Ayons un regard critique sur la régulation bancaire
Veillons à séparer le bon grain de l’ivraie en laissant tomber les banques mal gérées sans impliquer le contribuable, pour permettre aux banques agiles de mieux se développer. C’est peine perdue sans une meilleure coordination internationale et surtout sans une profonde désintrumentalisation politique de la supervision des activités bancaires.
Publié le 31-03-2023 à 11h37
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Une opinion de Mikael Petitjean, Professeur (IESEG et UCLouvain), Chief Economist (Waterloo Asset Management)
C’était en septembre 2007. Le sauvetage de la banque anglaise Northern Rock envoyait les premières secousses sismiques d’une série qui allait faire vaciller le monde de la finance. Le chemin parcouru depuis lors est considérable. La régulation des banques a évolué dans le bon sens, en veillant notamment à renforcer leurs fonds propres, à mieux contrôler leur dette à court terme, et à augmenter les actifs qui peuvent être rapidement vendus en cas de besoin. Toute institution financière sait désormais qu’elle ne pourra plus bénéficier du droit inconditionnel à “la vie éternelle”, quel que soit son degré de connexion dans le circuit économique et politique. Les banques mal gérées doivent pouvoir être démantelées sans que le contribuable n’y perde le moindre euro, certainement pas avant que tous les actionnaires, tous les créanciers et tous les gros déposants passent à la caisse. Violer ce principe, c’est aboutir à un capitalisme de connivence où la prise de risque donne lieu à la privatisation des gains quand tout va bien et la socialisation des pertes quand tout va mal. Ce principe doit s’appliquer aux banques comme à n’importe quelle autre entreprise. Force est de reconnaître qu’il s’applique d’autant plus difficilement que le pouvoir est aux mains d’apparatchiks qui se font passer pour des hommes d’affaires avisés, tout en prétendant suivre les standards de transparence du privé. Dans ces structures politisées, la garantie de sauvetage par le contribuable est maximale. C’est la raison pour laquelle l’utopie d’une banque commerciale publique vertueuse est éminemment dangereuse. Néanmoins, “le progrès est impossible sans changements et ceux qui ne peuvent jamais changer d’avis ne peuvent ni changer le monde ni se changer soi-même”, écrivait George Bernard Shaw qui se passionnait pour l’économie politique.
La faillite de Silicon Valley Bank (SVB) et la situation délicate dans laquelle se trouve First Republic Bank (FRB) démontrent que la régulation bancaire reste instrumentalisée par le pouvoir politique. Comme ce fut le cas pour la crise financière de 2007-2009, la responsabilité du pouvoir politique aux États-Unis est immense : les présidents Bill Clinton et George Bush Junior voulaient démocratiser l’accès à la propriété immobilière, quoi qu’il en coûte, à des fins purement électoralistes ; la réforme financière du président Donald Trump en 2018, avec l’appui de 33 démocrates, a conduit à un relèvement très significatif du seuil au-delà duquel s’appliquent les principales contraintes réglementaires de la loi Dodd-Frank, votée en 2010. Ce seuil est passé de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs. Seule une douzaine de banques de très grande taille, sont restées soumises aux tests de résistance périodiques, contre une quarantaine auparavant. Fin 2022, FRB et SVB étaient respectivement les 14ème et 16ème plus grandes banques commerciales américaines, juste en dessous du seuil de 250 milliards de dollars. Cette débâcle aurait pu être évitée si SVB avait été soumise aux contraintes de régulation en vigueur avant la réforme de 2018 car les autorités de régulation auraient pu intervenir plus directement.
Quant à l’opération entre Credit Suisse et UBS réalisée grâce à l’intermédiation des autorités suisses, elle démontre la nécessité de renforcer la coordination sur le plan international des règles qui s’appliquent en cas de faillite bancaire. Même s’il était parfaitement légal en Suisse de donner une valeur résiduelle positive aux actions de Credit Suisse sans rien rembourser aux détenteurs d’obligations “convertibles contingentes”, il s’agit là d’une décision que les autorités de la zone euro n’auraient pas prise. Ces décisions idiosyncratiques peuvent déstabiliser inutilement des banques systémiques, comme Deutsche Bank. Les autorités suisses ont également offert des garanties implicites à UBS concernant d’éventuelles pertes de valeur sur actifs. Transférer ces garanties à un acteur privé dès que possible est plus que souhaitable. Le contribuable n’a plus à supporter ce genre de risque.
Il y a d’autres décisions, certes extrêmes, qui pourraient restreindre considérablement la taille du secteur bancaire. Il est possible d’exiger que les engagements des banques, dont les dépôts, soient couverts à plus de 100 % par des actifs de haute qualité pouvant être convertis facilement et immédiatement en liquidités. Charles Calomiris (Columbia) va plus loin et souhaiterait que les autorités réexaminent le bien-fondé des garanties offertes sur les dépôts, dont le plafond peut être contourné aisément par les gros déposants en recourant aux services d’enregistrement des certificats de dépôt (Cdars). Martin Wolf (FT) suggère de ramener l’effet de levier sous la barre de trois, alors qu’il est souvent supérieur à dix actuellement. Le régulateur pourrait également exiger l’émission de dette bancaire systématiquement convertible en actions.
L’imagination n’a pas de limite mais, avant de jouer aux apprentis sorciers en adoptant des mesures extrêmes qui nous emmèneraient en “terra incognita”, comme nous le faisons régulièrement dans les domaines monétaires et budgétaires, gardons la tête froide. Atrophier notre système bancaire serait contre-productif ; ce serait le soumettre tôt ou tard aux diktats de grandes banques dont la vie éternelle est de facto garantie par le capitalisme de connivence qui prévaut dans un empire militaro-technologique forgeant actuellement des alliances géopolitiques plus que douteuses. Veillons à séparer le bon grain de l’ivraie en laissant tomber les banques mal gérées sans impliquer le contribuable, pour permettre aux banques agiles de mieux se développer. C’est peine perdue sans une meilleure coordination internationale et surtout sans une profonde désintrumentalisation politique de la supervision des activités bancaires.