Dieu est-il un ami imaginaire inventé pour se rassurer?

Selon un certain nombre d'agnostiques ou d'athées, Dieu ne serait qu'un ami imaginaire que s'inventent les croyants, incapables qu'ils sont de consentir à la solitude radicale de leur condition humaine. Ont-ils raison?

Contribution externe
Pope Francis poses for photos with a group of nuns during his weekly general audience in the Pope Paul VI hall at the Vatican, Wednesday, Feb. 15, 2023. (AP Photo/Alessandra Tarantino)
Le pape François, ce 15 février au Vatican. ©Copyright 2023 The Associated Press. All rights reserved

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J’entretiens de réguliers échanges avec des personnes se déclarant agnostiques ou athées. La démarche est habituelle dans une société pluraliste et il s’agit de la saisir comme une opportunité. Il est, en effet, toujours intéressant de discuter avec celles et ceux qui ne partagent pas nos convictions les plus profondes. Cela enrichit les points de vue et nuance les clichés projetés sur l’autre. Ces dernières années, il y a un argument qui revient souvent sur les lèvres de ceux qui rejettent la foi en Dieu. Au vu de sa récurrence, il semble donc avoir le vent en poupe dans les cénacles libres-penseurs. Cet argument se fonde sur la construction mentale de “l’ami imaginaire”. Les parents et pédagogues connaissent ce phénomène que l’on rencontre chez nombre de jeunes enfants : ceux-ci se créent un ami invisible, leur tenant lieu de compagnon de vie et de jeu. Il s’agit d’une réaction naturelle et saine pour le petit, tout juste sorti du sentiment de fusion avec sa mère, pour lutter contre l’isolement et traverser les premières tensions du printemps de sa vie. Selon un certain nombre d’incroyants, la foi en Dieu ne serait que la continuation de ce procédé infantile chez des adultes, incapables de consentir à la solitude radicale de leur condition humaine. À la manière de saint Nicolas pour les petits, Dieu ne serait qu’un super-ami imaginaire, créé par un grand enfant immature qui se cherche de rassurantes chaînes. Le non-croyant serait, quant à lui, un humain lucide, car assumant sa condition humaine dans un univers né du hasard, sans avoir recours à la béquille mentale de la religion.

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Un plaidoyer à double tranchant

Pareil discours est séduisant. Je puis même y adhérer partiellement, en reconnaissant que l’acte de foi religieux mobilise en nous des ressources mentales, souvent héritées de la petite enfance. Cependant, un tel plaidoyer est à double tranchant et son argumentation peut être renversée. En effet, il n’est pas inutile de se demander pourquoi le petit d’homme est poussé à s’imaginer un ami invisible… Autrement dit : pourquoi l’humain ne se sent-il pas fait pour la solitude radicale ? Pourquoi avons-nous tellement besoin les uns des autres ? Si dans le règne animal et végétal rien n’existe sans raison – de la feuille de chêne à la moustache du chat – pourquoi postuler que les désirs les plus profonds du cœur humain ne seraient qu’un leurre néfaste pour notre déploiement en tant que vivant ?

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En mettant entre parenthèses le souffle de l’Esprit et considérant donc les choses du seul point de vue psychologique, la question religieuse fait surtout appel au désir et à l’imagination. En chaque sceptique veille une petite voix aux accents désabusés, le pressant de ne pas se faire piéger par les sirènes de son imagination : “Ne te laisse donc pas prendre par ces marchands de merveilleux. Ce qu’ils te proposent est trop beau pour être vrai. La faiblesse humaine crée des mirages ; sois lucide et dépasse la tromperie mielleuse de pareils fantasmes”. En chaque croyant, par contre, murmure une voix candide l’invitant à s’ouvrir à l’émerveillement : “Fais donc le pas et écoute ce que ton cœur souhaite être la réalité. C’est beau et donc c’est vrai. Pourquoi ton humanité se fonderait-elle sur une duperie ? Si tu ressens au plus profond de toi un besoin de croire en un Amour fondateur, n’est-ce pas le signe que c’est là que se trouve la clef ultime de la réalité ? ” Le croyant que je suis, est convaincu que la recherche enfantine de “l’ami imaginaire” est l’inverse d’une fuite du réel. Elle est, bien au contraire, le premier signe à l’aube de nos vies, de l’humaine quête de la source de tout être, que les croyants appellent “Dieu”. Comme l’écrivait saint Augustin (353-430) au début de sa célèbre autobiographie : “Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi. ” (Confessions I, 1).

(1) https://ericdebeukelaer.be/

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