Santé mentale: sommes-nous prêts pour la prochaine crise?
14 % de la population belge a besoin de soins de santé mentale. Tirons les leçons suite à l’impact des crises récentes. Plaidoyer pour une société psychologiquement résiliente.
- Publié le 31-05-2023 à 06h35
- Mis à jour le 31-05-2023 à 09h25
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Une carte blanche d’Ann DeSmet, ULB ; Alexis Dewaele, UGent ; Inez Germeys, KULeuven ; Olivier Luminet, UCLouvain et FNRS ; Pierre Smith, Sciensano et Kris Van den Broek, UAntwerp
Le 22 mars 2023, un groupe diversifié d’experts et d’universitaires belges a organisé un colloque sur la santé mentale et la résilience en période de polycrise (1). Il regroupait des experts internationaux et nationaux, ainsi que des acteurs politiques et socio-économiques. Le but était d’évaluer l’impact des crises récentes sur la santé mentale de la population et en tirer des leçons pour l’avenir. Nous résumons les enseignements tirés de cette journée et la manière dont ils peuvent contribuer à l’amélioration des soins et des politiques de santé mentale en Belgique. Seule façon de nous préparer à la prochaine crise et de soutenir au mieux la santé mentale de la population.
Ce que nous savons
- Les données de Sciensano montrent qu’en moyenne, 14 % de la population belge a besoin de soins de santé mentale. L’impact des problèmes de santé mentale sur la société est considérable. Par exemple, leurs coûts économiques (y compris les coûts pour les soins de santé, la sécurité sociale et le marché du travail) représentaient 5 % du produit intérieur brut de la Belgique en 2015, soit l’un des taux les plus élevés parmi les pays de l’OCDE (rapport OCDE). Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale sont plus susceptibles de souffrir de maladies cardiovasculaires, de cancers et même de décès prématurés, entre autres. Par exemple, les personnes souffrant d’un trouble psychotique vivent 10 à 20 ans de moins que la moyenne (article).
- Les inégalités sociales de santé mentale sont complexes : les personnes ayant un statut socio-économique inférieur ont tendance à moins bénéficier des investissements dans les traitements spécialisés et innovants, comme la psychothérapie. Pendant les crises, des groupes spécifiques tels que les femmes, les jeunes, ou les personnes socialement isolées sont particulièrement vulnérables. La prévention des problèmes de santé mentale, l’accessibilité et le caractère innovant des soins, ainsi que les initiatives de renforcement de la communauté, telles que la rénovation urbaine dans les quartiers vulnérables, sont des solutions pour s’attaquer aux inégalités sociales en termes de santé mentale.
- Le COVID-19 et ses conséquences économiques à court et long terme ont des répercussions négatives sur la santé mentale des citoyens. Cela montre d’une part le lien étroit entre le système de santé mentale et ceux liés à l’économie, et d’autre part la fragilité de notre système de santé mentale, sa difficulté à réagir rapidement et à fournir un soutien à ceux qui en ont le plus besoin. Des mesures visant à limiter l’impact économique des crises peuvent donc aussi avoir un effet bénéfique pour la santé mentale de la population (aide à l’emploi, logement, etc.).
- L’augmentation du nombre de réfugiés pose des défis supplémentaires à notre société. Tout aussi important, les réfugiés eux-mêmes sont confrontés à des défis à plusieurs niveaux. La prévalence des troubles de santé mentale dans ce groupe est importante par rapport à la population générale. Pourtant, des interventions psychologiques efficaces sont disponibles pour soutenir les populations. Par exemple, le programme “Peer-provided Problem Management Plus” (gestion des problèmes par les pairs) s’est avéré coût-efficace et adapté au renforcement du fonctionnement psychosocial des réfugiés. En déployant de tels programmes, nous évitons non seulement des souffrances psychologiques inutiles, mais nous pouvons également les utiliser pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants sur le marché du travail et dans les autres dimensions de la vie en société. Cela offre également des opportunités économiques, par exemple, en garantissant l’emploi dans des secteurs où il y a une pénurie de travailleurs potentiels.
- Le changement climatique a également des effets directs et indirects sur la santé mentale des citoyens. Il existe par exemple un lien entre le réchauffement climatique et le nombre de suicides. Dans certains contextes, la crise climatique complique aussi la délivrance de soins aux personnes ayant des besoins de santé mentale (article). Tout effort pour réduire les émissions de carbone aura donc aussi un effet bénéfique sur la santé mentale mondiale. L’amélioration des pistes cyclables et des sentiers pédestres, l’augmentation du nombre de parcs et de plans d’eau dans les villes ne sont que quelques exemples montrant que les initiatives durables peuvent également contribuer à des modes de vie sains et à une meilleure santé mentale. Ces initiatives soulignent également que la santé mentale est une responsabilité collective et pas seulement individuelle.
Que manque-t-il encore ?
Bien que nous disposions d’une recherche de premier plan en matière de santé mentale en Belgique et au niveau international, les connaissances sont encore insuffisantes concernant la gestion des problèmes de santé mentale dans notre société (voir également le rapport complet sur la recherche en matière de santé mentale en Belgique). Nous manquons de données fiables sur l’accès et l’utilisation des services de santé mentale, sur les nouveaux traitements efficaces et sur les populations à risque spécifiques. Il est également essentiel d’avoir un tableau de bord qui évalue en permanence l’état de santé mentale de la population belge (Sciensano a récemment lancé un projet pilote en la matière). En ce qui concerne la qualité des soins, l’OCDE fournit un cadre soulignant l’importance des soins centrés sur la personne, de l’accessibilité, d’une approche multisectorielle, de l’engagement en faveur de la prévention, de la bonne gouvernance et de l’innovation. Elle recommande un investissement supplémentaire de 1,4 % du PIB dans les soins de santé et les services sociaux par rapport à 2019 (rapport OCDE). Toutefois, l’investissement dans les systèmes de soins de santé et l’intensification de la recherche ne suffisent pas. Nous avons également besoin d’une plateforme en Belgique qui relie les chercheurs aux décideurs politiques, aux professionnels de la santé et aux représentants des patients et de leurs familles afin d’améliorer l’accessibilité et le partage des connaissances et de l’expertise en matière de santé mentale.
(1) Le colloque était organisé par le groupe permanent “santé mentale” du Conseil Supérieur de la Santé