzo DE LUCIA
  • Marie DOUTREPONT
  • Mieke VAN DEN BROECK
  • Naïm DAIBES
  • Nathan TORRINI
  • Nora FELLENS
  • Noëmie POTALIVO
  • Océane JUCHET
  • Raphaël ADAMS
  • Riet DHONT (Vriendschap Zonder Grenzen, Amitié Sans Frontières)
  • Robin DE RIDDER
  • Shila ANARAKI
  • Tobias STADLER
  • Association Walking In Street Essence
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