Une croissance illimitée est remplie de cauchemars

Je rêve que l’Europe redessine la prospérité et le bien-être, et navigue avec une boussole d’indicateurs plus réalistes que l’unique PIB.

La croissance économique a-t-elle un avenir?
La croissance économique a-t-elle un avenir? ©AFP

Une chronique “J’assume” d’Adélaïde Charlier, “Jeune pour le climat et les droits humains”.

Le 9 mai dernier était l’occasion de se rappeler que l’Europe s’est construite sur une détermination de paix, portant le rêve que la solidarité entre nations les protégerait d’être les victimes de l’autodestruction humaine, celle de la guerre (Schuman, 1950). Les principes de l’Europe portaient le rêve d’un avenir meilleur basé sur la croyance que la prospérité économique et industrielle garantirait le bien-être pour tous.

Pendant des années, la croissance économique a fait la richesse économique de l’Europe. Elle a créé du travail, réduit la pauvreté, stimulé l’innovation… et pourtant dans les pays occidentaux le parallélisme entre croissance économique et le bien-être humain n’a pas tardé à montrer ses points de butée et à révéler ses angles morts.

À peine un siècle plus tard, la navigation d’une croissance illimitée est remplie de cauchemars. Ce modèle économique s’échoue sur les barres des limites planétaires. Ce modèle, basé sur la consommation d’énergies fossiles, déclenche des vagues de dérèglements climatiques déjà observables. L’équation apparaît de plus en plus clairement : plus de croissance nécessite plus d’énergie et plus d’énergie rend impossible la réduction des émissions de CO2 (le découplage entre croissance économique et impact environnemental ne repose sur aucun fondement empirique). De plus, la croissance dans les pays du Nord comme l’Europe n’est plus reliée au bien-être. Enfin, ce modèle économique ne résout pas l’augmentation des inégalités, en réalité, il les augmente.

C’est pour cela qu’aux quatre coins de l’Europe des jeunes se sont levés, pour demander à leur nation de remplir leur devoir politique de protection contre les dangers annoncés. Ils ont rappelé à l’Europe son rêve originel de s’unir pour éviter l’autodestruction. Car l’autodestruction humaine ne porte pas que le nom de guerre ; elle prend aussi la forme, aujourd’hui, d’anthropocène.

Des forêts nordiques aux glaciers des Alpes, du bassin de la Ruhr aux falaises méditerranéennes, aux côtés de Greta Thunberg (Suède), Louisa Neubeuer (Allemagne), Camille Etienne (France), Ariadne Papatheodorou (Grèce), Dominika Lasota (Pologne)… des jeunes portent le même refrain : il est temps de sortir nos nations des sables mouvants de la croissance illimitée et de fonder leur prospérité sur les solides rochers des limites planétaires. Ces jeunes refusent sans doute, comme moi, de croire que les Mercators de l’Union continueront de guider leur flotte par la lunette monoculaire de la croissance infinie. Ils refusent de croire que les vigiles de la paix resteront aveugles aux signaux de détresse lancés par les scientifiques. Ils refusent de croire que les géographes de la démocratie remettront à leur descendance un plan de navigation trompeur sur l’avenir, les abandonnant en réalité sur les berges de l’écoanxiété.

Ils ne seront pas apaisés tant que la crise climatique sera vue comme un simple obstacle contournable par le “modèle technologique” ; modèle que chantent certains décideurs politiques et économiques nous illusionnant comme les sirènes d’Ulysse. La technologie, bien évidemment nécessaire, nous mène sur une fausse route : la croissance verte ne passe pas le test de la science.

En dépit des vents trop timides du Green Deal, des flots de financements de banques et de subsides gouvernementaux vers des projets fossiles, des augmentations d’émissions de CO2, j’ai encore un rêve. Peut-être celui de beaucoup de jeunes.

Je rêve que l’Europe redessine la prospérité et le bien-être, osant sortir de son ‘business model’d’une infinie croissance et navigue avec une boussole d’indicateurs plus réalistes que l’unique PIB.

Je rêve que nos institutions politiques se réveillent de l’illusion de l’autonomie et de l’omnipotence humaine et qu’elles repensent leurs stratégies selon l’évidence des êtres vivants interdépendants.

Je rêve que l’Europe revitalise ses démocraties en déployant la participation citoyenne, en développant les lieux de débat ET de décisions pour créer un embarquement collectif dans sa traversée du siècle.

”J’assume !”, le rendez-vous du mardi midi

Avec” J’assume !”, La Libre propose chaque mardi midi, sur son site, un nouveau rendez-vous d’opinion. Six chroniqueurs, venus d’horizons de pensée différents et complémentaires, proposent leurs arguments semaine après semaine sur des questions polémiques et de société.

Vous y retrouverez l’essayiste, militante laïque et membre du Centre Jean Gol Nadia Geerts, l’auteur et comédien Ismaël Saidi, l’avocat et directeur général adjoint de l’Institut Thomas More Aymeric de Lamotte, la chargée de projets dans l’administration publique Margherita Romengo, Rik Torfs, professeur de droit canonique, écrivain, recteur honoraire de la KU Leuven, et Adelaïde Charlier, étudiante en sciences politiques et sociales UGent&Vub, connue comme activiste climat et droits humains.

Tous s’expriment à titre personnel. Ils ont pour ambition de vivifier un débat impertinent mais de qualité aux côtés des grands entretiens, des opinions, des chroniques et des cartes blanches que La Libre publie au quotidien. Comme pour toutes les opinions, le contenu des textes n’engage que les auteurs et n’appartient pas à la rédaction du journal.

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