Non, un réseau social n’est pas un espace de liberté absolue

C’est dans cet esprit que le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné l’auteur de propos qui mettait en cause mon honneur, ma réputation, mon éthique et mes compétences d’enseignante.

Contribution externe
Trop souvent malheureusement, les échanges, notamment sur les réseaux sociaux – mais pas seulement – se bornent à des invectives et des insultes.
Trop souvent malheureusement, les échanges, notamment sur les réseaux sociaux – mais pas seulement – se bornent à des invectives et des insultes.

Une chronique “J’assume !” de Nadia Geerts, essayiste, auteure notamment de “Neutralité ou laïcité ? La Belgique hésite” (Luc Pire), blogueuse et conseillère au Centre Jean Gol

La liberté d’expression est un droit précieux, fondamental même. Reconnaître aux individus le droit d’exprimer leurs idées, c’est les préserver contre l’arbitraire d’un pouvoir qui pourrait vouloir museler les voix discordantes, empêcher les points de vue critiques de s’exprimer, voire dissimuler des vérités embarrassantes.

Que serait la liberté d’expression si elle devait se limiter au droit de n’énoncer que des banalités, des évidences, des idées déjà communément admises ? Que serait la liberté d’expression si elle devait plier devant les tenants d’un ordre établi, d’une vérité révélée, d’un catéchisme quelconque ? De même que, comme l’écrivait Poincaré, “La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être.”, une liberté d’expression qui renoncerait à s’exercer pour ne pas heurter cesserait par là même d’exister, et c’est bien le sens du célèbre arrêt Handyside qui, en 1976, affirmait déjà que “La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique.”

La liberté est la règle, l’interdit l’exception

Aussi, en matière d’expression comme en tout, la liberté doit-elle être la règle, et l’interdit l’exception nécessairement motivée par la protection d’un autre droit fondamental. Il n’existe pas, en démocratie, de droit de ne pas être choqué, et les idées, qu’elles soient politiques ou religieuses, ne sont pas des sujets de droit. Ce qui explique qu’il n’existe pas dans notre arsenal juridique de notion telle que le “blasphème”.

Une atteinte à la personne justifiée par la nécessité d’informer

Par contre, les personnes ont des droits, dont celui à la vie privée, qui inclut l’image, la réputation et l’honneur, comme le prévoit l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Aussi, lorsqu’un conflit survient – ce qui arrive fréquemment – entre la liberté d’expression et le droit d’une personne au respect de son honneur et de sa réputation, est-il nécessaire de s’assurer que l’atteinte portée à la personne est justifiée par la nécessité d’informer.

Beaucoup d’invectives sur les réseaux sociaux

Trop souvent malheureusement, les échanges, notamment sur les réseaux sociaux – mais pas seulement – se bornent à des invectives, des insultes, des railleries méchantes, dont la caractéristique principale, sinon unique, est de s’attaquer à la personne, sans prendre aucunement la peine de développer une argumentation, même minimale. Et on gagnerait certainement à insister davantage, en particulier à l’école, sur le développement des compétences argumentatives, sous peine de voir les échanges se transformer en pathétiques parties d’échecs avec un pigeon : ce dernier – on connaît la métaphore -, se bornera à renverser toutes les pièces, à ch… sur le plateau et à se pavaner fièrement comme s’il avait gagné.

Et malheureusement, de fait, le pigeon gagne souvent, ne serait-ce que parce que face à ses démonstrations de force imbécile, nombreux sont ceux qui préfèrent abandonner la partie.

Des propos condamnés

Il arrive pourtant que la justice soit saisie et condamne des propos qui excèdent les limites légitimes de la liberté d’expression. C’est ce qu’a fait récemment le tribunal de première instance de Bruxelles en condamnant l’auteur de propos dont il a estimé qu’ils mettaient gravement en cause mon honneur, ma réputation, mon éthique et mes compétences d’enseignante, “en (m’) imputant une subjectivité et une xénophobie qui ne (me) permettraient pas de faire passer des examens sans un assesseur à (mes) côtés”, et ce sans présenter d’éléments factuels vérifiables.

Car non, un réseau social n’est pas un espace de liberté absolue. Une évidence trop souvent négligée et qui méritait donc d’être rappelée par la justice.

”J’assume !”, le rendez-vous du mardi midi

Avec “J’assume !”, La Libre propose chaque mardi midi, sur son site, un nouveau rendez-vous d’opinion. Six chroniqueurs, venus d’horizons de pensée différents et complémentaires, proposent leurs arguments semaine après semaine sur des questions polémiques et de société.

Vous y retrouverez l’essayiste et militante laïque Nadia Geerts, l’auteur et comédien Ismaël Saidi, l’avocat et directeur général adjoint de l’Institut Thomas More Aymeric de Lamotte, la chargée de projets dans l’administration publique Margherita Romengo, Rik Torfs, professeur de droit canonique, écrivain, recteur honoraire de la KU Leuven et Adelaïde Charlier, étudiante en sciences politiques et sociales UGent&Vub, connue comme activiste climat et droits humains.

Tous s’expriment à titre personnel. Ils ont pour ambition de vivifier un débat impertinent mais de qualité aux côtés des grands entretiens, des opinions, des chroniques et des cartes blanches que La Libre publie au quotidien. Comme pour toutes les opinions, le contenu des textes n’engage que les auteurs et n’appartient pas à la rédaction du journal.

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