À quand la tolérance et la compréhension entre les religions ?

Alors que les chrétiens fêtent la Pentecôte ce week-end, il est urgent de se pencher sur ce qui unit les religions.

Pope Francis (R) and Egypt's Azhar Grand Imam Sheikh Ahmed al-Tayeb arrive to attend the Founders Memorial event in Abu Dhabi on February 4, 2019. (Photo by Vincenzo PINTO / AFP)
Le pape François et le grand imam égyptien de l'Azhar, le cheikh Ahmed al-Tayeb, le 4 février 2019. ©AFP

Une opinion de François Boels, auteur sous le nom de Jean-François Malix du livre “Paix sur la terre… et fin de la récréation !”, Éditions Anovi (jeanfrancoismalix@gmail.com)

Les historiens comme les théologiens ne peuvent que l’admettre, rien de ce qui divise aujourd’hui les mondes chrétiens et musulmans, ou motive les extrémistes et le terrorisme, ou encore se trouve au cœur des difficultés engendrées par les mouvements migratoires, rien de tout cela ne trouve sa source dans les messages d’origine de ces religions. Et pourtant, dans nos pays où la nécessité de créer le “vivre ensemble” s’impose dans la relation entre migrants et accueillants, l’écrasante majorité des messages diffusés par les milieux qui devraient s’en soucier ne mettent en exergue que des passages belliqueux, hostiles ou autoritaires du Coran. Ces messages ne sont cependant rien d’autre que la reprise de ceux qui traitaient des mêmes sujets dans l’Ancien Testament ou Torah pour les Juifs et les Chrétiens.

La lecture objective et non orientée du Coran est, de ce fait, vraiment interpelante. Des passages entiers y définissent un très large accord et une confirmation des messages de Jésus de Nazareth, et de ses prédécesseurs Abraham, Moïse et les autres Prophètes. Le Pentateuque, autrement dit les cinq principaux livres de l’Ancien Testament ou de la Torah y est, à longueur de Sourates1, défini comme don d’Allah et guide des croyants. C’est entre autres le cas des Dix Commandements, reçus de Dieu par Moïse, et qui gouvernent la vie des Musulmans comme celle des Juifs et des Chrétiens. En revanche, s’il y a effectivement des textes belliqueux, ils n’ont rien à envier à ceux de l’Ancien Testament ou de la Torah. Ils correspondent aux mœurs de l’époque, tant dans les mondes chrétiens et juifs que dans celui des Arabes où il est né.

Mais dans quelle mosquée ou dans quel temple ou église aura-t-on entendu lire la troisième Sourate du Coran, aux versets 34 et suivants, reprise par la cinquième ? Elles racontent, dans des détails identiques à ceux des évangiles, notamment celui de Saint Luc (Lc1,5-38), la naissance de Jean Baptiste suivie de l’annonce faite à Marie et l’intervention divine dans l’enfantement de Jésus de Nazareth par celle-ci, restée vierge ! Qui, dans nos environnements politiques, médiatiques et même religieux, se réfère, entre autres, à la cinquième Sourate (autour du verset 50 selon les découpages) ? Elle précise que Jésus de Nazareth, prophète envoyé d’Allah a donné au monde les Évangiles qui sont paroles de Dieu, à mettre en œuvre par les croyants…

Évidemment, une telle démarche serait simplement pacifique et de nature à créer une unité de vue qui désamorce les conflits. Et les mondes qui nous gouvernent et nous informent, seraient désarmés par cette sérénité et surtout par l’impossibilité qu’elle entraîne de se distinguer ou de gonfler l’électorat et l’audimat.

Dans ce domaine, à de rares exceptions près, le couple que forment le monde politique et les médias joue un rôle malheureusement dominant et surmultiplié aujourd’hui par la télécommunication moderne… Mais il en a été de même depuis des siècles entre les différentes composantes du Christianisme, de l’Islam et du Judaïsme qui se sont séparées bien après la délivrance des messages de Jésus de Nazareth pour les Chrétien et de Mohammed pour les musulmans.

Une révision objective et critique de tout ce qui a créé les schismes, les antagonismes et les guerres épouvantables tout au long de notre histoire, ne peut que conduire à la même conclusion : ce sont les évolutions de l’interprétation par l’homme de ce qui serait la parole de Dieu qui sont à l’origine des conflits. C’était d’ailleurs bien trop souvent par intérêt géostratégique ou même personnels et de mauvaise foi. Qu’il s’agisse des dogmes des chrétiens ou des injonctions rassemblées dans la Sunna et les Hadiths des musulmans, le contexte et les objectifs temporels qui entourent leur émergence est prédominant.

Un des exemples les plus marquants est celui du statut de Jésus de Nazareth selon chacune des religions : il ne faut pas oublier que le Christ s’est défini lui-même comme le Fils de Dieu, son envoyé, son mandataire ou son représentant, mais pas comme Dieu lui-même. C’est, en effet le Concile de Nicée, à l’initiative de l’empereur Constantin qui, voulant rassembler l’empire autour d’une chrétienté unifiée, a tranché le débat et confirmé en 325 les dogmes de la Trinité et la divinité du Christ et de l’Esprit pour les Chrétiens. Celles-ci posent un problème aux musulmans car ils les considèrent comme polythéiste et ont voulu, 300 ans plus tard, rectifier le tir et faire respecter le premier commandement de Dieu qui dit “Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi” (Ex20,3). Mais les deux convictions vénèrent Jésus de Nazareth et donnent à son message la valeur de paroles de Dieu.

Par ailleurs, en cette période qui suit Pâques, il est intéressant de contextualiser une autre nuance : pour les chrétiens, le Christ est mort sur la croix pour effacer la tache du péché originel qui résulte de la deuxième version de la création dans la Genèse (Gn2,5-25 et 3,1-24). Les musulmans ne retiennent pas cette version et s’en tiennent à la première qui ne relate que la création (Gn1,26-28). De ce fait, le supplice de Jésus qui rachète cette tache originelle n’a pas lieu d’être et seul son message de paix et d’altruisme est vénéré. L’islam rejette une mort infamante par crucifixion qui était le châtiment des condamnés de droit commun, indigne de l’envoyé de Dieu. Au contraire, ils glorifient la mort de Jésus, Prophète qui a été accueilli par Dieu auprès de lui comme ses prédécesseurs depuis Moïse ! Il est en outre intéressant de relever que, dans tous ces aspects de leurs fois respectives, les chrétiens sont nettement plus proches des musulmans que des juifs puisque pour ces derniers, Jésus de Nazareth n’est qu’un agitateur et un contestataire qu’ils ont rejeté et condamné !

On peut encore, à longueur de pages mettre en évidence les similitudes ou l’explication du comportement ou des règles de vie des religions du livre. Il suffit par exemple de lire avec honnêteté et objectivité le texte de l’Exode, (deuxième livre du Pentateuque commun aux différents monothéismes) pour comprendre les règles de l’islam actuel dans le refus de l’image d’Allah ou de la Trinité : il procède tout simplement du texte original du deuxième commandement (Ex 20,4-5) : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux… Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point…”

Les vertus du recul

Pour autant, à l’époque de la communication planétaire, ne serait-il pas temps de prendre un peu de recul et de s’attacher de toute part à la possibilité d’une compréhension mutuelle ? Voir la “bouteille à moitié pleine” plutôt que mettre en exergue celle qui serait à moitié vide, se poser la question de la vraie importance de ce qui sépare les croyants et communiquer dans ce sens ? Et pourquoi pas rappeler la parabole du bon Samaritain (Lc10,29-37) et sa définition du “prochain” qui oblige à inclure les croyants des autres religions.

À aucun moment ce propos ne vise à convertir l’un vers la foi de l’autre ni à accorder à l’une plus de qualité qu’à l’autre puisque, à l’origine leurs messages portent sur les mêmes préceptes altruistes et constructifs. Au contraire, la foi de chacun, y compris l’éventuelle absence de foi, est une composante de l’identité de l’individu. Elle est la première pièce qu’il a acquise dans la composition de sa personnalité et de sa morale, même dans son jugement de l’immoralité. Contester cette foi ou la rejeter comme hérétique est particulièrement déstabilisant. Entre autres dans le domaine de l’immigration, ce rejet entraîne un repli identitaire défensif qui bloque l’intégration culturelle en créant les ghettos et l’attachement à des signes extérieurs. Ce sont ceux qui se développent aujourd’hui et choquent les populations accueillantes.

Le message qui doit passer est celui de la compréhension mutuelle et la tolérance en mettant en exergue les qualités propres à la religion à laquelle chacun appartient. Il est toujours pitoyable et médiocre de ne défendre un point de vue qu’en dénigrant les autres…

Imaginons tout ce qui pourrait résulter de positif d’une approche pacificatrice par les principaux acteurs que sont les politiques, les médias et les clergés respectifs. Il est tout à fait faux, caricatural et négatif de craindre que les responsables religieux perdraient tout ou partie de leur raison d’être. L’humain a besoin de leadership, de guidance et même de rituels et de symboles. Les êtres totalement capables d’autonomie sont exceptions. Mais si cette guidance était simplement orientée vers le soutien mutuel et la tolérance respectueuse, elle pourrait viser des objectifs tellement plus constructifs. Elle pourrait, entre autres, jouer un rôle moteur dans l’adaptation culturelle des migrants et leur intégration. Bien entendu, il sera très difficile de faire abandonner ses préjugés par les générations les plus âgées mais c’est à l’âge de la formation que le mouvement peut être mis en œuvre.

À ce sujet, l’article paru dans la libre du 27 mars, au sujet de la place et du rôle des prêtres m’ouvre grand la porte pour ma conclusion : oui il faut faire bouger les choses et redonner à ces êtres généreux et altruistes, une motivation dans un cadre constructif. Le Cardinal De Kesel a également magistralement défini ce cadre dans une récente allocution : le monde a évolué, principalement par la disparition des distances, la communication et les mélanges culturels. L’Église n’est plus le monde, elle doit être dans le monde. Il y a tant à faire pour aider les croyants de chaque religion à vivre et s’épanouir dans ce monde où ils ne sont pas seuls à détenir une vérité. Quel exemple magnifique ce serait à donner à cette partie, heureusement minoritaire, du monde musulman qui malheureusement confond encore culture, politique et religion…

1 Les 114 Sourates sont les différents chapitres du Coran

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