Faillite de SVB et sauvetage du Crédit Suisse : il faut davantage réguler les banques

Il est nécessaire de es réguler pour que nos économies cessent d’être à la merci de la confiance des financiers. Pour y voir plus clair, plongeons-nous dans le fonctionnement d’une banque.

A photo taken on March 20, 2023 shows a branch of Swiss bank Credit Suisse in downtown Milan. - Switzerland's largest bank UBS agreed to take over Credit Suisse for $3 billion Swiss francs ($3.25 billion) in a government-brokered deal over the weekend following days of market upheaval over the health of the banking sector. (Photo by GABRIEL BOUYS / AFP)
Le risque est limité pour les banques. Côté pile, elles réalisent de larges profits à distribuer aux actionnaires. Côté face, elles mettent Banques centrales et gouvernements au pied du mur, contraints de leur prêter massivement, voire de subsidier leurs opérations de sauvetage, afin d’éviter de ruiner les électeurs. ©AFP or licensors

Une carte blanche de Tom Duterme, socio-économiste FNRS à l’UCLouvain, Brecht Rogissart, historien de la finance à l’European University Institute et Jozef Vandermeulen, chercheur à FairFin

La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) et le sauvetage du Crédit Suisse par son rival historique UBS sont-ils symptomatiques de la précarité du système financier contemporain ou d’erreurs de gestion interne ? Plusieurs voix soutiennent la seconde option : dans un climat où la hausse des taux met les banques sous pression, ces institutions ne sont pas parvenues à conserver la confiance de leurs clients qui ont massivement retiré leurs dépôts. Lorsque Elisabeth Borne demande aux autorités suisses de régler “leur problème” ou que le gouverneur de la Banque centrale belge, Pierre Wunsch, tient à distinguer ces cas problématiques des banques belges, ils relaient cette interprétation localisant la nature du mal. Pourtant, le naufrage de la SVB et du Crédit Suisse peut et doit nous en apprendre davantage ; le gouverneur Wunsch semble lui-même l’admettre en se gardant d’assurer l’impossibilité d’une contagion de la crise : “maintenant, il s’agit d’une question de confiance : la confiance est quelque chose de subjectif et peut être fragile”. Mais de la confiance de qui parle-t-on ?

Plongeons-nous dans le fonctionnement d’une banque

Pour y voir plus clair, plongeons-nous dans le fonctionnement d’une banque. Traditionnellement, en Europe jusqu’aux années 1980, les ressources des banques étaient surtout composées des dépôts qu’elles mobilisaient pour accorder des crédits aux entreprises et aux ménages. Là, réside la principale fonction sociale d’une banque. Elle emprunte à court terme – les déposants étant autorisés à se retirer à tout instant – et prête à long terme. Ce différentiel charrie un risque de liquidité, mais aussi de taux d’intérêt : si la Banque centrale augmente ses taux, les déposants peuvent exiger un taux d’intérêt plus élevé (sous peine de se retirer), tandis que les prêts accordés sont remboursés selon des taux déjà fixés (avant l’augmentation de la Banque centrale). Mais à l’inverse, si la Banque centrale baisse ses taux, les banques sont amenées à prêter à des taux moindres sans toujours être autorisées à moins rémunérer les déposants (en raison de lois instituant un taux minimal sur les comptes bancaires). Bref, tout mouvement de taux représente un risque de perte qui doit être anticipé. Si la récente hausse des taux met bien sous pression les banques, elle représente un risque classique, normalement insuffisant pour entraîner une faillite.

Une mutation : plus de dette à court terme

Il y a donc plus, et cela n’est pas sans rapport avec deux mutations du fonctionnement bancaire qu’a permis l’émergence à partir des années 1980 de marchés financiers globalisés. D’une part, du côté des ressources (i.e. le passif du bilan), les banques ont davantage recours à des instruments de dette à court terme, issus du marché interbancaire ou détenus par des fonds d’investissement monétaires. C’est le cas pour SVB qui compensa la chute de ses dépôts par une augmentation de sa dette à court terme de 71 millions de dollars à 13,5 milliards entre 2021 et 2022, mais c’est aussi le cas des banques belges dont environ 30 % des ressources proviennent de ce “financement de gros” (wholesale funding). Cette dette à court terme est peu chère – en particulier bien moins que la levée de capitaux par la vente d’actions – et explique en partie l’explosion de la rentabilité des banques à la veille de la crise (entre 2003 et 2006, KBC, Dexia et Fortis affichaient des taux de rendement par action de 20 %). Mais cette dette est aussi très dépendante de la confiance qu’inspire la banque… à d’autres banques et aux fonds monétaires : du jour au lendemain, les créanciers peuvent refuser de reconduire la dette. Ainsi, les mesures de restructuration du Crédit suisse visaient à regagner la confiance de cette partie de la communauté financière. En vain, puisque la banque n’a pas pu lever assez de fonds pour remplir ses obligations financières (essentiellement le remboursement de déposants sur le départ).

Moins de prêts aux entreprises et ménages, davantage de placements boursiers

D’autre part, du côté de l’utilisation des ressources (i.e. l’actif du bilan), la part des prêts aux entreprises et ménages a décru, au profit d’un portefeuille de placements boursiers. Tel est le cas de SVB et du Crédit Suisse, mais aussi des banques belges dont les prêts et avances constituent moins de 65 % des actifs. Cette seconde évolution, tout comme la première, peut booster la rentabilité des banques, mais au prix d’une plus grande prise de risque : la valeur comptable des actions et obligations est généralement plus volatile que celle des prêts aux entreprises et ménages. Elle dépend en effet de la confiance… des principaux acteurs des marchés financiers, comme les gestionnaires de fonds d’investissement.

Ne plus être à la merci de la confiance des financiers

Si les banques états-uniennes, suisses et belges sont enclines à s’embarquer dans ces dynamiques, c’est parce qu’elles ne sont pas si risquées – du moins pour elles. Côté pile, elles réalisent de larges profits à distribuer aux actionnaires (parmi lesquels figurent leurs top managers). Côté face, elles mettent Banques centrales et gouvernements au pied du mur, contraints de leur prêter massivement, voire de subsidier leurs opérations de sauvetage, afin d’éviter de ruiner les électeurs. Au lendemain de la crise de 2008, les bilans des banques ont été régulés afin d’éviter ces excès. Face aux faillites actuelles, nous devons les réguler davantage – durcissement des exigences de liquidité, limitation plus stricte de l’effet de levier, quotas d’actifs à consacrer aux crédits aux ménages et entreprises (durables)… –, afin que l’avenir de nos économies cesse d’être à la merci de la confiance des financiers.

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