Laeticia Hallyday : “Sans Johnny, je ne serais plus de ce monde”
Rencontre avec une femme fragile, qui a fait de sa douceur une force. Elle veut rester fidèle aux promesses faites à son mari. Un artiste hors norme, un homme blessé, un papa poule, raconte-t-elle.
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Publié le 26-03-2023 à 08h03
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Sa force, c’est la douceur
Sur l’esplanade de Brussels Expo, une centaine de Harley-Davidson rutilantes captent les rayons du soleil couchant. Les motards ont rangé scrupuleusement leur machine avant entretien avec la femme de leur idole : Laeticia Hallyday qui se prête de bonne grâce aux questions, aux selfies. En souvenir de son mari, Johnny. L’exposition qui lui est consacrée à Bruxelles Expo a déjà accueilli des milliers de personnes. On y croise des fans de toujours, mais aussi des jeunes, de gens de tout âge, de tous milieux, venus découvrir qui était vraiment cette icône qui a tenu le haut du pavé pendant soixante ans. L’exposition, remarquablement montée par la société belge Tempora, offre une plongée au cœur du mythe et de l’âme de Johnny. Elle restera à Bruxelles jusqu’en juin avant de faire le tour de France. Je retrouve Laeticia Hallyday dans sa loge. Anouchka, sa maquilleuse belge, rectifie son teint impeccable. D’un coup de pinceau, Anouchka donne à toutes les femmes dont elle prend soin l’éclat de leur âme. “Mon mari”… Pendant l’heure de l’entretien qu’elle m’accorde, Laeticia Hallyday répétera ces mots des dizaines fois, tant le lien qu’elle a établi au cours de leurs 25 ans de vie commune a été fort, beau, puissant. Au fil de la conversation, je découvre deux fragilités : celle que Laeticia accepte de montrer, l’anorexie qui l’a fait plonger dans les abîmes. Et celles de Johnny, en proie à ses démons, l’alcool, la drogue, etc. Et surtout, ce manque d’amour cruel qui l’a poursuivi toute sa vie, lui qui a été abandonné par ses parents. C’est peut-être parce que ces deux êtres étaient au bord du gouffre qu’ils se sont si vite connectés, à Miami, une nuit au cours de laquelle ils ont partagé leurs doutes, leurs chagrins, leurs espoirs.
Johnny n’est plus là. Laeticia, fragile, agile, a fait sienne cette phrase de Marc Aurèle : “La douceur est invincible.” Elle contredit ainsi ceux qui la jugent et qui ne voient en elle qu’une héritière avide. Elle vit son deuil avec douleur, mais aussi cette promesse qu’elle a faite à Johnny, celle de garder son image intacte : un artiste hors norme, une bête de scène, un homme blessé, un papa poule.

Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Je suis née dans le sud de la France, dans une famille modeste. Mon père était entrepreneur, patron de discothèque. J’ai grandi à Marseillan, un petit village de pêcheurs, juste à côté de Sète, une région très riche, culturellement. L’étang de Thau est le berceau de ma vie, l’ancrage de mon histoire. Aujourd’hui encore, ce petit village a conservé son âme, il y a toujours des producteurs locaux, une vraie gastronomie locale. Je suis très sensible à la transmission de ces traditions.
Vous avez été élevée par votre arrière-grand-mère…
Nous étions tous rassemblés dans la maison de mon arrière-grand-mère. Elle était bourrelière. Ce métier qui n’existe plus consistait à remplir les matelas de laine de mouton. Son atelier était situé au garage. J’ai grandi dans cette ambiance familiale de gens habités par leur passion.
Quelle enfant étiez-vous ?
Plutôt vieille âme, un peu trop casanière et déjà un peu décalée. Je n’avais pas vraiment de vie sociale avec des jeunes de mon âge. J’étais très attachée à mes grands-mères et j’aimais par exemple passer du temps avec elles en cuisine.
À 13 ans, vous avez choisi de quitter la France…
Mes parents se sont séparés et le divorce a été compliqué. Mon père avait rencontré une autre femme et avait décidé d’aller vivre avec elle en Floride. Ils se sont aussi séparés et mon père a connu une très grave dépression. Je suis partie en vacances chez lui et finalement, je ne suis pas rentrée en France, j’ai choisi de m’occuper de mon papa.
Et votre scolarité ?
Je ne l’ai pas suivie très longtemps. J’étais vraiment concentrée sur mon papa. Je voulais le sauver. Mais, en même temps, je me suis beaucoup abîmée, j’ai sombré dans une grave anorexie. Quand on essaie de sauver quelqu’un qu’on aime du naufrage, on met toute son énergie et on s’oublie un peu. Mon père s’est reconstruit, a retrouvé le goût de la vie. Mais moi, j’étais comme une épave : c’est comme si j’avais pris la peine de mon père, ses états d’âme. Et c’est moi qui ai sombré et qui suis devenue dépressive. J’ai fait du mal à mon corps. Je l’ai torturé en refusant de me nourrir, comme un suicide silencieux. Je ne trouvais pas ma place dans la vie. La maladie a duré très longtemps.
C’est une maladie dont il est difficile de parler…
Surtout à cette époque… Mes parents n’ont pas du tout compris ma maladie. Ils étaient en colère. J’étais une enfant aimée, adorée et mon père avait finalement très bien réussi dans la vie, c’était un homme d’affaires redoutable. J’étais libre financièrement. J’avais sauvé mon père et lui ne comprenait pas pourquoi je me faisais du mal. Je ne comprenais pas pourquoi mes parents refusaient de m’entendre, de m’écouter. Ils ont été dans le déni total parce qu’ils ne connaissaient pas cette maladie. J’appelais au secours et personne ne m’écoutait. Ce n’était pas un caprice d’enfant gâtée, mais un mal-être très profond. C’était, il y a trente-cinq ans, un sujet très tabou, honteux. Or, c’est une vraie maladie mentale. En France, on a commencé à en parler avec la mort de la fille de Patrick Poivre d’Arvor.
Aujourd’hui, on connaît mieux ces maux, ces douleurs, ces troubles…
Quand j’ai été guérie, je me suis sentie plus libre d’en parler… Mais en même temps, on n’en guérit pas vraiment. Quand mon mari est parti, quand j’ai des soucis, je recommence à ne pas me nourrir, à avoir de vraies angoisses liées à ce trouble. Mais j’ai beaucoup avancé dans ma vie. Je pense qu’il faut en parler parce que cela peut aider les familles, les jeunes filles.
Est-ce la rencontre avec Johnny Hallyday qui vous a sauvée ?
J’étais une âme en peine. Comme lui. On s’est rencontrés et on s’est sauvés tous les deux. J’étais aussi torturée que lui. C’est la rencontre de deux personnes qui ne veulent plus vivre, qui n’arrivent pas à être heureuses, qui se détachent complètement du bonheur.
Rencontre improbable : il en avait 50 et vous 19…
En effet, je ne devais pas aller à ce dîner où il avait été invité. Après sa dépression, mon père avait ouvert la plus grande boîte de nuit des États-Unis, l’Amnésia à Miami : elle pouvait accueillir cinq mille personnes. Pour prendre en charge le carré VIP, mon père avait engagé un ami de Saint-Tropez, Jean Roch qui travaillait, l’été, au Papagayo à Saint-Tropez. Un jour, Johnny, après le tournage d’un clip à Miami, a appelé la seule personne qu’il connaissait dans la ville : Jean Roch qui devait dîner avec mon père. Johnny a accepté de se joindre à eux. Moi, à ce moment-là, je ne sortais plus, je pesais 42 kg. Je voulais mourir. Je ne me raccrochais à rien. Je ne sortais plus.
Qu’est-ce qui vous a décidée à y aller ?
Mon père a débarqué dans ma chambre et m’a dit, d’une manière assez agressive : “Habille-toi, tu dînes avec nous.” J’ai refusé. Mais, en même temps, je ne voulais pas faire de la peine à mon père. J’ai enfilé un jean, des baskets, un tee-shirt, j’ai couru et j’ai rattrapé mon père dans l’allée. Nous sommes allés chercher Johnny à son hôtel. Il était assis sur les marches de l’escalier. Je n’ai vu que ses yeux de loup sauvage blessé. Et je me suis dit : cet homme est comme moi. Blessé. Au restaurant, nous étions chacun à un bout de la table. Nous n’avons pas parlé.
Vous le connaissiez quand même…
Quelques chansons, mais pas sa vie. Depuis quatre ans, j’étais déconnectée de la réalité. À la fin du dîner, on s’est baladés. Et on a parlé, parlé, parlé. Moi qui ne parlais plus, qui n’avais pas d’ami, je lui ai raconté ma vie. Il m’a raconté la sienne. Cette folle soirée qui a duré jusqu’à 6 heures du matin. Nous avons parlé non-stop.
Pourtant, Johnny n’est pas quelqu’un de très bavard…
Cela peut paraître bizarre, mais c’est comme cela que ça s’est passé. Nous avons juste parlé. On s’est raconté nos vies. Il m’a tout dit : son père, sa vie, ses démons. Ce fut la rencontre de deux êtres promenant des états d’âme extrêmement fragiles. Nous n’avions évidemment pas vécu la même vie. Lui, c’était la drogue, l’alcool, la solitude profonde. Moi, c’était mon suicide silencieux.
Quand vous êtes-vous revus ?
Je pensais ne plus jamais le revoir. Mais il a prolongé son séjour de quatre jours. Le lendemain, il m’a appelée et m’a dit : “J’ai envie d’acheter une maison. On n’irait pas en visiter quelques-unes ?” Un truc de fou. Il voulait s’installer avec moi dans une maison moins de vingt-quatre heures après m’avoir rencontrée. Je suis allée le chercher. On ne s’est pas quittés jusqu’à ce qu’il reprenne son avion pour Paris. On a été séparés trois semaines. On s’est envoyé des centaines de fax. Des romans. J’ai passé tout ce temps près de cette machine. J’ai toujours aimé écrire. Lui, pas tellement. J’ai tout gardé, même si avec le temps, l’écriture s’estompe. Il m’a demandé de venir à Paris. Mon père m’a acheté un billet aller-retour. Je n’ai jamais utilisé le billet retour…
On vous a présentée comme une aventure de plus dans une vie sentimentale bien remplie.
Je ne connaissais pas sa vie. Notre fragilité nous a rapprochés. Je pense qu’il n’y a pas de hasard. Sans cette rencontre, je ne serais plus de ce monde, j’aurais sombré, j’aurais fait d’autres bêtises et lui n’aurait sans doute pas vécu aussi longtemps. Il a tout de suite été mon ancrage, mon refuge. Et cela a été pareil pour lui. On s’est sauvés.
Le jour de votre mariage, à la mairie de Neuilly, on entend à peine votre “oui”. Vous ne saviez pas ce qui vous attendait…
Personne ne peut être préparé à ce genre de vie. Je ne m’étais pas préparée à rencontrer Johnny Hallyday. C’est ce qui a rendu notre histoire si belle, je pense.
Quel est le meilleur moment que vous avez vécu avec lui ?
Difficile de n’en citer qu’un. Johnny et moi voulions absolument avoir des enfants ensemble. Cela a été un long combat pour être parents. Pour son premier enfant, David, il était très jeune, toujours en tournée, c’était une vie de dingue. Il y avait une sorte de peur. Il n’avait pas eu de père, on ne lui avait donc pas appris à être père. Lors de la naissance de Laura, il avait peur, à nouveau, de ne pas être à la hauteur de sa position de père. Ils se sont séparés assez rapidement avec sa maman. Il est reparti sur les routes, se rendant souvent aux États-Unis pour l’enregistrement de ses albums.
Il voulait donc être père à nouveau avec vous…
Très vite, nous avons voulu un enfant, mais la vie n’a pas voulu. J’avais fait du mal à mon corps, c’était compliqué pour moi d’être enceinte. Je l’ai été, mais j’ai perdu mon bébé à presque cinq mois de grossesse. Cela a été un deuil, une épreuve. J’ai vécu dix années de fécondation in vitro, de combats, de chemins compliqués, des moments d’espoir, de désespoir. Johnny a accompli ce chemin avec moi. On a décidé de se lancer dans l’aventure de l’adoption : une des plus belles choses de la vie. L’adoption d’un enfant, c’est merveilleux : cela met le père et la mère au même niveau puisque la maman ne porte pas l’enfant dans son ventre. L’attente a été forte. Pour Johnny qui avait vécu l’abandon de ses parents, l’adoption a été très salutaire. Son père l’avait abandonné quand il avait 8 mois. Il a porté ce traumatisme toute sa vie, cela fait partie de ses démons qui ont abîmé toute sa vie. Même dans son coma, en 2009, il appelait son papa… L’adoption de Jade et Joy lui a permis de se réparer et de pardonner à son père. À 60 ans.
Il est devenu papa poule…
Il avait compris les erreurs commises lors de la naissance de ses deux grands enfants, il voulait réparer cela. Il avait besoin de donner de l’amour à des enfants, il éprouvait ce besoin de transmission. On ne peut pas imaginer le père qu’il a été avec Jade et Joy. Il était très présent, à l’écoute. J’étais plus raide, plus sévère que lui, j’avais le mauvais rôle…
Il y a eu aussi des moments plus compliqués pendant lesquels Johnny retrouvait ses démons, l’alcool, la drogue, des infidélités, des séparations… Comment avez-vous fait pour tenir ?
Je ne lui en ai jamais voulu. Nous étions fusionnels, tout le temps ensemble. Nous étions deux amis. Nous ne faisions rien l’un sans l’autre. J’ai presque créé, sans le vouloir, une dépendance affective avec mon mari. J’étais son assistante personnelle, sa confidente. J’étais tout pour lui, il était tout pour moi. Les choses ont évolué. Ma grand-mère s’est installée à la maison, j’ai également fait venir sa maman, Huguette, à Marnes-la-Coquette, où nous vivions. Je suis devenue maman. Les priorités ont évolué, Johnny n’avait plus l’exclusivité. Il a pensé que notre couple allait se perdre. Je m’occupais de trop de monde et pas assez de lui. Il a voulu me faire payer cela. Je reconnais que je ne pensais qu’à mon enfant, mais aussi à sa mère…
Comment avez-vous convaincu sa mère de venir vivre ses dernières années avec vous ?
Cela fait partie des très beaux moments de la vie. Au départ, il m’en a voulu parce qu’Huguette était presque une étrangère pour lui. C’était comme une mission pour moi. Je voulais qu’il pardonne à sa mère de l’avoir abandonné. Elle était très malade, elle vivait en chaise roulante. Le seul moyen que j’ai trouvé pour créer ce lien qu’il n’avait jamais eu avec sa mère était de la faire venir vivre avec nous. Je voulais que Johnny apprenne à connaître, à aimer sa maman. Il ne la nommait pas. Quand il s’adressait à elle, il disait “hé”… Il ne l’avait jamais appelée “maman”. Cette femme était en amour devant son fils, dans le pardon et la rédemption, mais Johnny lui en voulait beaucoup. Huguette est arrivée quasiment au moment où nous avons adopté Jade. Mon rêve le plus fou était au départ perdu, car Johnny est un homme orgueilleux qui ne pardonne pas si facilement. Moi, je voulais qu’il réussisse à lui dire : “maman” et qu’il lui pardonne. J’y suis arrivée. Cela fait partie de mes grandes fiertés dans notre couple. Ce fut un joli parcours, sinueux.
Pourquoi avoir quitté la France pour vous installer à Los Angeles ?
Nous sommes partis avant l’arrivée de notre deuxième fille, Joy. Cela commençait à être compliqué d’élever notre enfant en France. Johnny faisait beaucoup d’allers-retours à Los Angeles pour l’enregistrement de ses albums. Il répétait ses concerts à Los Angeles. Il voulait que nous ne soyons jamais séparés et il cherchait la paix, la normalité. Il voulait emmener ses filles à l’école, à la plage, dans des parcs sans être observé, scruté, photographié. Être un père comme les autres. Nous nous sommes installés là-bas et y avons vécu pendant treize ans. Johnny m’a demandé de lui faire la promesse d’élever nos filles à Los Angeles. Je continue à vivre là-bas, même si cela n’est pas facile, je m’y sens souvent très seule. Mais je tiendrai ma promesse. Il ne voulait pas que nos filles soient élevées en France.
Il est décédé le 5 décembre 2017 à Marnes-la-Coquette. Vous avez respecté une très belle tradition familiale…
Dans ma famille, on coupe l’électricité pendant les périodes de deuil. On a vécu à la lueur des bougies pendant trois jours, pour accompagner son âme. Toute la maison était éclairée par des centaines de bougies. C’était fort. Nous sommes très croyants dans notre famille. Mon père est très croyant, de même que mes grands-mères et arrière-grands-mères. J’ai été élevée dans la religion catholique, dans des croyances très belles, très profondes. Je vais à la messe tous les dimanches. Je récite mon chapelet avant de m’endormir. Il n’y a pas un soir où je ne récite pas ma prière pour les gens que j’aime, pour ceux qui ne vont pas bien. Pour mes enfants, pour moi, pour mon mari, là où il est.
Souhaitait-il de telles funérailles ? Il avait dit : je mourrai comme Jean-Philippe Smet…
Je me suis plongée dans le début de ce deuil en organisant ses funérailles, en choisissant les poèmes, les lectures, les intentions de prières. Mon amie, la grande cheffe Hélène Darroze, ma grande sœur, m’a beaucoup aidée, tout comme l’Élysée qui nous a permis de descendre les Champs-Élysées. L’église de la Madeleine était aussi un choix important. Ces funérailles exceptionnelles pour un homme exceptionnel ont été un cri d’amour. On n’avait pas vu cela depuis Victor Hugo.
La suite a été plus douloureuse, cette bataille autour de l’héritage a terni l’image de Johnny. Vous, ses enfants, sa famille avez souffert… N’était-il pas possible d’éviter ce psychodrame ?
Si on avait pu se mettre autour d’une table, avec de l’empathie et de la compassion, je suis sûre qu’on aurait pu régler le problème bien plus tôt. Beaucoup de choses, qui auraient dû rester dans l’intime, ont été déroulées sur la place publique, livrées au tribunal médiatique. Il y a eu un manque de pudeur qui nous a fait beaucoup de mal. Johnny aimait ses enfants, tous les quatre. Je pense qu’il souhaitait nous protéger tous, et plus particulièrement Jade et Joy, parce qu’elles étaient plus petites. Il m’a fallu beaucoup de courage, de sagesse, de résilience pour tenir. Johnny n’était plus là pour se défendre. Notre vie a été réécrite. Des gens que je n’avais jamais vus se sont exprimés en son nom, ont raconté des choses fausses. Le plus dur pour moi et mes filles, cela a été les abandons. Des amis, qui étaient là depuis vingt-cinq ans, ont disparu, du jour au lendemain. Il y a eu des trahisons, des déceptions. Je pardonne, mais je n’oublie pas.
Johnny avait d’énormes dettes fiscales. Il vivait souvent sur avances…
Je dois rembourser plus de 30 millions de dettes. Je mène un combat pour y arriver. Mais c’est aussi l’histoire de sa vie, ses différends avec l’administration fiscale. Il vivait à 200 à l’heure et ne se souciait pas du reste. Mais, le plus dur, c’est d’élever mes filles sans leur père. Johnny avait un lien unique avec elles.

”Je crois en Dieu. Je prie, je vais à l’église, j’allume des bougies”
Et vous comment allez-vous ?
Je ne refais pas ma vie, je la continue. C’est très compliqué. Quand Johnny est parti, j’ai appris ce qu’était le vrai chagrin, le sens de la valeur humaine. Son départ a été vertigineux. Il aurait pu mourir mille fois avant. Mais j’ai toujours cru qu’il était immortel, qu’il allait s’en sortir. C’était son troisième cancer, les poumons, après le colon et la prostate. Il avait eu une crise cardiaque. On a mené ensemble des guerres contre la maladie. Il m’a donné des grandes leçons de vie, de courage en se raccrochant sans cesse à la vie. Le nerf de la guerre, pour lui, c’était l’amour. L’envie de vouloir vivre. Je ne pouvais pas imaginer qu’on perdrait cette guerre-là après deux années de combat. Il m’a appris à être une guerrière. J’ai envoyé son dossier dans le monde entier pour trouver des thérapies peu conventionnelles. Il y a eu des moments d’espoir incroyables pendant lesquels on était persuadés que nous allions gagner. Puis il y a eu des rechutes. Malgré cela, il a fait cette tournée des vieilles canailles avec Eddy Mitchell et Jacques Dutronc. Je ne voulais pas qu’il la fasse. Il m’a dit cette phrase magnifique : “Si je ne la fais pas, c’est que je meurs.” Il s’est raccroché à l’amour de sa passion, de son public.
On vous a souvent présentée comme la “méchante”, chasseuse d’héritage…
J’essaye d’être digne et à la hauteur des promesses que nous nous sommes faites. Je veux que sa mémoire ne soit plus jamais bafouée, c’est ce qu’il voulait. Certaines personnes se sont comportées de manière médiocre. Mais je comprends les gens. Ils croient ce qu’on leur raconte. Moi, j’étais en deuil. J’avais décidé de ne pas m’exprimer parce que je ne voulais pas me rabaisser à tant de haine, de mensonges, de médiocrité. Je voulais surtout protéger mes enfants.
Comment vivez-vous le deuil ?
Le deuil, c’est un long chemin. Tous les deuils sont compliqués. Il n’y a pas de remède. Il faut apprendre à vivre avec, sans la personne aimée parce que l’on n’a pas le choix. Il faut vivre avec l’absence. Tous les jours, sans lui, sont compliqués. Je travaille pour mon mari, tous les jours. Je suis habitée par Johnny. Je vis encore dans le passé, j’ai du mal à m’extirper de ce passé.
Sans doute aurait-il souhaité que vous refassiez votre vie ?
La vie ne s’arrête pas. Mais c’est difficile de rencontrer quelqu’un. Au départ, on est beaucoup dans la culpabilité. Quand on perd son âme sœur, ce n’est pas un divorce, on n’a pas choisi de s’en séparer. C’est la vie qui me l’a pris, qui me l’a volé. Je ne me séparerai jamais de l’alliance que Johnny m’a mise au doigt. Jamais. Je porterai toujours le nom de mon mari. Mais je dois apprendre à vivre sans lui.
Y arrivez-vous ?
J’y arrive grâce à des projets comme cette exposition à Brussels Expo, comme ce que je fais tous les jours pour lui. Il me l’a demandé, j’essaye d’être à la hauteur. Quelques jours avant qu’il s’en aille, on s’est fait plein de promesses, je veux les tenir. Je veux être à la hauteur de ses envies, de l’homme, de l’artiste qu’il était. Je veux transmettre tout ce que je connais de lui. En vivant à ses côtés pendant vingt-cinq ans, j’ai beaucoup appris. Nous avons créé des boîtes de production ensemble, produit des artistes. Tout cela s’est fait au fil du temps. C’est lui qui m’a donné cette place.
Comment vous ressourcez-vous ?
Vous allez trouver cela bizarre pour une ancienne anorexique… J’avais les bases de cuisine grâce à mes grands-mères. Johnny était un grand épicurien. J’ai voulu le séduire aussi à travers la cuisine. Je me suis spécialisée en cuisine gastronomique. La cuisine me ressource beaucoup. D’autre part, comme je ne suis pas allée à l’école, je lis énormément. J’essaye de rattraper un manque de culture grâce aux livres. Je suis devenue une boulimique de lecture. Au début, dans les dîners en ville, je ne voulais pas apparaître comme “la blonde qui a épousé un chanteur”, un être hors norme. Les gens m’ont beaucoup jugée, c’est normal. Donc j’ai beaucoup lu. Je voulais avoir des choses à raconter.
En qui, en quoi croyez-vous ?
En Dieu. Je prie, je vais à l’église, j’allume des bougies. Ce sont ces croyances qui m’ont permis de mener tous ces combats avec Johnny. Lui était athée. Mais il croyait… en lui.
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Bien sûr. Surtout quand on a deux petites filles qui n’ont plus de papa. J’essaye de prendre soin de moi pour mes filles. La vie est fragile.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Je crois qu’il y a quelque chose, je me raccroche à cela. Et je me dis que Johnny doit être fier de tout ce que nous faisons pour lui, il doit nous regarder. Cela met beaucoup de pression de croire à cela. Mais cela nous porte et cela renforce le besoin de ne pas le décevoir. Personne n’est parfait. J’ai compris cela au fil du temps. Il faut s’accepter avec ses faiblesses alors que lorsque j’ai rencontré mon mari, j’essayais d’être la femme parfaite, épouse, cuisinière… Mais cela n’existe pas. Quand on a compris cela, je pense qu’on arrive à être plus heureux.
Êtes-vous une femme heureuse ?
J’apprends à l’être. Le bonheur est fragile. Sans s’en rendre compte, on l’abîme parfois. On peut passer à côté de nos vies, si on n’arrive pas à se remettre en question, à lâcher prise. Je suis beaucoup dans la culpabilité de certaines choses qui m’empêchent d’être vraiment heureuse.
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Du côté de chez Proust
Quelle est votre vertu préférée ? Le courage. La qualité que vous préférez chez un homme ? La sensibilité, le courage, l’intelligence. Chez une femme ? La grandeur d’âme, la douceur, le courage.
Votre principale qualité ? Le don de soi, le courage.
Votre principal défaut ? Quand mes états d’âme sont fragiles, je me renferme sur moi-même. Je fais l’autruche…
Votre rêve de bonheur ? Faire le marché, cuisiner, voyager avec mes filles.
Quel serait votre plus grand malheur ? Je l’ai déjà connu. Quand mon mari est parti. J’ai appris ce qu’était le chagrin, le deuil, le vrai chagrin. Comment il se déplace dans le corps, comment il l’habite ; ça devient une partie de votre peau, de votre mémoire, de vos cellules et il s’y installe comme un foyer permanent, mais on apprend à vivre avec parce que nous n’avons pas le choix, parce qu’on ne refait pas sa vie, on la continue.
Votre auteur préféré ? Les poètes : Baudelaire, Apollinaire, Éluard, Whitman, Racine.
Votre compositeur préféré ? Ennio Morricone.
Votre héros préféré dans la fiction ? Amélie Poulain.
Quel est le don que vous auriez voulu avoir ? Jouer d’un instrument de musique… le piano.
Comment aimeriez-vous mourir ? Vite.
Quelle est la faute chez les autres qui vous inspire le plus d’indulgence ? Celle qui est faite par amour. Quand l’homme devient aussi faible que sa nature.
Qu’est-ce que vous détestez par-dessus tout ? La haine, le mensonge, les trahisons.
Avez-vous une devise ou une phrase qui vous inspire ? Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.