Ne vendons pas si facilement le mobilier de l’hôtel Métropole de Bruxelles
Nous sommes, chacun à notre manière, marqués par l’indifférence dans laquelle cet ensemble classé, y compris pour ses intérieurs, va voir se dégrader par cette vente ses valeurs artistique, historique et esthétique qui ont fondé son classement.
Publié le 25-03-2023 à 09h01
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Une carte blanche de Noémie Goldman, docteure en Histoire de l’Art (ULB) ; Nathan Goldman, physicien (FNRS ULB) et de Serge Goldman, Professeur de l’Université (ULB)
”La Libre” a annoncé dans son édition du 21 mars la vente de “fauteuils, lustres, tapis, toiles, portraits de la famille royale, bar, chaises, canapés, vases… ” à l’occasion de la mise aux enchères d’une partie du mobilier du “mythique hôtel Métropole”. On peut légitimement s’interroger sur la légitimité de cette vente par le nouveau propriétaire de l’hôtel, et sur sa pertinence au regard de la valeur patrimoniale des lieux.
Avant de savoir s’il faut regretter cette dispersion de la décoration d’un hôtel mythique ou la dénoncer, il est utile de consulter l’inventaire du patrimoine architectural mis en ligne par la Région de Bruxelles-Capitale. Il donne accès aux deux arrêtés de la Région qui classent cet hôtel, dans le cadre de sa politique de “conservation du patrimoine immobilier”. Les textes ne laissent aucun doute. Des parties intérieures du bâtiment sont concernées, les titres mêmes des arrêtés l’indiquent. Surtout, l’argumentaire qui fonde le classement ne se lasse pas de citer en long et en large la décoration, un élément essentiel de la valeur historique, artistique et esthétique de cet ensemble classé.
Le fléau de la balance entre regret et dénonciation penche donc sans équivoque du côté de la dénonciation.
Reste à donner corps à la dénonciation. Doit-on simplement crier haut et fort que la loi n’est pas respectée ? Doit-on joindre notre voix à celles des vociférateurs qui répètent à l’envi que les grands groupes financiers sont épargnés par un système démocratique dont ils ont pris le contrôle, les lois ne s’appliquant plus qu’aux humbles citoyens ?
Il paraît plus sage de dépasser la question juridique d’une protection qui serait bafouée pour plutôt se révolter contre une résurgence d’un mouvement clastique connu sous le nom de bruxellisation. Ce terme place Bruxelles sur la carte du monde. Il a acquis une officialisation définitive grâce à sa glorieuse entrée dans Wikipédia qui le définit ainsi : “Bruxellisation est un terme utilisé par les urbanistes pour désigner les bouleversements urbanistiques d’une ville livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, sous couvert d’une” modernisation” nécessaire”.
Ah bien sûr, on rétorquera que vider le Métropole de ses meubles, lustres et salons n’enlève rien à la valeur urbanistique de sa façade qui trônera toujours sur la place chantée par Jacques Brel dans son évocation de la Belle Époque bruxelloise. Devant notre indignation, on entend déjà rétorquer : ” On est bien loin de l’assassinat de Victor Horta, la démolition de la Maison du Peuple en 1964, puisque le bâtiment est préservé”.
C’est là que la question se pose du dedans et du dehors.
La richesse urbaine ne réside-t-elle pas aussi dans les intérieurs ouverts ou entrouverts à notre émerveillement ? Venise n’est-elle qu’un défilé de façades le long du Grand Canal ? Nous ravirait-elle autant si cet alignement n’était qu’un trompe-l’œil, masquant le vide que laisserait le pillage des intérieurs magnificents des palais vénitiens ?
Les villes sont dehors et dedans, parce que c’est dedans que leur histoire s’est écrite. C’est dedans l’hôtel Métropole, dans ses salons, à la lumière de ses lustres, au fond de ses fauteuils et sur ses tables où s’étalaient figures et équations griffonnées que la science s’est inventé un nouvel avenir. Nous évoquons ici la conférence qui a réuni au Métropole le plus beau monde de la physique à l’invitation d’Ernest Solvay ; c’était en 1911. Le cadre des grands événements ne contribue-t-il en rien à la mémoire collective qui en perpétue le souvenir ? Pourquoi dès lors ouvrir au public, conservés intacts, l’atelier d’un artiste, la chambre d’un grand écrivain ou d’un personnage qui a marqué l’histoire ? D’aucuns diront que mémoire et histoire sont des freins dans notre course au progrès. Nous préférons penser que brûler les livres et dilapider le patrimoine historique est le signe de civilisations – curieux terme pour définir les sociétés qui les pratiquent – qui construisent un monde dont l’humain est absent.
Titre de la rédaction. Titre original : "La dispersion du mobilier de l’hôtel Métropole. La conservation du patrimoine immobilier et la question du dedans et du dehors"