Jacques Séguéla : "Les Français sont trop gâtés. C’est le pays le plus assisté du monde"
Le publicitaire, créateur du slogan “La force tranquille” qui a porté François Mitterrand au pouvoir, en 1981, travaille toujours à 90 ans. Sa recette : la passion, la curiosité et l’amour.
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- Publié le 16-04-2023 à 08h01
- Mis à jour le 16-04-2023 à 21h50
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Toujours au boulot à 90 ans
“Tu veux un truc pour t’appuyer ?” Nous sommes assis l’un à côté de l’autre et je tiens fermement dans la main gauche mon petit enregistreur. Jacques Séguéla, juge que ma position est inconfortable, il le répète : “Tu es sûr, tu ne veux rien pour t’appuyer… ?” Non, merci. Jacques Séguéla tutoie d’emblée tous ceux et celles qu’il croise.
Nous sommes au Cercle Munster, à Luxembourg. Jacques Séguéla est l’invité de Henri Prevost, CEO du cabinet de conseil BSPK et initiateur des Rencontres Stratégiques du Manager pour cette 33e édition.
C’est la première fois que je rencontre ce pape de la publicité, moi qui ai si souvent entendu de sa voix douce les belles histoires de sa vie. Car il le confesse, à 90 ans : la chance ne l’a jamais quitté. Est-ce pour cela que, de ses petits yeux, jaillissent des éclairs de joie, de bonté, de gentillesse, presque de tendresse immédiate ? Il aime la vie. Mais il aime surtout les gens. La meilleure façon de marcher, dit-il, c’est d’aimer. Il y a des gens dont les succès et la renommée ont gonflé l’orgueil. Lui, c’est tout le contraire. D’une simplicité désarmante et surtout d’une sensibilité à fleur de peau. Le clip vidéo de pub dont il est le plus fier est un petit film sur l’amour. Il montre le doute, l’espoir, le rapprochement, les hésitations et enfin l’extase du baiser.
Il a réalisé quelque 1500 campagnes dont 22 présidentielles. C’est lui qui a inventé “La force tranquille” qui propulsera François Mitterrand à l’Elysée. “Non, corrige Séguéla, ce n’est pas moi qui l’ai fait président, c’est lui qui a fait de moi le roi de la pub”. Aujourd’hui encore, à 89 ans, (”J’ai 90 ans, dit-il, parce que je compte mon âge à partir du moment où mes parents ont fait l’amour”) il prend tous les matins le chemin de son agence du pub, à Paris. Ne lui parlez surtout pas de la retraite à 64 ans, lui qui vit et règne grâce au travail, entouré de ses collaborateurs et surtout de sa famille. De sa femme, Sophie, il écrit : “Le bonheur existe, je l’ai rencontré. Il s’appelle Sophie”, ce sont les derniers mots de ses “Mémoires non autorisées” 'Ed. Plon).
Rencontre avec un homme qui ne sera jamais vieux tant sa capacité à aimer et à donner est infinie. Son dernier livre s’intitule “90 ans d’amour” (Éditions Plon).

”La meilleure façon de marcher, c’est d’aimer”
Dans quelle famille avez-vous grandi ? Une famille du Sud, c’est important. À Montpellier. J’ai été enfant unique, un enfant de l’amour.
Vous écrivez : mon père n’avait que 19 ans lorsqu’il a commis de me procréer…
Ma famille était d’avant-garde. Mes parents étaient encore étudiants lorsqu’ils m’ont conçu. Ils étaient en première année à Paris : mon père deviendra radiologue, ma mère, médecin.
Vous avez été pensionnaire chez les Jésuites. Un esprit rebelle…
Mes parents avaient fait la bêtise de me croire un génie et de me faire sauter une classe. J’étais un peu malingre et j’avais un an de moins que les autres de ma classe. Cela compte beaucoup à cet âge-là. À la récré, j’en prenais plein la gueule. Un jour, je suis rentré avec un œil au beurre noir. Le lendemain, ma mère m’a acheté des gants de boxe rouges et m’a dit : “Va à l’école en portant tes gants sur le dos”. Plus personne n’a jamais osé me toucher…
En revanche, c’est vous qui avez planté une fourchette dans la main d’un surveillant…
Il me narguait. Il exigeait que je m’agenouille sur une règle de fer, plusieurs fois par semaine. Un jour, je lui ai planté une fourchette dans la main. J’ai été renvoyé…
Vos parents se sont quand même interrogés sur vos capacités intellectuelles…
Mon père avait lu dans “Le Figaro” que l’Éducation nationale avait créé des “orientateurs” pour aider des élèves en difficulté. Mon père et mon grand-père avaient reçu la mention “très bien” au bac. Pour eux, mes résultats scolaires étaient une véritable humiliation. Ma mère m’a emmené à Paris chez un de ces “orientateurs”. Je reconnais que j’étais un peu sale gosse. Il m’a fait passer des tests débiles. J’ai répondu n’importe quoi. Il a tout pris au pied de la lettre. Son verdict a été sans appel : “Votre fils est destiné à un métier manuel. Il est inapte, il n’a aucune qualité intellectuelle”. Nous sommes sortis. Ma mère m’a lancé, souriante : “Le cancre, ce n’est pas toi, c’est lui !”
C’est votre grand-père qui vous a stimulé…
Il était directeur des contributions directes et de la Caisse d’épargne. Une sommité. Très rigide. Il a dit à mon père : “envoie-moi ton fils, je vais m’en occuper”. Il se levait tous les jours à six heures du matin, me réveillait et me faisait travailler jusqu’à 8 heures du soir. C’est grâce à lui, finalement, que j’obtiendrai mon bac à la huitième tentative, en frôlant la mention.
Vous n’avez jamais cessé de prolonger votre adolescence…
Je suis toujours un adolescent attardé. La publicité aime l’adolescence.
Pour vous, l’existence est une perpétuelle réalité, souvent ennuyeuse. Pourquoi ?
L’existence est répétitive. Mais j’ai tout fait pour ne pas m’ennuyer. J’ai sauté sur toutes les occasions qui se présentaient à moi pour sortir de la routine. À 20 ans, mon père m’a acheté une 2 CV. Quinze jours plus tard, j’ai décidé de partir faire le tour du monde avec un ami. C’est mon père le héros car il m’a laissé partir…. C’était exceptionnel : nous avons traversé six déserts avec une boussole. On envoyait une lettre tous les 15 jours, car il y avait très peu de bureaux de poste. Cette expédition nous a coûté un euro par jour : nous dormions à la belle étoile. Nous nous sommes organisés pour être toujours en été. L’essence était payée par Shell qui nous avait donné des bons. Dunlop nous offrait les pneus. Un jour, le moteur s’est arrêté, nous n’avions plus d’huile. Que faire ? Le hasard nous a aidés. Un homme est passé par là. Il portait des bananes. Nous avons bourré le carter de banane et avons pu regagner, à pas d’homme, la ville voisine.
Le retour à la vie “normale” a été compliqué.
J’avais fait des études de pharmacie. Je devais encore passer mon doctorat. Mais je n’étais pas attiré par la pharmacie. J’avais un sursis de deux ans avant de faire mon service militaire. Je suis monté à Paris avec ma voiture. Ma mère a rempli mon coffre de boîtes de conserve. J’ai vécu sous les ponts de Paris. Cela ne me changeait guère : pendant deux ans, j’avais vécu ainsi…
Vous êtes allé raconter votre expédition chez Citroën…
Ils étaient assez incrédules. Ils m’ont proposé d’écrire un livre. Ce que je ne savais pas faire. J’ai rassemblé mes souvenirs, ai pondu un texte qui a été réécrit. Le livre a été tiré à 150 000 exemplaires, tout a été vendu. Avec mon copain, nous avons tout claqué en créant un journal “Via”, un magazine consacré aux voyages. Tout l’argent y est passé. Échec total.
Mais entretemps, vous aviez appris à écrire….
Je suis entré chez Paris Match, sous la direction de Roger Terron, le “patron”. Il m’a appris le métier : le poids des mots, le choc des photos. Comme je n’y connaissais rien, j’ai d’abord dû travailler la nuit, je surveillais les téléscripteurs. Il m’avait dit : si tu les entends crépiter plusieurs fois, la nouvelle doit être importante. C’est arrivé : un paquebot, le Santa Maria a été arraisonné, c’était une première, au large de Rio de Janeiro. J’avais copiné avec un cascadeur, champion du monde de parachutisme. Je lui ai demandé de sauter sur le paquebot. Ce qu’il a fait. Gros succès. J’ai été officialisé reporter.
Vous passez ensuite à France Soir…
Où j’ai rencontré mon père spirituel, Pierre Lazareff. À l’époque, la première édition sortait à 10 heures du matin. La véritable édition était dans les kiosques à 14 heures. Lazareff avait inventé les tests : il téléphonait tous les jours à une dizaine de responsables de kiosque pour savoir combien d’exemplaires avaient été vendus. Les variations dépendaient de la couverture. La “Une” pouvait changer à 14 heures si celle du matin ne marchait pas. Un jour, le bide. Il réunit les rédacteurs en chef et nous dit : “Il faut changer”. Un collègue répond : “Mais Pierre, il n’y a pas d’actu”. Lazareff : “Quand il n’y a pas d’actu, on la crée. Revenez dans cinq minutes avec une idée, écrite sur une page”. La sienne a été retenue. Il faisait glacial. Un seul titre barrait à 14 heures la “Une” de France Soir : “Brrrrrrrrrrrrrr”. Les ventes ont décollé l’après-midi. Il a inventé la météo. Aujourd’hui encore, c’est le programme le plus regardé et celui qui rapporte le plus.
C’est lui qui vous a conseillé de quitter le journalisme pour la publicité.
Pierre pensait que j’étais fait pour cela. J’ai travaillé dans une petite agence de pub pendant deux ans. J’y ai rencontré Bernard Roux. C’était en 68. Nous avions fait du bon travail et avons demandé une digne augmentation au patron. Il nous a dit : “Revenez me voir dans une heure”. Il nous a donné un chèque : nous étions virés ! Nous avons donc créé l’agence Roux-Séguéla. Nous nous sommes ensuite associés à Cayzac et Goudard pour créer RSCG.
Pourquoi dites-vous que la pub est le plus beau métier du monde ?
Parce que nous vendons du bonheur ! Les journalistes sont des marchands de malheur… Ils ne sont jamais aussi contents que lorsqu’ils peuvent dégommer un mec. La publicité est créatrice de bonheur. La pub est aussi un des métiers les plus variés du monde. Chaque agence a 10, 20, 50 clients : ce sont des stimulations permanentes.
Comment trouvez-vous vos slogans ?
Ce qui compte ce n’est pas le temps d’exposition, c’est le choc.
Vous avez eu 1 500 clients, participé à 22 campagnes présidentielles. Avez-vous refusé des clients ?
Bien sûr. Il y a trois conditions pour que j’accepte un client : qu’il soit démocrate, honnête et qu’il aille vers ma modernité de son pays. Un jour, j’ai reçu le représentant du colonel Kadhafi. Il me proposait un contrat de dix ans : je recevais un million par an, payé en Suisse. J’ai écrit à la main une belle lettre pour refuser. J’ai aussi décliné l’offre du président autrichien Kurt Waldheim. Son passé m’interdisait de travailler pour lui. Beaucoup de présidents africains m’ont sollicité. Je n’ai accepté de travailler que pour Abou Diouf, président du Sénégal, parce que François Mitterrand me l’avait demandé.
Vous avez été totalement séduit par François Mitterrand…
Je n’ai jamais été de gauche… Mitterrand m’a tellement charmé, séduit que j’étais à sa dévotion totale. Mais pas au point d’être de gauche… J’ai toujours été pour l’homme ou la femme susceptible de faire le meilleur travail pour la France. Mitterrand, je ne l’ai pas choisi, c’est lui qui m’a choisi. J’étais désespéré car les sondages lui donnaient 35 %, il n’avait aucune chance de gagner. Rocard était largement en tête. J’ai toujours travaillé gratuitement pour lui et pour les hommes politiques parce que je voulais offrir à mon pays une vraie campagne. Je voulais avoir tous les moyens, tous les pouvoirs de création. Pas d’argent mais la liberté de créer et une relation de confiance. Dans les discussions sur ses campagnes, nous avons toujours tout réglé à deux, face à face. Nous nous sommes vus de septembre 1980 à mai 1981 tous les lundis matin pendant une heure afin de préparer sa campagne.
Une de ces rencontres vous a fait vendre votre voiture… !
Un lundi, la réunion se prolonge jusqu’à 13 heures 15 alors qu’il avait rendez-vous avec Pierre Mauroy, futur Premier ministre. Je propose de le déposer. Il accepte. Arrivé devant ma voiture, il s’arrête net et pousse un cri. “Séguéla, je vous vire. Vous me dites que chaque signe a un sens. Vous me faites changer ceci, cela. Et vous voulez que j’arrive à mon rendez-vous en Rolls… !”. Il y est allé à pied. Je suis rentré au bureau. J’avais honte. J’ai vendu ma voiture le jour même. J’ai accepté la première offre.
Vous avez quand même dit : “Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a quand même raté sa vie” La Rolex, ce n’est pas la Rolls, quand même…
A-t-il d’emblée accepté le slogan “La force tranquille” ?
Lui était convaincu. Mais cela n’a pas été simple. J’avais réuni les bonzes du PS. Il y avait 20 personnes, dont 19 deviendront ministres, le 20e était Jacques Attali qui sera son conseiller spécial. Je leur ai montré l’affiche “La force tranquille” avec le visage de Mitterrand devant un village et le clocher d’une église. J’ai demandé un vote à bulletin secret. Résultat du vote : 20 “non”. Il y avait sans doute une certaine jalousie Mitterrand est entré dans la pièce. Il leur a dit : cette affiche me plaît, ce sera ma campagne.
Pourtant, vous affirmez que votre plus belle affiche a été celle de 1988 “Génération Mitterrand”. Pourquoi ?
Mitterrand m’avait invité à déjeuner et mis devant un défi impossible : “Séguéla, je ne vais pas me présenter pour un second mandat. C’est Rocard qui sera le candidat socialiste, je veux que vous fassiez sa campagne”. J’accepte évidemment. Il me raccompagne et me glisse “Vous savez, je n’ai vraiment pas confiance en Rocard. Faites une pub pour Rocard mais qui puisse aussi me convenir”. Compliquée car il ne fallait pas que la tête du candidat apparaisse sur l’affiche. J’ai donc conçu une affiche avec un enfant qui tendait la main vers celle d’un homme dont on ne voyait pas le visage. Mitterrand s’est finalement présenté. Mais le slogan “Génération Mitterrand” aurait très bien pu convenir à Rocard…
Vous avez aussi réalisé la campagne de Lionel Jospin. Cuisante défaite. Qu’est-ce qui est le plus important dans une campagne électorale : le candidat ou la campagne ?
Le plus important dans une campagne, c’est le candidat. Mais c’est la faute du publicitaire s’il n’arrive pas à le débrider. Mon métier est de l’ouvrir. Mitterrand ne connaissait pas la publicité. Nous avons parlé pendant des heures et des heures et j’ai réussi à le convaincre de s’ouvrir. Je n’ai pas réussi à faire cela avec Jospin. Il était très fermé, faisait preuve de beaucoup de rigueur. C’est par intégrité qu’il a perdue parce qu’il n’a pas voulu être élu grâce à des occasions extérieures. Michel Drucker avait accepté de lui consacrer une de ses émissions du dimanche après-midi, peu avant l’élection : Jospin a refusé ! A quatre semaines de l’élection, Bernard Tapie est venu m’a annoncé que Christiane Taubira, qui était créditée de 2 pc, était prête à laisser ses voix à Lionel Jospin. J’ai expliqué cela à Jospin qui m’a promis de l’appeler. Il ne l’a jamais fait. Taubira s’est maintenue. Il y avait 8 candidats à gauche et Lionel Jospin a obtenu 16,18 % des voix, battu au premier tour par le président sortant Jacques Chirac (19,88 %) et par le candidat du Front national Jean-Marie Le Pen (16,86 %).
Il avait aussi affirmé que son programme n’était pas socialiste…
Ce fut une faute en effet, un dérapage. Là je n’y suis pour rien.
Après son élection, Mitterrand vous a fait un joli cadeau…
Trois semaines après son élection, Mitterrand m’appelle : “Venez dîner. Je veux vous faire un cadeau mais vous êtes très compliqué, je ne sais pas comment vous faire plaisir.” Une semaine plus tard, je reviens et lui dis : “J’ai trouvé ! Je veux une journée avec le Dalaï-Lama…” Surprise de Mitterrand : “Vous croyez vraiment qu’il me suffit d’appuyer sur un bouton pour que le Dalaï-Lama arrive ? Revenez avec une idée plus simple”. Je n’ai pas bougé. Après plusieurs mois, j’ai reçu un coup de téléphone de sa secrétaire m’invitant à dîner à l’Elysée avec ma femme, Sophie. Cinq places étaient dressées à table. Il y avait Mitterrand, sa femme Danièle, Sophie, moi et une cinquième chaise. Qui est restée vide pendant cinq, dix, quinze minutes. Puis la porte s’est ouverte. Le Dalaï-Lama ! Mitterrand lui a expliqué qu’il était le cadeau qu’il voulait me faire. Je lui ai expliqué ce que j’attendais de lui : qu’il évangélise les jeunes Français. Il a passé une journée dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne et toutes les vingt minutes, les étudiants changeaient. Il a tenu pendant huit heures.
Vous en voulez beaucoup à Michel Rocard parce qu’il a fait voter une loi interdisant la publicité politique…
C’est un crime ! Nous sommes les inventeurs de la démocratie. Charles Havas a inventé la publicité. Et Michel Rocard a fait voter une loi privant les politiques de la meilleure façon de communiquer. Si la publicité ne marchait pas, les grandes firmes ne dépenseraient pas des milliards par an pour l’utiliser. La publicité est le meilleur outil de communication. Au moment où les politiques ont besoin de la publicité pour faire passer leur message, on les prive de pub. Alors, ils vont sur les plateaux de télévision où chacun répète des éléments de langage stériles. La publicité est partout dans la rue. Vous l’aimez ou pas mais vous en prenez plein la gueule.
Pourquoi aucun gouvernement n’a-t-il supprimé cette interdiction ?
J’ai fait le tour : ils m’ont tous dit qu’il allait le faire. Personne. Même Macron, je lui ai dit : sois gentil, tu es jeune, autorise la publicité politique. Rien.
Vous avez des paroles assez sévères sur le mouvement #Meetoo…
Que les choses soient claires, ma mère m’a dit : on ne frappe jamais une femme, même pas avec une fleur. C’est sacré. Mais le mouvement #Meetoo connaît des excès. Certains publicitaires sont glacés par le mouvement. Dès lors ils n’osent plus être créatifs de peur que #Meetoo considère que leur création est sexiste. Le sexisme est très difficile à définir. Une image peut choquer ou pas. La peur de choquer ou d’être trop créatif limite la publicité : on ne veut surtout pas que la marque que l’on promeut soit accusée d’être sexiste. Moi, je rêve que #Meetoo continue leur cause qui est magnifique, mais que #Meetoo libère la publicité. Moulinex a libéré la femme…
En 2007, vous êtes tombé sous le charme de Sarkozy…
Sarkozy était meilleur. Ce sont les socialistes qui ont tué Ségolène Royal.
Vous avez organisé le dîner au cours duquel Nicolas Sarkozy a rencontré Carla Bruni…
Au départ, l’invitation avait été lancée pour Nicolas et sa femme, Cecilia. Entre-temps, ils s’étaient quittés. J’ai maintenu l’invitation avec quelques amis. Il est arrivé, son téléphone rivé à l’oreille et s’est assis à côté de Carla Bruni, qu’il ne connaissait pas. La rencontre entre Nicolas et Carla a été magnifique. Pour ne rien oublier, j’ai écrit dès le lendemain matin la scène telle qu’elle s’était déroulée. Ce sont les mots exacts que j’ai reproduits dans mon livre. Ils se sont chuchotés à l’oreille pendant deux heures. Jusqu’à ce qu’il lui dise : “t’es pas cap de m’embrasser sur la bouche”. Elle a répondu : “jamais le premier jour…”
L’art noble de la politique n’est-il pas de plus en plus difficile à pratiquer ?
La France est ingouvernable. Je ne sais comment on va sortir de cette crise de la réforme des retraites. Il faut réformer la France et ses institutions. Je pense qu’il faut repasser à un septennat unique. Deux quinquennats, cela favorise les rois fainéants. Je ne demande qu’une chose, c’est que le président reste sur ses positions. Je le soutiens dans ces réformes même si le moment est mal choisi.
Pourquoi ?
Il faut trois éléments pour qu’une réforme réussisse. D’abord, il faut une adhésion : 40 à 45 % doivent être d’accord. Partir au combat contre 80 % des Français, c’est quasiment impossible. Il y a ensuite le momentum. Mieux eût valu garder la réforme dans les coffres et de la ressortir au moment opportun. Enfin, il faut que la réforme soit consensuelle. Sinon, il faut zigzaguer en permanence. Car il y a deux types de réformes : celles qui coûtent au pays (le quoi qu’il en coûte) et celles qui coûtent aux citoyens. La réforme des retraites “coûte” deux ans de travail aux Français. Parmi les réformes qui coûtent à l’État, certaines sont absolument prioritaires : il faut investir dans l’école, dans l’hôpital et la justice. Et il n’y a pas de raison que ces réformes ne soient pas consensuelles. Pour les retraites, je pense qu’il faut rédiger une loi du travail qui englobe la retraite. Pourquoi ne pas proposer une semaine des quatre jours et une réforme des retraites ? Un week-end de trois jours, mais en travaillant un peu plus chaque jour et jusqu’à 64 ans cela pourrait donner le même résultat en termes d’économies.
Beaucoup de pays européens sont passés à 64, 65 voire 67 ans. En France ce cap semble impossible à franchir. Le momentum n’arrivera jamais : Juppé a déjà essayé et échoué en 1995…
Les Français sont trop gâtés. C’est le pays le plus assisté du monde. Les Français sont ceux qui travaillent le moins d’heures par mois, le moins de temps par an et le moins de temps par vie. Les Français ont dérapé. Les médias, les télés en continu poussent à la radicalisation.

”Une vie réussie se résume à un amour réussi”
Quelle est votre philosophie de vie ?
La meilleure façon de marcher, c’est d’aimer… Si c’est le cœur qui guide la barque, l’aventure sera heureuse. Si c’est l’argent, vous aurez toutes les chances d’avoir une vie malheureuse. Et si c’est la haine, le malheur est certain. Ma règle de vie est celle-ci : la vieillesse commence lorsque les regrets l’emportent sur les rêves. Moi je ne cultive que les rêves. Mais c’est mon métier qui me permet cela. Aujourd’hui encore, je suis à l’agence huit heures par jour, tous les jours. Je refuse le télétravail. Je ne veux pas quitter mon bureau parce que c’est ma machine à rêves. Une vie réussie se résume aussi à un amour réussi. Réussir sa vie, c’est la finir ensemble, avec la femme que l’on aime.
Vous dites : “Je me sens assez minable dans ma fonction de père…”. Pourquoi ?
C’est une manière de me flageller. J’ai eu cinq enfants avec la même femme. Dans la pub, c’est rare… C’est souvent cinq enfants avec cinq femmes. Je n’ai pas peut-être pas donné assez de temps à ma famille. Nous avons créé quelque 600 agences de pub dans pratiquement tous les pays du monde. J’ai toujours été par monts et par vaux, j’ai passé une partie de ma vie dans les avions, avec les annonceurs, mes équipes, des séminaires. J’ai eu la chance d’avoir une femme exceptionnelle… Mon bonheur s’appelle Sophie. J’aime mes enfants d’amour et j’espère leur avoir appris l’essentiel.
C’est-à-dire ?
Leur apprendre à aimer. Et à lire. Je ne sais pas comment on les bousille : il n’y a plus qu’un enfant sur dix qui aime lire, aujourd’hui. C’est dramatique. J’ai aussi tenté de pousser mes enfants à la multicuriosité et j’ai voulu leur offrir l’âme de l’aventure.
L’âme est un mot que vous prononcez souvent…
Le but de la pub, c’est de donner de l’âme aux marques qui fabriquent des objets qui deviennent quasiment des personnes. Les produits peuvent avoir une âme. Une bouteille de Coca a une âme. La bouteille de Pepsi n’en a pas.
Comment vous ressourcez-vous ?
Je suis comme un pilote de Formule 1. Je vis toute la journée en essayant d’aller plus vite que les autres pour décrocher des budgets. Puis je rentre chez moi, comme un bolide arrive au stand. Ma femme et mes cinq enfants -, trois sur cinq vivent encore avec nous – s’occupent de tout : on change mes pneus, mes essuie-glaces. Ils font le plein et me nimbent d’amour. Et je repars. 47 ans de bonheur avec ma femme et cinq enfants : que demander de plus ?
En qui, en quoi croyez-vous ?
Je crois en moi… Au niveau de la religion, j’ai été vacciné par Mitterrand. Comme lui, je crois aux forces de l’esprit.
Pensez-vous à la mort ?
Non, c’est vous qui m’y faites penser.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Je transforme l’attente de la mort en espérance. Quand j’appuierai sur le bouton de l’ascenseur qui m’amènera là-haut, il y aura peut-être quelque chose. Qui sait ? Peut-être que les forces de l’esprit seront là. Pour moi, la mort c’est surprise, surprise…
Qu’est-ce qui vous a construit ?
La passion. La curiosité. L’envie de bien faire. Je suis un perfectionniste.
Êtes-vous un homme heureux ?
Bien sûr ! La chance ne m’a jamais abandonné. Je suis un homme comblé. J’ai même parfois honte, il y a tellement de misère ailleurs. Mais je me suis battu tous les jours pour cela.
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Du côté de chez Proust
Quelle est votre vertu préférée ? L’amour. Je célèbre mes 90 ans d’amour.
La qualité que vous préférez chez un homme ? L’énergie, c’est la mère de toutes les conquêtes.
Chez une femme ? L’intelligence, à la condition extrême que cela ne freine jamais sa féminité.
Votre principal défaut ? La provoc' ! Mais l’âge en a eu raison.
Votre principale qualité ? La tendresse, c’est l’intelligence du cœur.
Votre rêve de bonheur ? Un monde en paix. Mais c’est un vœu pieux.
Quel serait votre plus grand malheur ? Pierre Dac disait : “si on mettait un peu plus de rose dans notre matière grise, il y aurait moins d’idées noires”.
Votre auteur préféré ? Céline. “Voyage au bout de la nuit”, est le seul livre que j’avais emporté lors de mon tour du monde en 2 CV. Je l’ai relu dix fois. Il m’a appris les mots, la punch line.
Votre compositeur préféré ? Maurice Jarre, il a fait rimer modernité et éternité
Votre héros préféré dans la fiction ? Il est un peu bébête : Tarzan…
Qu’est-ce que vous détestez par-dessus tout ? La jalousie.
Quel est le don que vous auriez aimé avoir ? J’aurais aimé être producteur.
Comment aimeriez-vous mourir ? De rire. Mais ne me faites pas rire…
Quelle est la faute, chez les autres, qui vous inspire le plus d’indulgence ? Je suis pour toutes les indulgences, pour le pardon. Haïr les gens, c’est une perte de temps.
Avez-vous une devise ou une phrase qui vous inspire ? La vieillesse commence lorsque les regrets l’emportent sur les rêves. Je ne cultive que les rêves.