Non, la “crise” de l’accueil n’est pas finie
Malgré l'annonce d'un accord ce jeudi sur la question, le gouvernement ne fait que poursuivre la politique suivie depuis des mois par la secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Nicole de Moor/
Publié le 10-03-2023 à 17h34
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Une opinion de Marie Doutrepont, avocate au Barreau de Bruxelles
Après près de deux ans de “crise” de l’accueil, 7 000 condamnations par les juridictions nationales et 1 200 condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme, après que les astreintes dues par l’État fédéral atteignent presque le quart de milliard d’euros, après que des saisies ont même dû être effectuées dans des cabinets ministériels, le gouvernement fédéral a finalement décidé de se saisir du problème et d’organiser plusieurs kerns, et même un kern au finish, sur la question.
Nous, acteurs et actrices de terrain, citoyens et citoyennes solidaires, avocats et avocates spécialistes de la question, nous sommes dit : enfin.
Nous nous sommes réveillés jeudi matin le cœur battant, avons parcouru la presse avec anxiété, avons lu les congratulations que s’échangeaient bruyamment les partis de la majorité.
Comme tout le monde, sans doute, nous avons été étourdis, dans un premier temps, par les grands titres. 4 000 nouvelles places créées, cela ne pouvait que nous réjouir.
Puis, nous avons lu les dépêches avec plus d’attention, et nous avons vu que le calendrier prévu s’étend jusqu’à l’hiver 2023-2024, date à laquelle le gouvernement “espère” qu’il n’y aura plus personne à la rue. Nous avons dû répondre aux personnes qui nous demandaient, anxieuses, si suite à cet accord, elles auraient bientôt une place dans un centre que non, le gouvernement, une fois encore, ne prévoit rien pour résoudre l’urgence de leur situation. Nous avons compris que le gouvernement ne faisait que poursuivre la politique suivie depuis des mois par la secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Nicole de Moor : créer de nouvelles places à moyen terme, mais refuser mordicus de mettre quoi que ce soit en place pour résoudre l’urgence de la situation.
Un camouflet de plus
Mardi passé, le “camp” de tentes installé depuis des mois à Molenbeek a été évacué. Les personnes qui passent régulièrement par là penseront peut-être : tiens, ils ne sont plus là. Ils ont dû être accueillis. Et c’est le cas pour une majorité d’entre eux.
Pourtant, ce n’est pas parce que le “camp” du Petit Château n’est plus que la “crise” de l’accueil est résolue. Plusieurs dizaines des occupants des tentes à Molenbeek n’ont pas été accueillis, faute d’avoir été là le jour de l’évacuation (surprise). Ils étaient chez le médecin, à l’hôpital, chez leur avocat ou avocate, ils faisaient la file pour prendre une douche aux bains de Bruxelles et à leur retour, il n’y avait plus rien. Même plus un sac de couchage.
Ils sont donc une soixantaine à s’être réfugiés dans un nouveau squat, ouvert non loin de là et appartenant à la Région, et dont ils menacent d’être expulsés à tout moment. Ils sont également 2 400 à continuer à survivre dans les stations de métro ou des petits squats, à être exploités par des employeurs sans scrupule pour qui ils travaillent dix-huit heures par jour, à chercher chaque soir dans nos villes un recoin caché où poser leur misère pour la nuit.
Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus visibles qu’ils n’existent pas.
Qu’au bout de deux ans de honte humaine, politique et juridique, alors que le gouvernement s’est enfin emparé de la question, il ose se féliciter de l’accord obtenu alors que rien n’est ne serait-ce qu’envisagé pour permettre à ces 2 400 personnes de voir enfin leur droit à l’accueil respecté avant un an est un camouflet de plus. Ces personnes n’ont nulle part où aller et continueront donc à créer des “camps de la honte” et à ouvrir des squats insalubres. Espérons qu’au moins ne s’ajoutera pas à leur misère quotidienne la douleur d’avoir disparu du débat public, effacés par quelques déclarations tapageuses.