"Le machisme est omniprésent en politique"

S’il est encore difficile aujourd’hui pour des femmes de s’imposer en politique, c’est à mon sens surtout parce que cela nécessite de leur part une forte capacité de résistance aux stéréotypes de genre, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de privilégier leur carrière plutôt que leur foyer.

Sarah Schlitz
Sarah Schlitz

Une chronique “J’assume” de Nadia Geerts, essayiste, auteure notamment de “Neutralité ou laïcité ? La Belgique hésite” (Luc Pire), blogueuse et conseillère au Centre Jean Gol

Parmi les commentaires sur la démission de Sarah Schlitz et ses causes, nombreux sont ceux qui en ont proposé une analyse “genrée”, que ce soit pour pointer la violence sexiste des attaques à l’encontre de la secrétaire d’État ou, plus largement, pour remarquer la difficulté, pour une femme, de s’imposer dans ce monde d’hommes que serait la politique.

Il y a évidemment dans ces analyses une bonne part de stratégie consistant à essayer d’orienter les regards vers autre chose que les mensonges et tortillements divers de Sarah Schlitz. Mais elles comportent sans doute aussi une dose non négligeable de conviction sincère que oui, être une femme en politique, c’est singulièrement difficile, car le machisme y est omniprésent : c’est un “monde d’hommes” !

Cette expression mérite cependant qu’on s’y attarde. Car en réalité, il sert souvent de fourre-tout commode lorsqu’il s’agit de désigner à la fois un domaine où les hommes restent majoritaires et un univers où il importe d’être assertif, d’occuper une place de pouvoir en ayant l’air de s’y sentir tout à fait bien, de cultiver un certain aplomb, bref d’évoluer avec aisance sur une ligne de crête étroite, avec d’un côté le précipice du manque de confiance en soi, et de l’autre celui de l’agitation désordonnée et bruyante qui caractérise l’ “hystérique” – terme dont l’étymologie rappelle douloureusement à quel point c’est aux femmes qu’on a longtemps associé ce comportement criailleur.

Sophie Rohonyi (Défi) : “Sarah Schlitz, la victime du patriarcat ? Je ne peux pas suivre ce raisonnement”

Or, ces aptitudes communicationnelles n’ont rien de spécifiquement masculin. Certaines femmes en sont pourvues, et certains hommes fort dépourvus. Mais puisque faire de la politique, c’est avancer des idées et les défendre avec conviction, il est évident que cela exige une bonne dose d’assurance, sinon réelle, en tout cas convenablement feinte. En d’autres termes, je ne pense pas que si la politique était un monde “de femmes”, elle serait fondamentalement différente, car l’exercice politique exige un certain type de compétences, qui ne sont “masculines” que parce qu’on a sans doute longtemps élevé les garçons dans l’idée qu’ils pouvaient, voire devaient s’affirmer, et les filles dans celle qu’elles ne devaient pas prendre trop de place.

S’il est encore difficile aujourd’hui pour des femmes de s’imposer en politique, c’est à mon sens surtout parce que cela nécessite de leur part une forte capacité de résistance aux stéréotypes de genre, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de privilégier leur carrière plutôt que leur foyer. Il arrive encore trop fréquemment qu’on estime normal qu’un homme rentre à 20 heures tous les soirs, et ne voie qu’à peine ses enfants, tandis qu’on critiquera durement la femme qui adopte le même rythme, comme s’il n’était pas légitime qu’une femme place ses priorités exactement de la même manière que certains hommes. Et le plus difficile pour bien des femmes est sans doute qu’elles ont si bien intégré ces stéréotypes, qu’elles ont à lutter contre elles-mêmes, au moins autant que contre une quelconque “oppression patriarcale”, pour se réaliser professionnellement, et en particulier en politique.

Quant aux attaques sur les réseaux sociaux, qu’elles ciblent des personnalités politiques ou autres, elles ont en commun d’attaquer les personnes pour ce qu’elles sont, au lieu de jouer loyalement le jeu du débat démocratique, en s’en tenant scrupuleusement à la critique des idées émises. Et cela, ce n’est pas l’apanage des hommes, mais de ceux et celles qui, convaincus qu’ils détiennent la vérité et incarnent le bien, considèrent que tous les coups sont permis. Un peu comme… en politique ?

”J’assume !”, le rendez-vous du mardi midi

Avec” J’assume !”, La Libre propose chaque mardi midi, sur son site, un nouveau rendez-vous d’opinion. Six chroniqueurs, venus d’horizons de pensée différents et complémentaires, proposent leurs arguments semaine après semaine sur des questions polémiques et de société.

Vous y retrouverez l’essayiste, militante laïque et membre du Centre Jean Gol Nadia Geerts, l’auteur et comédien Ismaël Saidi, l’avocat et directeur général adjoint de l’Institut Thomas More Aymeric de Lamotte, la chargée de projets dans l’administration publique Margherita Romengo, Rik Torfs, professeur de droit canonique, écrivain, recteur honoraire de la KU Leuven, et Adelaïde Charlier, étudiante en sciences politiques et sociales UGent&Vub, connue comme activiste climat et droits humains.

Tous s’expriment à titre personnel. Ils ont pour ambition de vivifier un débat impertinent mais de qualité aux côtés des grands entretiens, des opinions, des chroniques et des cartes blanches que La Libre publie au quotidien. Comme pour toutes les opinions, le contenu des textes n’engage que les auteurs et n’appartient pas à la rédaction du journal.


Titre de la rédaction

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...