Le feuilleton TikTok masque des problèmes très importants
Qui entend le tic-tac de l’horloge climatique ?
- Publié le 06-04-2023 à 10h06
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Une carte blanche de Philippe Defeyt, économiste
”TikTok et Tic-tac…” Non, il ne s’agit pas ici d’une Xe devinette du genre : “TikTok et Tic-tac sont sur un bateau…”.
Non, la séquence TikTok est juste une nouvelle illustration de la marche du monde.
Mon compte est dormant, j’ai un téléphone public et un privé, c’est juste pour savoir ce que disent les autres ; j’ai un 3e téléphone dédié qu’à TikTok, c’est à se demander pourquoi il faut tant justifier son abonnement à TikTok.
Le feuilleton TikTok – y a-t-il des risques sécuritaires ?, à qui ou quand faut-il l’interdire ? – est un évident succès médiatique. On les aime bien ces feuilletons parce qu’ils portent sur des débats qu’on pense comprendre et qu’ils évoquent la “vraie vie”, le quotidien, les blagues de potaches et les exhibitions du moi ; et, puis, c’est une pratique qu’on partage avec des célébrités. Que demander de plus ?
Je n’ai pas le moindre doute sur de possibles exploitations douteuses du flot de données généré par TikTok et… tous les autres médias sociaux aussi : la différence entre être manipulé par des algorithmes et être espionné par je ne sais quelle officine secrète est à certains égards évanescente.
Les mauvaises graisses de la consommation numérique
Mais les questions de sécurité ne peuvent occulter d’autres problèmes. Celui de l’obésité numérique m’apparaît central.
Qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas telle ou telle pratique numérique, comme on n’aime pas telle ou telle manière de se nourrir, est une chose. Mais l’excès de (mauvaise) consommation, dans les deux cas, génère de l’obésité, avec son cortège de dégâts, supportés en grande partie par la collectivité. Dégâts sur la santé humaine d’un côté (diabète, risque cardiovasculaire accrus…), dégâts climatiques et politiques de l’autre. La consommation numérique a ses mauvaises graisses et ses produits hypertransformés aussi.
Dégâts climatiques, c’est assez évident. L’augmentation du temps passé en consommations numériques comme la “lourdeur” croissante de nombreux sites (des images en veux-tu en voilà, des bandeaux publicitaires envahissants, des vidéos qui arrivent sans avoir été sollicitées, des contenus redondants ou dépassés…), tout cela consomme des quantités d’énergie de plus en plus énormes.
L’hypertrophie du moi
Les risques politiques, voire démocratiques, découlent de l’hypertrophie du moi qu’entretiennent beaucoup d’usages des réseaux sociaux. Ces usages détournent le regard et l’attention à la fois. Notre cerveau a une capacité d’attention limitée et préfère spontanément la facilité, ce qui explique les comportements addictifs, typiques dans le cas de TikTok.
”Notre maison brûle et nous regardons ailleurs” a déjà dit Jacques Chirac il y a un peu plus de 21 ans. Oui, en effet, nous regardons ailleurs, autre chose, si possible des vidéos courtes. C’est tellement plus facile : les pitreries des uns, les mises en scène des autres, ne questionnent pas les obésités qui alourdissent le navire qui est en train de sombrer.
La fin du moi pour construire un autre monde
Mais il n’y a pas que TikTok qui organise un détournement massif de notre attention. Y participent aussi de nombreuses séquences politiques et médiatiques. Certes, par exemple, le débat sur les pensions est important ; mais se battre comme des chiffonniers pour savoir quel en sera le coût en 2070 alors qu’on ne sait pas comment gérer les crises agricoles et les vagues de chaleur qui s’annoncent dans les années à venir ressemble à une distraction. Dans les deux sens du terme.
Pendant ce temps, le tic-tac de l’horloge climatique égrène le temps qui passe, le temps qui va nous manquer.
Le débat n’est pas celui de la fin du monde ou de la fin du mois. Seule, la fin du moi peut ouvrir des possibilités de construire un autre monde.