Accueillir un réfugié, c’est oser quitter ma zone de confort et risquer d’être transformé

Un phénomène rare et beau. Ouvrir ses bras et se réjouir qu’une personne ait moins faim, moins froid.

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? Il y a deux pièges dans cette affirmation : “on” ce n’est personne et “toute la misère” ce n’est qu’une abstraction. Il s’agit de toi, de moi, de vous face à la misère bien concrète qui affecte une personne bien vivante ou plutôt mal vivante !
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? Il y a deux pièges dans cette affirmation : “on” ce n’est personne et “toute la misère” ce n’est qu’une abstraction. Il s’agit de toi, de moi, de vous face à la misère bien concrète qui affecte une personne bien vivante ou plutôt mal vivante ! ©Jean Luc Flemal

Une chronique d’Armand Lequeux

Si selon l’aphorisme attribué à Camus mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde, il n’est pas interdit de penser qu’en les nommant mieux on puisse soulager quelque peu la misère de ce monde. Peut-être, on peut rêver, en advient-il ainsi lorsqu’on observe qu’ici et là dans les déclarations politiques comme dans les médias, l’appellation crise migratoire est remplacée par celle de crise de l’accueil ? Entendons ce qui résonne dans ces manières différentes de catégoriser un même phénomène : la première évoque une horde de migrants et met l’accent sur la responsabilité de ces envahisseurs incapables d’organiser chez eux un mode de vie paisible et prospère, la seconde sent bon le pain et le linge propre, elle parle de réfugiés et nous renvoie à notre incapacité à respecter nos engagements minimaux dans l’organisation de notre politique d’accueil. Bien sûr, vous connaissez comme moi les arguments qu’entendent régulièrement celles et ceux qui tentent de pallier les insuffisances de l’État qui se fait régulièrement condamner par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Occupons-nous d’abord de nos SDF ? Mais bien entendu et bienvenue dans les structures et plateformes humanitaires qui sont la plupart du temps les mêmes qui prennent en charge et les SDF et les réfugiés ! On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? Il y a deux pièges dans cette affirmation : “on” ce n’est personne et “toute la misère” ce n’est qu’une abstraction. Il s’agit de toi, de moi, de vous face à la misère bien concrète qui affecte une personne bien vivante ou plutôt mal vivante !

Vous connaissez le phénomène du “moi aussi” ?

Ce n’est guère aisé, reconnaissons-le. Accueillir, c’est oser quitter ma zone de confort pour m’ouvrir et faire en moi de la place en prenant le risque d’être transformé par la rencontre de l’autre, si semblable et si différent de moi. Ces considérations peuvent paraître bien théoriques et abstraites, alors donc je vous propose de nous pencher sur un phénomène prosaïque et bien concret que nous connaissons tous, celui du moi aussi. Non, il ne s’agit pas d’une version francophone du phénomène Me Too, mais du moi aussi avec lequel, femmes comme hommes, nous clouons si souvent le bec à nos interlocuteurs en les empêchant d’aller jusqu’au bout de ce qu’ils s’apprêtaient à nous confier. “Tu ne devineras jamais ce qui m’est arrivé. Figure-toi que… “.“C’est incroyable parce que moi aussi, vois-tu, j’ai vécu une expérience semblable. Écoute… “Je parie que ce phénomène ne vous est pas étranger et que vous pourrez aisément le repérer dans l’ordinaire de vos échanges, surtout lorsque vous en êtes la victime. Vous n’avez pas l’occasion de terminer la description de ce qui vous est arrivé et encore moins la possibilité d’y ajouter vos émotions et déjà votre interlocuteur dégaine son moi aussi suivi de l’exposé de son expérience, faisant ainsi la preuve qu’il ne vous a écouté qu’avec un hémisphère cérébral pendant que l’autre était centré sur lui-même dans cet égotisme naturel qui tend à nous isoler comme des atomes orphelins incapables de former des molécules. N’hésitez surtout pas à inverser l’expérience et, prenant conscience de cette pulsion qui vous conduit trop souvent à abuser également de ce moi aussi, efforcez-vous simplement de vous taire et d’écouter. Il est possible qu’un miracle survienne, une vraie rencontre lors de laquelle l’autre pourra vous apparaître mystérieusement proche et lointain, semblable à vous et irréductiblement différent. Un phénomène si rare et si beau que vous ne pourrez-vous empêcher mutuellement d’ouvrir vos bras et de vous réfugier l’un chez l’autre comme deux étrangers sans demeure, deux migrants qui ne savent rien de ce qu’ils sont venus faire sur cette planète, mais qui se réjouissent tout à coup d’avoir moins faim, d’avoir moins froid.

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