Comment éviter l’explosion des Balkans?
L’UE ne peut pas se permettre de laisser se développer aux côtés de la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie un trou noir de pays hostiles ou en faillite. Cela augmenterait les risques liés à l’immigration illégale, le trafic de drogue, la corruption et ouvrirait un boulevard aux influences russe, chinoise et turque.
- Publié le 01-06-2023 à 09h36
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Une carte blanche d’Alexis Brouhns, ambassadeur honoraire, ancien représentant spécial de l’UE dans les Balkans (Skopje)
Il y a 20 ans, en juin 2003, un sommet entre l’Union européenne et les pays des Balkans occidentaux se tenait à Thessalonique. Pour l’Union européenne, il s’agissait d’enfin tourner la page après une douzaine années de conflits qui avaient ravagé les pays de l’ancienne Yougoslavie.
Une page à vrai dire peu glorieuse de l’histoire européenne. La gestion de la crise yougoslave aurait en effet dû être de la responsabilité de l’Europe. Lorsqu’elle éclata en 1991, Jacques Poos, alors Ministre des Affaires étrangères du Grand-Duché de Luxembourg et Président en exercice du Conseil de l’Union européenne, déclara avant sa première rencontre avec les différents acteurs de la crise : l’heure de l’Europe a sonné !
Une Europe impuissante, des États-Unis résolus
Cette heure ne sonna malheureusement jamais durant la décennie qui suivit. Si l’accord de Brioni signé en juillet 1991 sous les auspices de l’Europe retarda de quelques mois le début des hostilités, il n’empêcha pas une succession de conflits sanglants d’abord en Croatie, puis en Bosnie-Herzégovine (où plus de cent mille personnes périrent et deux millions durent fuir leur pays), au Kosovo (où la guerre culmina en 1999 avec huit cent mille réfugiés) et enfin en Macédoine du Nord au début des années 2000.
L’Europe fut rapidement impuissante dans la gestion de ces crises et ce furent les États-Unis, avec le soutien du Conseil de sécurité des Nations Unies (quand ce fut possible) et militaire de l’Otan, qui négocièrent, établirent et imposèrent les conditions de la paix en Bosnie ou au Kosovo. Les raisons des faiblesses européennes furent nombreuses : approche réactive au cas par cas sans vision d’ensemble, divisions politiques entre États européens liées à des perceptions historiques différentes, absence de diplomatie européenne (et diplomaties nationales contradictoires) et absence d’outil militaire commun. Ces lacunes ont d’ailleurs été à l’origine de la création d’une politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne.
La -vaine- perspective d’intégrer l’UE
Si les États-Unis et l’Otan avaient donc permis de pacifier la région, il appartenait maintenant à l’Union européenne de la stabiliser et d’y garantir une paix durable. Ce fut le but de la réunion de Thessalonique durant laquelle l’UE réaffirma solennellement son soutien sans équivoque à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux et à leur futur au sein de l’UE. La stratégie européenne était claire et permettait enfin à l’UE de jouer son rôle géopolitique en renforçant la paix, la démocratie et l’économie de la région tout en préparant les pays balkaniques à devenir membres de l’UE. La perspective européenne devait aider ces pays à se réformer et à se transformer tandis que l’accession à l’UE devait rendre leurs griefs territoriaux et de sécurité non pertinents.
Malheureusement ce plan n’a pas fonctionné comme prévu. Si la Slovénie et la Croatie sont assez vite devenues membres de l’UE, il n’en a pas été de même pour les autres pays (Bosnie, Macédoine du Nord, Serbie, Monténégro, Albanie et Kosovo). Les raisons de ce retard sont diverses mais l’opposition croissante de plusieurs pays (dont la France et les Pays-Bas) à tout nouvel élargissement (”enlargement fatigue”) a fondamentalement décrédibilisé la stratégie de Thessalonique.
Est-ce si grave après tout ?
Oui, car la plupart de ces pays font face à des dysfonctionnements politiques, une remise en cause des acquis démocratiques, la corruption et la stagnation économique.
L’UE ne peut pas se permettre de laisser se développer sur son flanc sud-est entre la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie un trou noir de pays hostiles ou en faillite car cette situation à nos frontières augmenterait les risques liés à l’immigration illégale, le trafic de drogue, la corruption et ouvrirait un boulevard aux influences russe, chinoise et turque. La Chine souhaite utiliser les Balkans comme jonction importante de son initiative “Une ceinture, une route” (nouvelles routes de la soie) . La Russie a toujours regretté la disparition de la Yougoslavie. Arguant de son rôle historique de protection des peuples slaves et orthodoxes, elle use de son influence pour radicaliser les Serbes en Bosnie, au Monténégro et en Serbie et freiner le rapprochement de ces pays avec l’UE. La Turquie enfin tente d’instrumentaliser les populations de culture musulmane en Bosnie et les Albanais de Macédoine. Les tentations de remettre en cause les frontières actuelles constituent un risque réel de réveil des vieilles tensions et il convient d’y réagir avec une grande fermeté.
Une nouvelle crise dans les Balkans signifierait aussi un désaveu des ambitions géopolitiques de l’UE qui ne parviendrait pas à démontrer son influence dans son arrière-cour, 25 ans après avoir été incapable de jouer un rôle dans la stabilisation sécuritaire de la région. Quel serait encore son crédit dans ses autres voisinages et ailleurs ?
Que faire alors ?
Il est tout d’abord important de confirmer à nouveau la perspective européenne de ces pays, ce qui a été fait au Conseil européen de décembre 2022 suite à l’agression russe en Ukraine. Mais cette décision a été prise dans un contexte plus général de soutien à l’Ukraine, la Moldavie et les pays du Caucase. Et il est donc peu probable qu’elle accélérera vraiment le processus d’accession, qui prendra du temps. L’UE doit donc redoubler d’efforts et d’imagination pour développer les outils permettant de rendre cette perspective européenne plus tangible pour les populations concernées (facilités de visa, programmes d’échanges à tous niveaux, investissements dans les infrastructures…).
Diplomatiquement, l’accent doit être mis sur la Serbie. Sans un rôle constructif de Belgrade, la situation continuera à se dégrader en Bosnie et au Kosovo et cela freinera le développement économique de toute la région. La question de la clarification de la vocation européenne de la Serbie mérite d’être posée et ce ne sera pas facile vu l’autoritarisme croissant des autorités serbes et leur sympathie pro russe.
Enfin, le risque de violence reste réel. Comme l’histoire l’a démontré, aussi longtemps que toutes les conditions de stabilité ne sont pas remplies, c’est la présence de forces internationales qui garantit la paix. Depuis que l’UE a remplacé en grande partie l’Otan dans la région, elle doit s’assurer de disposer des effectifs nécessaires pour faire face au pire qui n’est jamais à exclure dans cette région.
La détermination et l’unité des 27 États membres de l’UE seront seules à même de garantir un traitement global des différentes crises en offrant à terme l’accession à tous les pays de la région pourvu qu’ils règlent définitivement leurs conflits.
La meilleure arme géopolitique de l’UE consiste toujours à stabiliser son voisinage par la perspective crédible d’une adhésion accomplie au terme d’efforts des pays candidats pour réformer leurs institutions et leur économie au profit de leurs populations et résoudre pacifiquement leur différend avec leur voisin.