Pour que la Belgique ne soit plus complice de violations de droits humains

Ce 24 avril, cela fera dix ans que s’est effondré le Rana Plaza au Bangladesh. Une date éminemment symbolique puisque ses 1100 travailleurs et surtout travailleuses mortes sous les décombres sont devenus les symboles des dérives de la mondialisation et de l’impunité des entreprises. Plus que jamais, une loi sur le devoir de vigilance des entreprises s’impose !

Ce 24 avril, cela fera dix ans que s’est effondré le Rana Plaza au Bangladesh
Illustration : Serge Dehaes ©Serge Dehaes

Une carte blanche de Renaud Vivien et Jean-François Lauwens, chargés de plaidoyer et de communication à Entraide et Fraternité, et Saulo Reis, coordinateur de la Commission pastorale brésilienne de la terre pour l’État de Goiás

Le Rana Plaza abritait des ateliers de confection permettant aux grandes marques de la mode de produire aux coûts les plus bas et dans des conditions dignes de l’esclavage des produits vendus à bas prix dans leurs filiales du monde entier. Si le drame a permis de commencer à conscientiser les consommateurs et consommatrices de chez nous, au point d’entamer les parts de marché de la “fast fashion”, il s’est aussi heurté au cynisme des chaînes européennes ou étasuniennes qui ont refusé d’indemniser les victimes.

On ne compte plus les violations des droits humains, du travail ou de l’environnement résultant d’accaparements de terre, de pollutions, d’explosions d’usines toxiques, de marées noires, de maladies mortelles dues à l’amiante, de catastrophes minières, d’exportations de pesticides toxiques, de crédits accordés à des colonies de peuplement illégales impliquant des entreprises multinationales… Et ce ne sont que les effets visibles de leur absence de responsabilité.

Des dommages irréversibles causés par Tractebel au Brésil

On pourrait aussi citer la rupture de deux barrages miniers dans le Minas Gerais en 2015 et 2019, souvent qualifiée de “Fukushima brésilien”. De barrage brésilien, il est aussi question à Minaçu (État de Goiás) : là, c’est une multinationale belge, Tractebel, entre-temps passée sous le pavillon français d’Engie, qui, voici plus de 20 ans, a exproprié, la plupart du temps sans indemnisations, 600 familles vivant dans des communautés rurales agricoles. Ces familles continuent de se battre devant les tribunaux. Engie Brésil se contente de répondre qu’elle a toujours obtenu gain de cause devant la justice locale.

De l’autorégulation à la réglementation

Longtemps, une logique autorégulatrice et volontariste a prévalu mais les violations des droits humains et de l’environnement n’ont jamais été aussi nombreuses : le consommateur peut toujours sans sourciller acheter des smartphones composés de minerais issus de zones de conflits, des vêtements confectionnés dans des conditions d’esclavage, du cacao récolté par des enfants ou de la viande produite grâce à une déforestation massive.

Pour la société civile, la parade consiste à imposer aux entreprises basées dans nos pays un devoir de vigilance visant à les contraindre à prendre les mesures nécessaires au respect des droits humains et de l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeurs, opaques et complexes. Pour que la chose soit contraignante, il faut un mécanisme de plainte et de sanction.

Une première législation française sur le devoir de vigilance est née en France en 2017. C’est elle qui a permis que BNP Paribas soit récemment assignée à deux reprises pour violation de cette loi devant les tribunaux français. D’une part, première mondiale, la banque est assignée par six ONG en raison de son soutien actif et massif des groupes parmi les plus agressifs dans l’expansion pétrolière et gazière. D’autre part, en appui de la CPT (Commission pastorale brésilienne de la terre, partenaire historique d’Entraide et Fraternité), l’ONG “Notre affaire à tous” a assigné la banque pour sa complicité dans la déforestation. BNP Paribas soutient financièrement l’entreprise Marfrig, numéro deux brésilien de la viande bovine, responsable de plus de 120.000 hectares de déforestation illégale dans la forêt amazonienne et la savane du Cerrado. Pour rappel, l’État belge est encore à ce moment le premier actionnaire de BNP Paribas.

La Belgique doit agir

Plus que jamais, il est indispensable que le gouvernement fédéral et les députés prennent toutes les mesures nécessaires au niveau européen et mais aussi national pour tenir les entreprises, y compris les banques, (co) responsables des dommages causés en bout de chaîne, lorsqu’elles avaient les moyens de prévenir ces dommages. Cette obligation devrait concerner également les entreprises qui produisent des armes, des technologies de surveillance et celles qui, comme l’entreprise suisse Syngenta, basée à Seneffe, produisent des pesticides. Or, au vu des modifications apportées au fil des discussions par les différents États-membres, toutes ces entreprises ne seraient pas couvertes par la législation européenne en cours d’élaboration sur le devoir de vigilance. Rappelons à cet égard que certains pesticides produits en Belgique sont exportés vers des pays comme le Brésil alors que ces mêmes pesticides sont interdits d’utilisation au sein de l’UE en raison de leur niveau élevé de toxicité !

L’instauration d’un devoir de vigilance n’est pas une fin en soi mais un moyen pour mieux faire respecter les droits humains et l’environnement afin qu’à l’avenir, aucune entreprise belge ne puisse agir comme Tractebel l’a fait au Brésil. Si des législations européenne et nationale sur le devoir de vigilance constituent un moyen pour mieux faire respecter les droits humains et l’environnement, elles ne sauraient pour autant servir d’argument pour valider des accords de commerce comme celui en cours de finalisation entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) dont les effets tant sur le plan social, sanitaire qu’environnemental seront délétères pour les populations des deux côtés de l’Atlantique.

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