Eloge d'une jardinière
A force de se croiser et de se côtoyer, la jardinière ordinaire et la jardinière bêcheuse finissent par s’entendre. Elles s’accordent à reconnaître que bien peu les différencie. Elles nourrissent toutes à l’égard de cette nature, de cette terre une admiration quotidienne et y découvrent une vérité qu’elles partagent avec gourmandise.
Publié le 12-05-2023 à 13h54 - Mis à jour le 12-05-2023 à 13h55
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Une opinion de Patricia de Prelle, autrice
Ne vous y trompez pas, je ne vais pas vous entretenir du point de broderie bien connu, ni du petit meuble à plantes d’intérieur et encore moins du mélange de légumes frais, très à la mode chez les bobos.
Les jardinières dont je vais vous entretenir sont ces personnes ordinaires ou un rien bêcheuses qui aiment jardiner. Et qui l’eut cru, dans son sens premier “jardiner” signifiait “avoir une aventure galante”, sens que beaucoup de jardinières donnent encore à leur passion.
D’ailleurs, quand au détour d’un chemin une JB (jardinière bêcheuse) vous dit sur le ton de la confidence : “Je ne pense qu’à ça”, ne croyez surtout pas qu’elle pense à la même chose que vous. Ce “ça” représente pour elle, l’attente fiévreuse de l’apparition de la plus petite fleur mordorée achetée à Chelsea et bientôt visible que chez elle en Belgique. Elle en est la mère porteuse, la nourrice, l’amante et bien plus encore.
Pour vous JO (jardinière ordinaire), l’énigme demeure.
Les JO travaillent au jardin, courbées vers la terre. Leurs mains nues servent à piocher, à bêcher, à creuser, à gratter, à biner, à sarcler. Elles plantent, déplantent, divisent, replantent. Leurs soins jaloux évitent à leurs protégées la cloque, l’oïdium et la tavelure.
Les JB charment la terre. Leurs doigts caressent, cajolent, étreignent, effleurent, frôlent, soutiennent, tuteurent. Elles relèvent la fleur à terre et succombent avec plaisir au doux bourdonnement des abeilles en folie.
Les J.O, fagotées à l’emporte-pièce, bouturent à l’envie, sèment et plantent avec rigueur et arrachent le chiendent et le chardon avec succès. Ramasser une pelle ne leur fait pas peur et de labeur et en sueur, elles quitteront les jardins, écarlates de plaisir.
Les J.B, gantées de préférence et un rien précieuses, aiment tailler et sculpter. Ni le lonicera, ni le taxus ne leur résisteront et à forcer sur le charme, elles se portent à merveille et peuvent se reposer sur leurs lauriers. Elles ont rarement la poisse, les conifères n’étant pas leurs arbres de prédilection.
Les J.O, jeunes pousses ou vieilles branches aiment à jardiner pour améliorer leur propre jardin ou le lopin loué à la commune. Dans leur pré carré, les mauvaises herbes s’arrachent sans complexe et avec ou sans oseille, leur jardin sera une merveille de bon sens. Elles font face aux attaques des cochenilles et des pucerons en montant la garde avec courage et patience, vertus indispensables à toute jardinière.
Les J.B, souvent de vieille souche, se soucient du bien-être de la terre. Elles se considèrent comme les pionnières du “tout bio” et de la permaculture. Elles aiment jardiner en fonction des lunaisons et ainsi garder le teint frais comme une rose.
Leur jardin sera spectaculaire et ne demandera qu’à être admiré, photographié et visité par le plus grand nombre. Le soir venu, à l’arrosage, leur jardin embaume de chèvrefeuille et de jasmin.
Les J.O, pour se défendre de l’ivraie et autre brimade, ne sortent qu’un sécateur à la main ; question de se venger mais pour le bien de la plante, comme de bien entendu.
Les J.B, bénissent la terre, et fidèles ou pas à leur obédience, le buis reste leur credo. Tout à leur dévotion, nous leur devons les plus belles broderies anciennes et modernes. . Elles s’agenouillent avec respect devant l’alchémille, dont le calice, aux aurores, recueille des perles d’eau bénite.
Qu’il vente ou qu’il pleuve, la J.O sera dehors. Bottée et crottée, le teint rubicond et la tignasse détrempée, elle maniera la pelle et la binette avec une “ardeur d’avance. ”
Par temps mitigé, la J.B préférera se réfugier dans la serre ou mieux encore à l’orangerie. Rien de tel qu’un thé fruité maison pour se convaincre qu’une sortie par ce temps est pure folie. Mieux vaut prendre soin de sa binette et laisser à d’autres le soin de la manier.
J.O et J.B à force de se croiser et de se côtoyer finissent par s’entendre. Elles s’accordent à reconnaître que bien peu les différencie. Elles nourrissent toutes à l’égard de cette nature, de cette terre une admiration quotidienne et y découvrent une vérité qu’elles partagent avec gourmandise.