La prochaine fois que vous voyez une mère avec un bébé, soyez indulgents

Être une mère est une immense source de bonheur et de fierté, mais cela signifie aussi être soumise à des injonctions ardues et contradictoires. Notamment concernant l'allaitement.

La prochaine fois que vous voyez une mère avec un bébé, soyez indulgents
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Une carte blanche de Sophie Heine, consultante, chercheure associée a Egmont – Institut Royal des Relations Internationales, auteure de Différentes, libres et égales : Quelques pistes pour parler aux femmes aujourd’hui, Couleur Livres, 2022, Bruxelles.

Être une mère est une immense source de bonheur et de fierté, mais cela signifie aussi être soumise à des injonctions ardues et contradictoires. C’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne la question délicate de l’allaitement.

L’allaitement est souvent une expérience formidable. Bien sûr, cela prend beaucoup d’énergie et veut dire de multiples réveils par nuit, ce qui peut être épuisant quand le bébé a bien plus d’un an. Mais avoir le privilège d’allaiter son enfant pendant longtemps peut être une grande source de bonheur. Beaucoup de mères n’ont pas conscience que l’allaitement de long terme crée un lien formidable entre la mère et l’enfant. Certaines pensent même que l’insistance sur l’allaitement fait partie d’un complot visant à piéger les mères et à les empêcher d’être libres et égales au père.

L’Organisation mondiale de la santé recommande d’allaiter un enfant pendant les deux premières années de sa vie. Toutefois, malgré cet accord de la communauté médicale sur les bienfaits de l’allaitement, les mères qui allaitent plus longtemps que les six mois largement acceptés tendent encore à subir, au mieux, de l’incompréhension et, au pire, de la négativité de la part de leur entourage.

Quant aux mères qui décident de ne pas allaiter ou qui ne peuvent le faire, elles subissent aussi souvent des jugements négatifs. Ainsi, elles se voient parfois reprocher de ne pas soucier assez du bien-être de leurs enfants.

Un choix personnel

Où est le choix de la mère dans tout cela ? Qui donc a décidé que les seins de la mère, cette partie si intime de leur corps, sont une sorte de propriété collective ? Allaiter ou non devrait toujours être un choix personnel.

La littérature existante confirme bien que tant le lait maternel que l’allaitement sont des options très saines pour le bébé. Mais le choix entre ces deux options peut aussi se résumer à des aspects très matériels et pratiques : il est plus difficile d’allaiter longtemps un enfant si l’on doit reprendre rapidement le travail, si l’on n’a pas d’aide pour s’occuper des autres enfants ou accomplir les tâches ménagères. Allaiter un enfant, en particulier pendant une longue période, peut être un privilège réservé seulement à une minorité de mères. Mais cela peut aussi être un sacrifice : ne pas reprendre un travail à temps plein et donc gagner moins d’argent, faire moins d’activités ou pas du tout le soir, passer moins de temps seule avec ses autres enfants…

Dans tous les cas, il n’est pas acceptable que les mères doivent choisir entre un revenu décent et la possibilité d’allaiter !

Des injonctions contradictoires

Le monde médical impose aux mères une norme – “allaitez aussi longtemps que vous le pouvez et idéalement jusqu’à deux ans” – qu’il est impossible de respecter dans les conditions matérielles actuelles. Pour respecter cette norme, il faudrait que les mères reçoivent une indemnité de maternité pendant la durée d’allaitement recommandée. Cela signifierait que la mère qui allaite son enfant n’a pas besoin de travailler ni de dépendre de son conjoint.

La société nous dicte une autre norme – “n’allaitez pas trop longtemps car c’est dérangeant et cela vous empêche de revenir à une forme capitaliste normale de 'gagner et dépenser”. Celle-ci est contraire à la pression en faveur de l’allaitement et, plus largement, au stéréotype de la maternité sacrificielle qui imprègne encore de nombreux esprits.

Comme dans d’autres contextes, ces normes contradictoires ont un impact sur l’estime de soi des femmes : sont-elles de bonnes mères même si elles n’allaitent pas ? Comment donner suffisamment d’attention à son enfant si elles ont besoin de retourner au travail, non seulement pour des raisons financières mais aussi pour développer d’autres aspects de leur personnalité ? Et si elles allaitent, les questions qu’elles se posent sont : comment vont-elles faire carrière et faire vivre leur famille ?

Au-delà de toutes les attentes

Ainsi, même si le stéréotype de la “bonne mère” suppose le plus grand dévouement possible pour leurs bébés et leurs enfants, les mères sont également soumises à d’autres normes (comme celle qui leur dit de réussir professionnellement) et à des contraintes matérielles.

Mais, au bout du compte, les mères sont aussi des êtres humains qui peuvent avoir des besoins et des désirs propres totalement indépendants de tous ces facteurs : ainsi, elles voudraient être libres d’imaginer et de mettre en place leur propre approche de la “vie bonne”, au-delà de toutes les attentes qui leur sont imposées.

Alors, la prochaine fois que vous voyez une mère avec un bébé, soyez indulgents : qu’elle allaite ou non, soyez gentils et compréhensifs ! N’oubliez pas que cette mère fait de son mieux pour aimer et élever son enfant et qu’elle est toujours soumise à des attentes inaccessibles – subsumées sous la norme de la maternité et du féminin en général pour faire passer les autres et leurs besoins avant les siens.

Allaitement
Allaitement ©Olivier Poppe
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