Que faire pour remédier à l’inexorable déclin de l’Occident?
L’Occident doit prendre la mesure de son propre déclassement et fonder d'autres relations avec ses partenaires.
Publié le 20-05-2023 à 15h15 - Mis à jour le 23-05-2023 à 11h02
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Une opinion de Noé Morin, ancien journaliste du “Courrier de Russie”, coauteur de l’ouvrage “La guerre sainte de Poutine” aux éditions Passés composés.
Par deux fois en l’espace d’un mois, l’Occident aura rassemblé ses forces. La première occasion fut indéniablement le couronnement du Roi Charles III, qui vit affluer des émissaires du monde entier sous les croisées d’ogive de l’abbaye de Westminster. La seconde est à venir ; il s’agit du sommet du G7 à Hiroshima. Ces deux démonstrations de puissance sont pourtant radicalement opposées. Elles mettent en concurrence deux visions antagonistes de l’Occident.
D’un côté, c’est l’Occident moral, traditionaliste et œcuménique qui s’exprime à travers le couronnement de l’héritier Windsor, un roi universaliste qui est appelé à être le “defender of faith” et non plus le “defender of the faith”, nuance intraduisible qui reflète son attachement pérennialiste à la tradition primordiale commune qui anime toutes les religions. Par la sagesse de son universalisme, le Roi Charles III est le visage de cet Occident généreux, mondial et cependant respectueux des particularités culturelles de chaque peuple, qui a longtemps constitué la trame du génie européen.
De l’autre, nous assistons au spectacle de la congrégation des nations décaties. Qui peut encore croire que la France, par exemple, mérite sa place à la table des sept plus grandes puissances avancées du monde ? Le Groupe des Sept (G7) représente l’Occident rabougri et fermé, qui se retire chaque année en conclave pour décider des affaires du monde depuis l’intérieur aseptisé d’une salle de conférence. Toujours plus hermétique aux nouvelles tendances idéologiques mondiales – le souverainisme chinois, le traditionalisme russe, le conservatisme arabe – il tranche, il condamne, il délibère et adopte des positions de principe déconnectées de toute réalité. En témoigne par exemple la décision unanime des ministres des finances du G7 en septembre 2022 de plafonner le prix de vente du baril de pétrole russe pour faire chuter les recettes pétrolières de la Russie et entraver l’effort de guerre de Poutine. Non seulement les principaux clients du pétrole russe, que sont devenus l’Inde et la Chine, n’ont aucune intention de respecter le plafonnement des prix, mais le Japon lui-même, pays membre du G7, a annoncé en avril 2023 qu’il se désolidarisait de cette mesure devant son impératif vital de garantir un approvisionnement énergétique stable.
Mais le camouflet ne s’arrête pas là : le 2 avril dernier, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) et la Russie annonçaient des coupes de production dans le but de faire repartir à la hausse le prix du baril qui, en quelques jours, grimpait de 10 dollars1. Cet exemple montre à quel point le G7 a perdu sa capacité d’infléchir le cours de l’histoire et le comportement des grandes puissances géopolitiques : les Russes pactisent avec les Saoudiens au nez et à la barbe des Américains, les Japonais quittent le navire des sanctions, les Indiens et les Chinois reconstituent leurs stocks de pétrole russe et – comble de l’hypocrisie – le revendent sous fausse étiquette aux pays occidentaux tenus par leur propre système de plafonnement des prix…
Cette perte d’influence n’est que le reflet d’un appauvrissement du monde occidental : la part du PIB des pays du G7 a diminué de 50,42 % du PIB mondial en 1982 à 30,39 % en 2022, et continue de chuter. Tandis que la part du PIB des pays des BRICS a augmenté de 10,66 % à 31,59 % sur la même période2. Les injonctions de l’Occident se perdent dans le concert des nations car aux yeux de ses partenaires et concurrents, il devient quantité négligeable. Si ce n’est pour les États-Unis qui soutiennent à bout de bras l’alliance des Occidentaux, instrument de leur propre puissance, le G7 aurait depuis longtemps disparu.
Que faire pour remédier à cet inexorable déclin ? D’abord, restaurer la crédibilité de l’Occident, qui doit cesser de multiplier les fausses promesses. Quel crédit accorder au G7 qui déclare unanimement vouloir combattre le changement climatique mais qui représente à lui seul un quart de la pollution mondiale3 ? Quel crédit accorder au G7 qui se déclare favorable au développement d’une énergie nucléaire sûre et propre4 mais qui, dans le même temps, voit le gouvernement japonais rejeter dans l’océan Pacifique 1,25 million de tonnes d’eaux contaminées par l’accident nucléaire de Fukushima ?
L’Occident doit prendre la mesure de son propre déclassement et fonder des relations avec ses partenaires qui ne soient plus fondées sur la menace, la sanction ou l’injonction morale, mais sur le respect et le bénéfice mutuel. Il doit renouer avec une tradition diplomatique qui consiste à reconnaître la validité des positions de son adversaire pour dialoguer avec lui, partant du constat qu’on possède plus d’autorité sur un pays avec lequel on coopère, que sur un pays isolé dont on a voulu faire un paria.
1 Cours du WTI Crude entre le 4 et le 8 avril 2023
2 https://timesofindia.indiatimes.com/blogs/economic-policy/how-brics-countries-have-overtaken-the-g7-in-gdp-based-on-ppps/, consultée le 8 mai 2023.
3 https://www.iea.org/news/g7-members-can-lead-the-world-in-reducing-emissions-from-heavy-industry, consultée le 8 mai 2023.
4 Communiqué des ministres du climat, de l’énergie et de l’environnement du G7, le 16 avril 2023 à Sapporo.