"Small is beautiful"… 50 ans déjà
La thèse de l’économiste allemand Schumacher, selon laquelle l’économie classique triche avec les lois du marché et les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, est d’une logique implacable. Pourquoi donc sa mise en œuvre est-elle si laborieuse?
Publié le 13-03-2023 à 14h35
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Le regard du prêtre. Une chronique d’Eric de Beukelaer (1)
En 1973, il y a 50 ans déjà, fut publié “Small is beautiful” de Ernst Friedrich (Fritz) Schumacher. Né en 1911, cet économiste allemand se réfugia au Royaume-Uni pour fuir le nazisme. Il travailla sous la direction du père de la pensée de l’État-providence, John Maynard Keynes (1883-1946). Féru de spiritualité, Schumacher étudia l’économie bouddhiste et devint catholique. Alors que l’époque était aux grands ensembles industriels centralisés et énergivores, son livre se voulait un contre-pied prophétique. Un an après le “rapport Meadows” du club de Rome, concernant les limites de la croissance, “Small is beautiful” inaugura l’économie écologique, avec comme sous-titre évocateur : “une étude de l’économie, comme si les gens comptaient”. L’ouvrage connut un grand succès. Quatre années après sa publication, Schumacher décéda d’une crise cardiaque.
La principale thèse de l’essai, est que l’économie classique triche avec les lois du marché. Les ressources naturelles (eau, air, sable, pétrole, minerais…) ne sont pas inépuisables. En les monnayant au coût de l’extraction, additionnés à ceux de la transformation et du transport – sans oublier la spéculation – le marché se trompe et nous trompe. En effet, les ressources naturelles doivent être considérées pour ce qu’elles sont véritablement, soit un capital non-renouvelable. Et en économie, pour éviter l’appauvrissement, un capital qui se dégrade doit être reconstitué. Pour ce faire, il s’agit de facturer intégralement les coûts de destruction de l’environnement, soit le prix de la pollution générée par la production de tout objet de consommation. Le jour où notre modèle économique aura intégré cette variable, un produit recyclable et renouvelable coûtera moins cher que son homologue non-durable. C’est donc vers les technologies propres, devenues plus compétitives, que se dirigera tout naturellement le flux des investissements en recherche et développement. La thèse de Schumacher est d’une logique implacable. Pourquoi donc sa mise en œuvre est-elle si laborieuse ? D’abord, parce que seule une intervention des pouvoirs publics, peut calculer et percevoir le coût de pollution. Or, une économie basée sur l’initiative privée, n’est pas à l’aise avec ce qu’elle considère comme de l’étatisme, voire du collectivisme. Ensuite et surtout, parce que pareil modèle privilégie l’harmonie à long terme sur l’optimalisation à court terme. Et qui d’entre nous est disposé à payer son billet d’avion, son steak, son smartphone, son ordinateur, etc. dix fois plus cher, afin que les générations à venir puissent respirer un air plus pur dans trente ans… ? Reconnaissons-le : il ne suffit pas de poser un diagnostic clair, pour faire bouger les lignes dans la direction voulue. Voilà pourquoi, malgré un demi-siècle d’analyses et alertes, notre monde est entré en surchauffe climatique et en extinction de sa biodiversité.
L’angle mort de la vision économique classique, est sa myopie à penser le long terme. Keynes, le mentor de Schumacher, affirmait avec ironie : “à longue échéance, nous serons tous morts”. Ce faisant, il critiquait avec raison, la prétention des apôtres du laisser-faire à optimaliser tout équilibre sur le long terme. La pensée de Schumacher voit cependant plus loin : aucun développement économique n’est durable, s’il épuise le capital environnemental. L’impact écologique doit donc être intégré dans le calcul du juste prix de toute production. Un demi-siècle plus vieux, nous voilà au pied du mur, du moins si nous voulons éviter que la phrase de Keynes prenne une tournure apocalyptique : “à longue échéance, qui pourra survivre ? ” Où comme l’énonce le pape François : “il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes” (Encyclique Laudato Si, 2015, n°53)
(1) Blog : http://minisite.catho.be/ericdebeukelaer/