Derrière la “question trans” se cachent d'importants enjeux pour le féminisme

Ces débats méritent mieux qu’une vague idéologie déconstructionniste qui prétend régler tout différend à coups d’anathèmes.

Manifestation féministe en France.
Manifestation féministe en France. ©AFP

Une chronique “J’assume” de Nadia Geerts, essayiste, auteure notamment de “Neutralité ou laïcité ? La Belgique hésite” (Luc Pire), blogueuse et conseillère au Centre Jean Gol.

L’histoire du féminisme est d’abord une lutte pour l’égalité des droits. Égalité des droits qui passe nécessairement par la reconnaissance du fait que les différences entre hommes et femmes ne sont pas suffisamment prégnantes pour justifier des droits différenciés. Tel est le fondement philosophique majeur du féminisme, dont Nathalie Heinich résume parfaitement l’esprit par cette formule : “la lutte pour l’égalité hommes-femmes doit passer par la suspension de la différence des sexes quand elle n’est pas pertinente au lieu de passer par son affirmation systématique” (1).

Il a fallu beaucoup de combats pour sortir peu à peu d’une vision du monde essentialisante, qui réduisait les femmes – et les hommes ! – à leur sexe, les enfermant par-là dans des rôles sociaux dont elles et ils ne pouvaient sortir – quand ils l’ont enfin obtenu de haute lutte – qu’au prix de l’opprobre social : “garçons manqués”, “efféminés”, et autres qualificatifs injurieux étaient, et restent encore trop souvent le lot de ceux et celles qui brisent les codes.

Aussi, le féminisme, dans son essence, est-il avant tout la revendication des mêmes droits pour tous, qu’on soit homme ou femme. Et en ce sens, ce n’est pas un combat contre les hommes, visant à leur arracher un pouvoir qu’ils prétendraient confisquer à leur seul profit, mais un combat humaniste, qu’il est parfaitement possible et même souhaitable de mener avec les hommes. Et c’est précisément cet esprit que résume Elisabeth Badinter par sa formule : “Les plus grands progrès accomplis ces dernières années l’ont tous été grâce à l’audacieuse déconstruction du concept de nature”.

Déconstruction en effet, par la raison, et au service de la liberté !

Car si l’homme est évidemment un animal, un mammifère même, il est un animal très particulier, doté de compétences particulières qui lui permettent de s’extraire partiellement de la nature dont il est issu pour se construire en tant qu’individu autant que possible libre, doué de conscience et de raison.

L’impact de notre sexe

Mais ce processus d’émancipation par rapport au déterminisme naturel n’est cependant pas total. Une perspective humaniste exige donc un exercice délicat, qui consiste à ne pas nier d’une part, mais à ne pas surévaluer d’autre part, l’impact que peut avoir sur chacun de nous notre sexe.

Or, cette perspective est aujourd’hui menacée des deux côtés. De l’un, par celles qui, à l’instar d’Alice Coffin, osent proférer des outrances telles que celle-ci : “Il paraît que depuis 1945, la France est en paix. Moi, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu dans un monde en guerre. Pire, cette guerre était spécifiquement dirigée contre nous. ”.

Ce féminisme à la fois victimaire et profondément hostile aux hommes surévalue dramatiquement ce qu’être femme (ou homme) signifie, et incite à ne plus considérer des romanciers, des musiciens, des réalisateurs, que par le prisme de leur sexe, à l’exact rebours de ce que préconise le féminisme universaliste.

De l’autre côté, on assiste à l’émergence d’un discours puissant, qui tend à faire du sexe une pure construction sociale. Dès lors, être homme ou femme deviendrait une affaire de choix, de ressenti, au nom du principe d’autodétermination. On voit dès lors se développer des campagnes parlant de “personnes à vulve”, de “personnes menstruées” ou de “personnes à utérus”, ou encore des événements destinés aux “femmes et aux personnes qui se sentent femmes”.

Et curieusement, les deux discours coexistent, exigeant à la fois la parité partout où c’est possible et la déconstruction de la binarité des sexes au profit d’une fluidité des genres…

Et le combat féministe se voit paralysé par l’impossibilité grandissante de répondre à une question qui semblait jusqu’ici évidente ; “Qu’est-ce qu’être une femme ? ”. Pire, ce qui pourrait être un débat scientifique, philosophique et éthique passionnant devient hélas une impossibilité, tant l’accusation de “transphobie” est promptement brandie sitôt qu’on a le malheur de rappeler la dimension biologique du sexe. Pourtant, il y a derrière la “question trans” de véritables questions, très vivaces dans les mouvements féministes, et qui méritent mieux qu’une vague idéologie déconstructionniste qui prétend régler tout différend à coups d’anathèmes. Car si l’on peut devenir femme sur base d’une simple déclaration, quelles en sont les implications pour le mouvement féministe et pour les femmes en général ?

(1) Actes du colloque de mars 2022, “La République face à la déconstruction”, Nathalie Heinich, Le double fléau du militantisme académique et de l’identitarisme

”J’assume !”, le rendez-vous du mardi midi

Avec” J’assume !”, La Libre propose chaque mardi midi, sur son site, un nouveau rendez-vous d’opinion. Six chroniqueurs, venus d’horizons de pensée différents et complémentaires, proposent leurs arguments semaine après semaine sur des questions polémiques et de société.

Vous y retrouverez l’essayiste, militante laïque et membre du Centre Jean Gol Nadia Geerts, l’auteur et comédien Ismaël Saidi, l’avocat et directeur général adjoint de l’Institut Thomas More Aymeric de Lamotte, la chargée de projets dans l’administration publique Margherita Romengo, Rik Torfs, professeur de droit canonique, écrivain, recteur honoraire de la KU Leuven, et Adelaïde Charlier, étudiante en sciences politiques et sociales UGent&Vub, connue comme activiste climat et droits humains.

Tous s’expriment à titre personnel. Ils ont pour ambition de vivifier un débat impertinent mais de qualité aux côtés des grands entretiens, des opinions, des chroniques et des cartes blanches que La Libre publie au quotidien. Comme pour toutes les opinions, le contenu des textes n’engage que les auteurs et n’appartient pas à la rédaction du journal.

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