La démocratie est un combat continu, et les Ukrainiens sont sur le front. Et Nous?
Qui donc s’engagera pour un combat indécis à la Sisyphe ?
Publié le 09-03-2023 à 17h34
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Une chronique de Xavier Zeegers (1)
La prix Nobel de la Paix Oleksandra Matviichuk dit vrai à propos de cet honneur qui “ouvre des perspectives de conscientisation.” Mais l’Ukraine n’a pas besoin de militants : ils sont devenus combattants au service d’un idéal qui semblait devenu obsolète : se battre pour la démocratie ; illustrant ainsi ce que l’on subit dès qu’elle est attaquée à coups d’assassinats, destructions et déportations. Y compris celle d’enfants, -plus de six mille- un crime contre l’humanité.
Leur message est limpide : nous sommes votre ultime rempart. Si nous perdons, notre sort sera aussi le vôtre ! Nous ne songions pas vraiment à cela. Il aurait fallu réagir sitôt la Crimée envahie, voire déjà quand le Donbass fut enflammé par la Russie en prélude à sa tentative de recoloniser le pays devenu indépendant. Comment ? D’abord en ignorant l’alibi foireux de Poutine prétendant rétablir l’ordre dans le pays. La guerre est le pire désordre et le pouvoir ne se possède pas, il s’exerce légalement, chez soi et non le voisin. Et nous aurions dû contrer son délire quand il asséna que la chute de l’URSS fut la pire catastrophe du XXe siècle. Pas le Goulag ou la Shoah, non, mais l’émergence du pire virus pour lui : celui de la démocratie. Avec distance on peut dire qu’il a vu clair en despote pur jus car la roue démocratique entama une marche arrière avant même le regain proclamé, avec le massacre de Tian’anmen à Pékin en juin 89. La Chine nous avertit qu’elle a désormais Taïwan en ligne de mire, après avoir gobé Hong Kong impunément. Ce conflit sera encore pire que l’agression russe car il enflammera toute la planète.
Le totalitarisme n’est pas une sorte de beurre congelé
Nous avions, après un XXe siècle au bilan accablant, le choix entre l’introspection sur l’origine de ce trou noir ou l‘oublier grâce à un confort attrayant dans l’insouciance d’un irénisme enchanteur, celui des “Trente glorieuses”. Avec un mode de vie pacifique basé sur le commerce, donc une prospérité facilitée par l’accès garanti à une énergie bon marché et abondante. Elle nous fit croire que le totalitarisme était une sorte de beurre congelé issu de la guerre froide mais apte à fondre sous une chaleur humaniste. Après Verdun et Auschwitz, c’était osé mais compréhensible car espérer c’est respirer. Mais même la chute du Mur de Berlin fut peut-être aussi un éblouissement trompeur, si pas un leurre. Car l’hydre dictatoriale n’est pas tombée avec lui et notre euphorie nous fit oublier que la démocratie reste un combat continu pour la dignité, laquelle suppose une abnégation constante, soit le contraire d’un hamac pour hédonistes jouisseurs.
Le Rideau de fer a tenu
Le rêve se fissura déjà en juin 89 à Pékin avec cet insurgé héroïque aux mains nues face aux chars massacreurs de Tien-An-Men, dont personne ne sait ce qu’il est devenu. Et c’est en septembre de cette même année que la Hongrie organisa alors un méga pique-nique champêtre en accueillant les voisins autrichiens qui tourna au raout incontrôlable, se répandant vers la frontière allemande, direction : Berlin. Où ce fut la divine surprise. Gorbatchev, ne voulant pas d’un Tian’anmen européen, refusa le tir aux colombes, scellant déjà ainsi son sort. Le garde-barrière hongrois Arpad Bella ignorait – comme nous tous- que son geste soulèverait aussi les portes de l’Histoire. Et si Poutine ne l’a pas bouclé il s’est bien vengé de lui car en bon cynique il sait qu’une pluie drue fait vite fuir les rêveurs dans l’herbe, ronronnant de félicité, ce que nous étions devenus. Payant fort notre naïveté car les gouttes sont désormais des missiles. Qui donc s’engagera pour un combat indécis à la Sisyphe ? Les Ukrainiens sûrement, qui le prouvent chaque seconde. Mais nous ? En regardant mon authentique brique débris du Mur, ce symbole si fort (au diable l’hiver totalitaire, laissons entrer tous les printemps, de Prague ou d’ailleurs…) je crains que le fer du rideau ait tenu bon. Le rêve était-il trop beau ?
Dans ses mémoires (Avec Kennedy, 1967) Pierre Salinger, porte-parole du Président Kennedy lui demanda : “Si jamais vous n’êtes pas candidat à un second mandat, de quoi serez-vous le plus fier ? Il répondit sans hésiter : “le Traité sur le contrôle des armes nucléaires. Il y va de la sécurité de tous.” Il gardait en tête la crise des missiles à Cuba, quand le monde fut au bord du gouffre. Revel disait : “l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie”. Churchill, où es-tu ?
(1) Xavier.zeegers@skynet.be